Moyen-orient : quel danger représente la résistance palestinienne pour les états arabes ?01/11/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Moyen-orient : quel danger représente la résistance palestinienne pour les états arabes ?

Une fois de plus, les événements qui se déroulent au Liban soulignent, si besoin était, l'hostilité de l'ensemble des États arabes à l'égard de la Résistance palestinienne. Il est vrai que dans la guerre civile libanaise le problème palestinien n'a pas été la raison dominante du conflit. Le déclenchement de l'offensive de la droite, soutenue ultérieurement par l'intervention militaire de la Syrie, avait pour but de réduire en premier lieu le camp de la gauche libanaise derrière lequel se rangent la grande majorité des masses musulmanes opprimées. Mais au Liban, c'est en parallèle avec la Résistance palestinienne que les travailleurs et les masses déshéritées ont développé leur lutte, et c'est ensemble qu'ils ont à subir les assauts de toutes les forces réactionnaires.

Que les Phalanges, ces corps de répression de la bourgeoisie chrétienne maronite, aient pris les armes contre le camp palestino-progressiste n'est somme toute pas surprenant, dans la logique du combat de classes qui ensanglante le Liban. Tout au plus, cela témoigne de la rage et de la férocité des classes possédantes contre les travailleurs et les couches populaires lorsqu'il s'agit de défendre leurs positions dominantes. Mais que la Syrie, pays prétendument « progressiste », se soit rangée auprès des Phalanges chrétiennes contre les libanais musulmans et les Palestiniens, voilà qui a surpris plus d'un observateur.

Et pourtant, cette alliance n'est pas contre-nature, elle exprime simplement la convergence de diverses forces qui, toutes, d'une façon ou d'une autre, redoutent la remise en cause du statu quo, de l'équilibre instable du Moyen-Orient par les masses populaires, palestiniennes comprises. La droite, parce qu'elle veut sauvegarder les intérêts et les privilèges de la bourgeoisie libanaise, briser la gauche et mettre au pas la Résistance palestinienne ; l'État syrien, par hostilité envers un mouvement pouvant déboucher sur un changement politique et être là-même un exemple pour les populations avoisinantes.

Mais la politique de tous les autres États arabes à l'égard de la Résistance palestinienne est, comme vient d'en témoigner une fois de plus la conférence de Ryad suivie de celle du Caire, politiquement semblable à celle du gouvernement de Damas. Anouar El Sadate l'Égyptien, Khaled le Saoudien, et Sabah le Koweïtien viennent tous de sceller une véritable Sainte-Alliance en vue de cautionner l'écrasement de la Résistance perpétré par Assad le Syrien, puisque le prétendu « plan de paix » de Ryad masque à peine la volonté des chefs d'État d'amener les Palestiniens à capituler, en ne laissant subsister leurs organisations que sous une forme étroitement contrôlée, dans les camps et sous la tutelle des armées syrienne et arabes.

Et cette attitude présente n'est pas nouvelle. Septembre Noir de 1970 est encore frais dans toutes les mémoires. Septembre Noir qui vit le boucher Hussein accomplir sa funeste besogne sous l'oeil complice de tous les autres États arabes. L'on s'en souvient, durant les dix jours de tuerie, les régimes nassérien, irakien, syrien, sans parler des autres, avaient par delà leur démagogie, révélé dans quel camp ils étaient véritablement. Car si Hussein a pu alors intervenir, ce fut fort de la complicité de toutes les forces politiques qui déchirent la région : les États-Unis, Israël et l'URSS bien sûr, qui désiraient comme ils désirent aujourd'hui, le statu quo, basé sur le refus de reconnaître les droits nationaux du peuple palestinien. Mais aussi l'ensemble des régimes arabes, de ceux qui s'affirment conservateurs à ceux qui se prétendent anti- impérialistes.

Une politique étroitement nationaliste

La guerre civile actuelle au Liban comme le Septembre Noir jordanien ont bien montré l'hostilité profonde des États arabes envers la Résistance palestinienne à partir du moment où celle-ci devient une force importante et organisée.

C'est que la Résistance palestinienne représente un réel danger pour tous les gouvernements en place, et ceux-ci l'ont tout de suite compris. Qu'ils se rangent parmi les pays les plus réactionnaires du Moyen-Orient, ou bien parmi ceux que l'on désigne comme « progressistes », qu'ils entretiennent des relations privilégiées avec l'impérialisme américain ou qu'ils tentent de se dégager de sa tutelle, tous ont toujours témoigné leur hostilité envers l'existence d'une Résistance indépendante.

Et bien que les dirigeants des organisations palestiniennes se soient employés à essayer de rassurer les chefs d'État arabes, bien qu'ils aient affirmé haut et fort leurs ambitions purement nationalistes et qu'il n'était pas question pour eux de s'ingérer dans les affaires intérieures des États arabes, cela n'a jamais constitué une garantie suffisante. Et pour cause, car l'existence d'une Résistance puissante présente dans plusieurs États, l'existence de milliers d'hommes armés ayant des objectifs identiques, un commandement militaire commun, ayant en un mot une politique qui leur soit propre, et qui surtout sont disséminés dans nombre de pays, est à terme un danger pour tous les gouvernements du Moyen-Orient.

Dans cette partie du monde, balkanisée à l'extrême par la domination impérialiste, les diverses bourgeoisies nationales ne peuvent supporter qu'une force supranationale existe, sans contrôle par leurs propres appareils d'État, même si cette force mène elle-même une politique nationaliste.

Pourtant la Résistance palestinienne ne se donne pas pour but de bouleverser les rapports sociaux existants. Au contraire, elle fait un dogme de sa non-immixtion dans les affaires intérieures des pays frères. Arafat ne recherche aucunement l'appui de toutes les masses opprimées, des fellahs et des travailleurs exploités, contre leur propre gouvernement. Il recherche au contraire les appuis des Sadate et autres Assad, de tous les dirigeants du Moyen-Orient, quelle que soit leur attitude à l'égard des masses arabes.

Une telle politique a eu par deux fois les effets néfastes que l'on sait, mais elle est la seule que des dirigeants nationalistes bourgeois peuvent consciemment mener, même si elle isole leur combat, même si elle les prive du seul appui qui pourrait être déterminant pour eux : celui de tous les opprimés du monde arabe.

Les seules fois où les fedayins ont utilisé le soutien dont ils bénéficiaient au sein des populations arabes, ce fut uniquement pour faire pression sur les gouvernements en place afin que ceux-ci leur laissent le terrain libre dans leur lutte contre l'État hébreu. A plusieurs reprises, tant en Jordanie avant le Septembre Noir, qu'au Liban, les Palestiniens ont eu à s'opposer militairement aux forces de répression lancées contre eux. Ils se sont alors battus avec courage et détermination, mais en restant toujours sur le terrain étroit de leur nationalisme, sans jamais donner d'objectifs propres aux masses arabes. Une telle politique qui se donnait comme unique but la lutte contre l'État d'Israël, et qui assignait comme seuls objectifs aux masses arabes de faire pression sur leurs gouvernements pour qu'ils mènent également cette lutte, outre le fait qu'elle consolidait en fin de compte des régimes profondément hostiles aux Palestiniens, a conduit toute la Résistance à une impasse, voire à une faillite.

Il pourrait sembler que les événements qui se déroulent actuellement au Liban contredisent de telles affirmations, puisque jusque là, dans le combat qui oppose la gauche musulmane aux Phalanges chrétiennes, les Palestiniens se trouvent du côté du camp « progressiste ». Mais cet engagement militaire contre la droite, s'il a été effectif, n'est pas le résultat d'une politique voulue et décidée de la Résistance, entendant lutter contre tout ce que le pays compte comme éléments réactionnaires. Lors des premiers combats de la guerre civile, les organisations palestiniennes ont déclaré qu'elles n'avaient pas à intervenir dans les affaires internes du Liban, dans les luttes « religieuses ». Et c'est parce que les Phalanges sont passées à l'attaque contre les commandos de fedayins, que certaines organisations ont, en fin de compte, pris parti pour la gauche en se défendant contre la droite. Mais depuis le début du conflit, le camp palestino-progressiste n'est pas homogène, ce qui a permis au gouvernement de Damas de proposer à plusieurs reprises aux Palestiniens des négociations séparées.

Non, les fedayins ne sont pas les combattants d'une prétendue révolution arabe, mais bien ceux d'un étroit nationalisme. Et ce n'est pas parce que la Résistance organise en son sein des hommes et des femmes parmi les plus déshérités du Moyen-Orient, qu'automatiquement son combat revêt un caractère social. Tout au plus peut-elle, dans certaines circonstances particulières, comme au Liban, accélérer, sans que cela soit son objectif, l'émergence d'un mouvement populaire. Parce que là, le gouvernement est rentré en conflit avec les Palestiniens, parce que ceux-ci ont réussi, pour un temps du moins, à conquérir par leur résolution et leur force droit de cité, ils ont forcé l'admiration et la sympathie d'une fraction de la population, ils ont prouvé à toutes les masses déshéritées de ce pays qu'il était possible de s'opposer à leur propre gouvernement, accélérant par là leur mobilisation.

Un embryon d'état panarabe ?

Mais pour tous les États arabes, le problème n'est pas seulement l'existence dans un certain nombre de pays d'organisations palestiniennes armées, puissantes, véritables pouvoirs concurrents, encore que cela constitue toujours une situation difficile. Le danger pour tous ces États, pour ceux qui abritent des fedayins, comme pour les autres, est de voir surgir une force, un embryon d'État supranational capable de cristalliser les aspirations panarabes de toutes les masses populaires.

Il est vrai que durant de nombreuses années, les Palestiniens ont bénéficié dans une certaine mesure de l'ambiguïté de la position des États arabes à leur égard. Certes, les dirigeants arabes n'avaient que faire des Palestiniens et souhaitaient voir le moins possible chez eux ces masses misérables. De plus, la politique terroriste d'Israël vis-à-vis des pays qui accueillaient les fedayins a conduit ces derniers à limiter la liberté d'action des commandos. Mais d'un autre côté, les Palestiniens et leur lutte sont dans le monde arabe un puissant symbole nationaliste que les gouvernements du Moyen-Orient utilisèrent à leur profit afin d'exacerber ces sentiments lorsqu'ils avaient besoin de faire oublier à leur population de graves problèmes intérieurs.

Ainsi donc, pendant près de vingt-cinq ans, les dirigeants arabes ont utilisé la tragédie du peuple palestinien pour faire oublier la misère et l'oppression de leur propre peuple. Ils ont présenté le problème palestinien comme le problème de tous les Arabes. C'était là encourager les fellahs égyptiens, syriens ou jordaniens à se sentir totalement solidaires des fedayins, à partager leurs espoirs et leurs aspirations.

Cela ne tirait pas à conséquence tant que les organisations palestiniennes étaient pratiquement inexistantes, tant que les réfugiés crevaient tout doucement dans leurs camps, tant que c'étaient les États arabes eux-mêmes qui apparaissaient comme le fer de lance de la lutte contre Israël pour reconquérir la Palestine. Mais depuis la guerre des Six Jours, les choses ont quelque peu changé. Les organisations palestiniennes se sont considérablement renforcées, par l'afflux dans les camps de dizaines de milliers de nouveaux réfugiés, et aussi parce que l'échec de la politique des États arabes a mené nombre d'entre eux à rechercher des solutions et une politique purement palestiniennes. Et dès lors, il est clair que l'existence de ce mouvement palestinien puissant pose un problème aux gouvernements en place, problème qui a été manifeste en Jordanie et au Liban, moins évident mais en fait tout aussi crucial dans les autres pays arabes. D'autant plus que ceux-ci ont depuis quelque temps déjà jeté par dessus bord le mythe tant agité de la nécessaire unité arabe.

Durant toute une période, celle du nassérisme triomphant, le panarabisme était le fait de l'Égypte et dans une moindre mesure celui de la Syrie et du Soudan. Mais cette idéologie n'était pas seulement une vulgaire démagogie lancée par un chef d'État voulant faire figure de leader du monde arabe. Elle répondait aux voex d'une fraction importante de la petite bourgeoisie nationaliste.

La recherche d'ensembles économiques plus viables était une nécessité, puisque le cadre légué par l'impérialisme est bien loin d'être le meilleur du point de vue du développement économique du Moyen-Orient.

C'est pourquoi Nasser, en levant le drapeau de l'unité arabe proposait un processus conduisant à la création d'un État arabe unifié, afin de renforcer les faibles bourgeoisies nationales face à l'impérialisme, de les fondre en une seule, de se donner les moyens de faire naître un marché capitaliste au Moyen-Orient permettant un plus large développement de la bourgeoisie, indépendamment de l'impérialisme.

Certes, les événements l'ont prouvé, l'unité s'est révélée être un mythe pour la simple et unique raison qu'il n'est pas possible de fusionner démocratiquement deux États représentant chacun les intérêts de deux bourgeoisies différentes. Mais tant que l'unité arabe fut une idéologie agitée par certains gouvernements eux-mêmes, la Résistance palestinienne n'apparut pas, du moins dans le concert de la démagogie panarabe, comme la seule représentante de cette idéologie.

Cependant, les choses ont changé depuis la fin des années soixante, dès avant la mort du Raïs, puisque les échecs supportés par toutes les expériences nassériennes, les coups portés à l'Égypte par la politique d'Israël, amenèrent Nasser, puis son successeur Anouar El Sadate, ainsi que bien d'autres chefs d'État, à une politique moins violemment nationaliste et panarabe, à la recherche d'un compromis honorable avec l'impérialisme, voire même avec l'État sioniste.

Alors, au sein de cette nouvelle situation, la Résistance palestinienne se retrouve seule, dans tout le Moyen-Orient, à continuer le combat contre Israël. Et c'est sur elle que risque désormais de se porter tous les sentiments nationalistes panarabes qui persistent dans la conscience de millions d'opprimés. Et la Résistance a beau proclamer que son combat est purement palestinien, elle n'en est pas moins aujourd'hui, de par sa simple existence, et dans ce cas indépendamment de sa politique, susceptible de cristalliser, même à son corps défendant, de tels sentiments.

C'est bien cela que craignent le plus tous les États arabes : de laisser subsister une force supra-nationale capable d'influencer de manière décisive leur propre politique, voire même de mettre en cause leur indépendance en tant qu'État. Et c'est là la raison essentielle qui explique leur volonté de la mettre au pas.

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