PS-PCF : un programme commun de gouvernement... des chances différentes d'y accéder01/01/19741974Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

PS-PCF : un programme commun de gouvernement... des chances différentes d'y accéder

Aujourd'hui, Mitterrand comme Marchais évoquent publiquement la possibilité d'un changement de l'équipe gouvernementale avant les prochaines échéances électorales.

En effet, les dirigeants de la gauche, ceux du PCF comme ceux du PS, ne laissent pas passer une occasion de déclarer, haut et fort, que le gouvernement en place est incapable de faire face aux échéances qui attendent le pays, que le bateau prend l'eau de toutes parts et qu'il est grand temps de mettre à la barre une nouvelle équipe.

Au lendemain des présidentielles, Séguy, dans une fameuse petite phrase, avait évoqué la possibilité que le septennat de Pompidou puisse être écourté. La déclaration du secrétaire général de la CGT avait fait pousser de hauts cris à la presse bourgeoise et l'Humanité avait dû se rétracter. A l'heure actuelle, le PCF dans sa presse comme dans ses meetings, explique que la gauche, au travers de la crise, peut être appelée au gouvernement avant les prochaines élections. Tout en ajoutant, bien entendu, que seul le suffrage universel pourra sanctionner ce changement de politique.

L'approche de la crise, le spectre du chômage, de l'inflation, des dérèglements économiques, donnent ainsi de nouvelles perspectives aux partis de gauche. Ils trouvent, dans la situation actuelle, un nouvel aliment pour leur propagande. Les militants, notamment ceux du PCF., qui avaient -été déçus par la victoire de la droite aux dernières élections législatives et qui envisageaient avec morosité et scepticisme le nouveau plan électoral quinquennal que leur proposait leur parti, croient aujourd'hui en de nouvelles possibilités. Les dirigeants des partis de gauche peuvent en effet expliquer à leurs militants que les prochaines échéances ne seront pas nécessairement les présidentielles de 1976 ou les législatives de 1978, que l'UDR sera incapable de sortir le pays de la crise, que le pouvoir actuel est trop usé auprès de larges couches de la population pour tenir la barre dans la période difficile qui s'annonce.

Il est vrai que le pouvoir actuel, en place depuis maintenant plus de quinze années, est usé. Eclaboussé par les scandales, en butte à la méfiance, voire à l'hostilité de larges secteurs de la paysannerie, du petit commerce, de la classe ouvrière et des jeunes, les Messmer, Marcellin et autres Giscard abordent une période difficile avec un capital de confiance qui pourrait fort bien s'avérer insuffisant.

Selon le degré de gravité de la crise, des formes qu'elle prendra et des réactions qu'elle pourra provoquer, la bourgeoisie risque d'être confrontée à des problèmes sociaux différents nécessitant des solutions politiques différentes.

Si la période qui s'ouvre est simplement marquée par une accentuation de l'inflation sans que la production, et partant la sécurité de l'emploi et même le niveau de vie des travailleurs en souffre de façon trop brutale, une simple redistribution des portefeuilles ministériels au sein de l'actuelle majorité faisant apparaître à l'avant-scène des hommes nouveaux, peut suffire. A la limite, il serait possible d'y adjoindre quelques réformateurs sauce Lecanuet.

Mais si la crise prend un tour aigu, la bourgeoisie se trouvera devant une situation où de simples tripatouillages au sein de l'actuelle majorité peuvent s'avérer insuffisants. Face à la montée du mécontentement de la classe ouvrière, au développement de luttes importantes visant à préserver au maximum le niveau de vie des travailleurs et à protéger les acquis, la bourgeoisie peut se trouver contrainte de faire appel à l'Union Sacrée, au rassemblement de toutes les forces politiques pour sortir le pays de la crise... en dupant mieux les travailleurs. A cela, le PCF n'aurait rien à redire. Participer au gouvernement avec des partis de droite n'est pas spécialement pour le gêner. La seule chose qu'il évite cependant est de faire état de cette perspective auprès de ses militants que la possibilité d'un gouvernement commun allant de l'UDR au PCF n'enthousiasmerait guère.

A ses militants, le PCF fait miroiter une autre possibilité. Il leur explique que, face à la crise, la seule solution qui s'imposerait serait celle d'une relève du pouvoir actuel par les partis de gauche, par les signataires du Programme Commun de gouvernement.

Le PCF. sait fort bien que cette alternative est très improbable. Pour que la bourgeoisie se résigne à mettre au rancart, même provisoirement, tous les partis de droite pour faire appel exclusivement aux partis de gauche, il faudrait qu'elle soit réellement aux abois, strictement incapable de faire face à la montée des luttes populaires, confrontée à des troubles sociaux d'une extrême gravité. Les partis de gauche, et en premier lieu le PCF, feront d'ailleurs tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher une telle situation de se présenter.

En réalité, la réalisation de l'Union Sacrée peut déjà offrir une solution de rechange satisfaisante à la bourgeoisie. Mais si tous les partis étaient alors conviés à unir leurs efforts pour sortir du marasme et imposer « l'égalité des sacrifices » nécessaire, tous ne seront pas nécessairement conviés à l'exercice du pouvoir.

La bourgeoisie française répugne à laisser le PCF siéger au gouvernement. Elle ne pourrait s'y résoudre que si la crise provoquait de graves réactions au sein de la classe ouvrière dont le PCF seul pourrait venir à bout. A cette condition, et à cette condition seulement, elle pourrait se résoudre à faire appel aux services du PCF , gendarme influent au sein du mouvement ouvrier. Mais si elle peut éviter d'avoir recours à une telle solution, si l'ouverture de l'équipe gouvernementale actuelle aux réformateurs et au Parti Socialiste peut suffire, alors elle ne manquera pas d'utiliser cette solution. Et c'est bien là ce que craint le PCF : la réalisation d'une Union Sacrée limitée au PS sur la gauche et dont le PCF serait exclu. Le PCF craint d'autant plus cette possibilité qu'il sait bien que cela ne gênerait pas outre mesure le Parti Socialiste de renoncer alors au Programme Commun en échange de quelques strapontins ministériels.

Bien entendu, les dirigeants du PCF comme ceux du PS connaissent parfaitement les données de la situation. En vieux singes de la ménagerie parlementaire, ils ont suffisamment de métier, ils ont connu dans le passé trop de situations semblables pour ne rien ignorer de leurs perspectives réciproques.

Aussi, les références de Marchais et de Mitterrand au Programme Commun de gouvernement et au contrat législatif qui les lie ne sauraient faire oublier que le PCF. et le PS mènent chacun leur politique propre et que cette politique peut demain engager les deux formations dans des voies divergentes. A cet égard, il n'y a d'ailleurs pas de réciprocité entre les deux partenaires actuels : si le PS, le cas échéant, peut lâcher le PCF pour participer au gouvernement, on ne saurait en dire autant du PCF dont les perspectives sont autrement plus limitées.

Aussi la politique du Parti Communiste Français doit-elle d'un côté rappeler sans cesse à la bourgeoisie à quel point le PCF est un parti responsable, capable de contenir d'éventuels troubles sociaux, avertir Mitterrand qu'il ne saurait gouverner sans son appui et qu'il aurait tout. à perdre à se priver du seul allié influent qu'il ait au sein de la classe ouvrière. Et en même temps envisager la possibilité d'un abandon du PS et dans ce cas, limiter au maximum les dégâts. Dans ce cas, le PCF risquerait en effet d'être grignoté sur sa droite, une partie de son électorat et de ses sympathisants pouvant être séduits par une opération Mitterrand qui traduirait à leurs yeux une alternative longtemps souhaitée au gaullisme. Mais, dans cette éventualité, le danger n'est pas seulement à droite : le PS peut également mordre, grâce à l'appui qu'il trouverait dans une partie du mouvement gauchiste, sur des secteurs que le Parti Communiste Français contrôle mal, particulièrement au sein de la jeunesse. A cet égard, comme à d'autres, le Chili est un exemple : Allende, grâce aux Jeunesses Socialistes et à l'appui du MIR, avait su trouver, dans les universités, des appuis importants qui avaient gêné le PC chilien.

En fonction de cette situation et de ces perspectives, le Parti Communiste Français doit élaborer une politique différenciée en fonction des milieux sociaux auxquels il s'adresse et des objectifs qu'il se fixe. Au sein de la classe ouvrière, il lui faut préserver son capital de confiance et son influence, à vrai dire guère menacée actuellement. Parmi les jeunes, il doit prendre garde de ne pas laisser une partie de la jeunesse attirée par le PS

Dans cette situation, la grève générale du 6 décembre 1973 a eu un double objectif : pour l'ensemble des formations de gauche, partis politiques et syndicats, la journée du 6 a été une opération pré-électorale visant à montrer que le Programme Commun n'était pas mort et que, face à la crise, il y avait d'ores et déjà une relève possible. Mais pour le PCF, la grève du 6 a eu un autre but : elle a montré, une fois de plus, que sur le terrain de la classe ouvrière, celui de la grève et des manifestations de rue, la seule force qui compte est celle du PCF. et de ses dizaines de milliers de militants. Et cette démonstration n'était pas uniquement orientée en direction de la bourgeoisie. Elle visait également le Parti Socialiste et indiquait à Mitterrand que le seul allié qu'il puisse trouver au sein de la classe ouvrière au cas où il viendrait à gouverner est le PCF Qu'en dehors de lui, il n'y a rien ou presque. A cet égard, la journée du 6 décembre a été un succès pour le PCF et ses militants en sont sortis convaincus qu'aucune solution de rechange n'était possible sans la participation de leur parti aux affaires publiques et sans la mise en œuvre des solutions qu'il préconise.

Mais si des démonstrations comme celle du 6 décembre sont concluantes au sein de la classe ouvrière, si une grève générale réussie peut confirmer l'influence et l'autorité du PCF dans les entreprises, si elle peut encourager les militants et accroître leur confiance dans les possibilités de leur parti, il n'en va pas de même dans les autres milieux sociaux, particulièrement au sein de la jeunesse qui ne s'est absolument pas sentie concernée par la grève du 6 décembre.

Parmi les jeunes, le Parti Communiste Français a un sérieux handicap à remonter. Malgré des efforts épisodiques, mais réels, notamment dans les facultés, il n'a pour l'instant pas réussi à s'implanter sérieusement au sein de la jeunesse. Toutes les grandes luttes qui se sont développées depuis 68 lui ont échappé et sont passées sous la direction des gauchistes. Ce fut le cas lors de l'affaire Guiot, ce fut encore le cas l'année dernière quand des dizaines de milliers de lycéens se sont battus pour les sursis et quand, pour la première fois, des milliers de collégiens de l'enseignement technique se sont mis en grève. A chaque fois, le PCF a été réduit à prendre le train en marche et n'a joué qu'un rôle minime, voire négligeable.

Le PCF. ne s'est jamais accommodé de voir ainsi la jeunesse lui échapper et, ce qui est encore plus grave pour lui, être attirée par les gauchistes. Mais son hostilité fondamentale par rapport aux gauchistes, sa volonté de les isoler à tout prix, de tout faire pour que ses militants ne côtoient pas les gauchistes, l'a souvent conduit à déserter le terrain plutôt qu'à engager une compétition politique pour disputer aux gauchistes la direction des luttes. Cette attitude a desservi le PCF et il en a pris conscience. L'année dernière déjà, au cours de la lutte contre la loi Debré, le PCF avait pris un tournant et on avait pu voir Séguy défiler au coude à coude, ou presque, avec les dirigeants gauchistes des Comités d'action.

Et aujourd'hui, le PCF craint qu'une partie de la jeunesse puisse être utilisée contre lui par le PS dans le cadre d'un changement de gouvernement. C'est ce qui explique que, pour tenter de couper l'herbe sous les pieds de ses concurrents, le PCF ait quelque peu modifié son attitude au sein de la jeunesse, qu'il soit devenu quelque peu plus offensif, qu'il ait été jusqu'à reprendre à son compte les méthodes des gauchistes. C'est ainsi qu'on a pu voir, depuis quelque temps, l'intervention des Jeunesses Communistes se faire plus incisive : occupation de l'ambassade chilienne et séquestration de personnalités dans le plus pur style gauchiste, organisation de manifestations lycéennes pour protester contre les sanctions de l'administration, tentative de mettre sur pied une organisation indépendante des élèves de l'enseignement technique avec édition d'un matériel de propagande spécial, propagande faite par le PCF auprès des professeurs pour qu'ils comprennent et soutiennent les luttes des jeunes lycéens et collégiens, ce qui n'avait guère été le cas jusqu'à présent.

Mais les préoccupations du p.c.f. au sein de la jeunesse ne sont finalement que des données marginales de la situation. les perspectives du parti communiste français, ses rapports avec le p.s. s'inscrivent avant tout dans une conjoncture qui sera marquée par l'ampleur de la crise qui menace et par la vigueur et la conscience des réactions de la classe ouvrière. a cet égard, le jeu du p.c.f. est clair : il fera tout ce qui est en son pouvoir pour démontrer, à chaque étape du développement des luttes, qu'il est le seul parti capable de faire régner l'ordre sur le front social, le seul gendarme efficace au sein du mouvement ouvrier, le seul auquel il soit rentable de faire appel pour faire supporter la crise aux masses populaires avec des réactions limitées de la part des travailleurs.

Toute la politique du PCF est axée sur une participation au pouvoir des partis de gauche, sur la gestion, par des partis ouvriers, des affaires de la bourgeoisie. Dans cette voie, la classe ouvrière ne peut connaître que des déboires, des revers, voire des catastrophes comme au Chili. Car les solutions que le PCF préconise, organiser le renoncement consenti au niveau des masses populaires pour maintenir les profits des groupes capitalistes, ne peuvent qu'affaiblir l'ensemble du mouvement ouvrier, accroître le désarroi, renforcer les partisans d'un régime musclé et leur permettre de trouver des soutiens dans certaines fractions de la petite bourgeoisie et finalement ouvrir la voie à l'aventure militaire. C'est cela que les révolutionnaires auront le devoir d'expliquer aux travailleurs face à la crise qui menace. En s'efforçant, à chaque étape, de mettre en avant les revendications susceptibles d'unifier la classe ouvrière, d'accroître sa combativité, de développer sa confiance en ses propres possibilités.

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