Liban : la Syrie aux cotés de la phalange pour maintenir l'ordre01/03/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Liban : la Syrie aux cotés de la phalange pour maintenir l'ordre

 

Après un mois et demi de trêve, la crise libanaise semble bien près de déboucher une nouvelle fois sur la guerre civile ; la mutinerie d'une forte partie de l'armée sous la direction du lieutenant Ahmed Al Khatib, le coup d'État du général Aziz Al Abdab, le refus de démissionner du Président de la République Soleiman Frangié, démontrent en tout cas que la trêve imposée fin janvier 1976 avec la garantie de la Syrie, était loin de suffire à mettre un terme à la crise. Le plan de réformes politiques mis au point sous le parrainage de la Syrie, et qui se limitait à quelques réformes de détail, accordant 50 % des sièges parlementaires aux musulmans au lieu de 45 % auparavant, n'aura même pas reçu un début d'exécution.

A n'en pas douter, la crise libanaise va connaître de nouveaux développements, dont il est impossible de prévoir le détail. Mais derrière l'apparente confusion des forces politiques et l'enchevêtrement des événements, ceux-ci ont leur logique : un certain nombre de forces, concourant au maintien de l'ordre existant, s'affirment dans cette région du Moyen-Orient. Ces forces ne sont pas seulement les milices phalangistes, engagées dans une tentative de bain de sang contre les masses pauvres libanaises, essentiellernent musulmanes. Ce sont aussi les forces armées syriennes... et les milices de la Résistance palestinienne. Car ces différentes forces ne sont pas seulement des rivales. Elles agissent aussi de façon convergente. Ni l'action des milices phalangistes (bien sûr), ni celle des forces syriennes et palestiniennes ne s'exercent dans un sens favorable aux intérêts des couches pauvres du Liban qui, durant la guerre civile, se sont mobilisées et armées.

L'accord intervenu à la fin du mois de janvier, à la suite de la médiation syrienne, semblait à première vue favorable aux forces du rassemblement dit « Islamo-progressiste », c'est-à-dire à l'alliance des partis de gauche et de la Résistance palestinienne et aux masses qui se battaient sous leur direction. En effet, les organisations palestiniennes, sous contrôle syrien, se voyaient confier le contrôle des secteurs dominés par la gauche. La droite, apparemment, reculait donc, et renonçait à sa prétention de briser les milices de la gauche et de la Résistance palestinienne. Mais ce recul de la droite n'était qu'un compromis avec des forces agissant, en fait, dans un sens parallèle à elle. Car c'est bien comme forces du maintien de l'ordre existant que les forces syro-palestiniennes se voyaient confier la responsabilité des secteurs contrôlés par la gauche.

Ainsi, ce qui apparaissait comme une capitulation de la droite devant « l'ordre syro-palestinien » ne l'était qu'à première vue. car, si un des principaux chevaux de bataille de la droite dans la guerre civile a été de s'en prendre aux éléments étrangers, et en particulier à la résistance palestinienne, ce n'était pas le seul - ni le principal - objectif de l'action des phalanges. ceci répondait, en fait, à des préoccupations de politique intérieure.

En déclenchant l'offensive, en mai 1975, contre la présence palestinienne au Liban, la droite phalangiste se présentait comme le défenseur de l'intégrité libanaise contre les ingérences extérieures. Elle proclamait que tout irait bien au Liban s'il n'y avait eu ces gêneurs de palestiniens, et qu'il fallait donc, une fois pour toutes, les chasser du pays ou les contraindre à respecter « la loi libanaise »... c'est-à-dire en fait à renoncer à s'organiser et à s'armer pour la défense de leurs droits. L'affrontement armé avait été préparé de longue date, durant tout l'hiver 1974-1975, par une campagne systématique des phalangistes contre les organisations palestiniennes, traitées « d'éléments étrangers », de « trublions rouges », « communistes » menant des « activités non-libanaises », avec toute la démagogie nationaliste possible. En même temps, les milices de la droite phalangiste s'étaient armées jusqu'aux dents.

Cette propagande contre les palestiniens avait pour but non seulement de se préparer à chasser ceux-ci, mais de spéculer sur les préjugés de la petite bourgeoisie libanaise, de confession essentiellement chrétienne maronite, en développant chez elle un sentiment de peur, et une réaction de défense à ceux que l'on présentait comme les envahisseurs musulmans. L'objectif des dirigeants phalangistes était, ainsi, de faire de cette petite bourgeoisie une masse de manoeuvre docile, prête à fournir les troupes des milices phalangistes. Mais l'affrontement que la droite préparait ne visait pas seulement, ni même essentiellement, les milices de la Résistance palestinienne. Car la société libanaise et le régime politique étaient en crise, non du fait de la présence palestinienne, mais pour des raisons économiques, sociales et politiques plus profondes.

Le Liban a été surnommé, pendant longtemps, « la Suisse du Proche Orient ». La prospérité économique des couches dirigeantes, l'existence, dans ce pays du Moyen-Orient, des apparences d'un capitalisme à l'occidentale, sont basées sur le rôle d'intermédiaire que la bourgeoisie libanaise a su acquérir dans l'ensemble des transactions financières au Moyen-Orient, et entre les pays du MoyenOrient et les pays occidentaux. La richesse de Beyrouth et de la bourgeoisie locale s'est établie grâce au rôle de banquier que celIe-ci a pu jouer, grâce aux antennes de grandes sociétés occidentales qui se sont établies dans la place et se sont données des représentants libanais, grâce aux nombreux fonds qui se sont accumulés dans les coffres des banques de la ville. Dans un Moyen-Orient en proie à la guerre et aux crises politiques, Beyrouth et le Liban ont semblé offrir pendant des années les garanties de stabilité politique nécessaires pour pouvoir jouer ce rôle de place financière. Et, pendant des années, les fonds pétroliers en particulier, ont eu la place bancaire de Beyrouth comme lieu de transit privilégié. Cela a fait tout à la fois la prospérité de la bourgeoisie libanaise, essentiellement chrétienne maronite, et ancré en elle le désir de maintenir farouchement son indépendance à l'égard du reste du monde arabe, en préservant un particularisme et un isolement qui faisaient sa richesse.

Mais cette richesse de la bourgeoisie maronite ne se traduisait pas par un développement économique réel du pays. La population pauvre du Liban, celle des campagnes et des faubourgs, est restée pauvre. A la campagne, elle a continué à travailler et à vivre dans des conditions moyenâgeuses, sous la coupe des propriétaires féodaux. A la ville, elle a connu les bas salaires, et surtout le chômage. Et la situation n'a fait qu'empirer avec l'afflux, aux portes de Beyrouth, de réfugiés fuyant le Sud-Liban en proie aux bombardements israéliens.

Pendant des années, la bourgeoisie maronite a su quand même se maintenir, en ajoutant en fait à sa domination économique sa mainmise sur le pouvoir politique. Car la « démocratie confessionnelle », présentée à l'extérieur comme un miracle de concorde, d'équilibre et de coexistence entre différentes communautés, n'était que l'organisation de cette domination. Le pacte national de 1943 établit que les organismes politiques de l'État doivent être composés, d'une façon proportionnelle à leur importance respective, de représentants des différentes communautés confessionnelles. Il établit également que la Présidence de la République doit revenir à un maronite, et la Présidence du Conseil des Ministres à un musulman. Dans les faits, cela établit une véritable démocratie des chefs de clan, fondée sur le compromis entre les dirigeants politiques qui, dans chaque communauté religieuse, font figure de chef. C'est ainsi que la stabilité politique - très relative d'ailleurs - du Liban s'est appuyée, en haut, sur les compromis entre ces différents chefs de clan, sous la direction de ceux du clan chrétien maronite, et en bas sur l'autorité traditionnelle dont ces personnages disposaient auprès des masses.

Mais le conflit israélo-arabe, les modifications des rapports de force et des courants commerciaux dans le monde arabe, ont miné cette stabilité. La bourgeoisie libanaise a perdu en grande partie son rôle de médiateur privilégié au Moyen-Orient. Les gouvernements des différents pays arabes peuvent, de plus en plus se passer de cet intermédiaire, et les capitaux arabes n'affluent plus de la même façon vers les banques de Beyrouth. En même temps, la bourgeoisie libanaise devient de plus en plus tributaire du marché des pays voisins dans lequel l'économie du pays s'intègre de plus en plus.

La crise économique mondiale n'a pu qu'avoir des répercussions graves sur une bourgeoisie vivant essentiellement de son rôle d'intermédiaire dans le marché mondial. Elle a aggravé la situation économique. L'inflation a rongé le niveau de vie des masses travailleuses. Et sur le plan politique, cette évolution s'est doublée de la désagrégation de l'équilibre traditionnel. Les dirigeants traditionnels ont perdu leur influence, au profit des partis de gauche : le Parti Socialiste de Kamal Joumblatt, le Parti Communiste. Les bombardements israéliens sur le Sud Liban ont entraîné la formation, près des villes, de camps de réfugiés libanais qui, détachés du cadre de vie traditionnel, échappaient également à l'autorité traditionnelle des communautés religieuses. Une des bases de la « démocratie confessionnelle » qui avait permis la stabilité politique du Liban était ainsi battue en brèche. En même temps, connaissant les mêmes conditions de vie que les réfugiés palestiniens, vivant souvent dans les mêmes bidonvilles, les masses libanaises ne pouvaient qu'être portées à imiter leur mode d'action, à s'organiser et à s'armer.

Cette montée de la gauche, tout à la fois sous l'effet des contradictions du pays luimême, et devant l'exemple de la Résistance palestinienne, a été illustrée par les grandes manifestations de solidarité avec la Résistance palestinienne, par les progrès de la gauche aux élections d'avril 1972, et par la multiplication des grèves et des conflits sociaux.

C'est dans ce contexte que se place le rôle des milices phalangistes. La Phalange, organisation d'extrême-droite, avait été fondée avant la Deuxième Guerre mondiale par Pierre Gemayel. Le fait nouveau, c'est que la bourgeoisie libanaise, en particulier chrétienne maronite, envisageait de se servir de lui pour mobiliser la petite bourgeoisie chrétienne, au nom du « péril musulman », et pour porter des coups à la gauche. Il s'agissait pour elle de défendre coûte que coûte sa position et ses privilèges, au besoin par un bain de sang contre tous ceux qui pouvaient les remettre en cause. Dans ce cadre, l'offensive des phalanges contre la Résistance palestinienne était à la fois une attaque contre des « empêcheurs de danser en rond » qui fournissaient un fâcheux exemple aux masses libanaises, et un moyen de mobiliser la petite bourgeoisie, grâce à une démagogie nationaliste, rejetant la faute de tous les maux du pays sur les « éléments non-libanais ».

Cette offensive a trouvé l'assentiment ou au moins la passivité de l'ensemble des gouvernements du monde arabe. Au moment où une négociation venait de permettre à l'Égypte d'obtenir des concessions territoriales dans le Sinaï, et de resserrer ses liens avec l'impérialisme américain, il n'était pas surprenant de voir le gouvernement de Anouar El Sadate se réjouir de ce que les Phalanges s'en prenaient vigoureusement aux milices de la Résistance palestinienne, élément discordant dans cette négociation. Mais surtout, tous les gouvernements arabes partageaient l'appréhension du gouvernement libanais devant la montée de la gauche dans le pays. Celle-ci, conjuguée à l'armement et à la mobilisation des masses palestiniennes, pouvait remettre en cause un équilibre politique bien difficile à maintenir dans cette région. Le gouvernement de la Syrie, qui se prétend « progressiste », lui-même multiplia les contacts amicaux avec les dirigeants de la Phalange. Les dirigeants syriens ne voyaient pas d'inconvénient à l'entreprise politique des phalangistes. Leur inquiétude venait de l'orientation future que pourrait avoir un gouvernement libanais dominé par la droite chrétienne. Ils redoutaient un gouvernement chrétien pro-occidental et peut-être même pro-israélien, aboutissant à l'isolement diplomatique de la Syrie. Mais ils comprenaient fort bien le rétablissement de l'ordre entrepris au Liban par les Phalanges.

Dans cette liste de gouvernements favorables à l'offensive phalangiste ou passifs devant elle, il faut ajouter le gouvernement israélien qui ne pouvait qu'attendre avec plaisir l'écrasement de la Résistance palestinienne et de la gauche. Les phalangistes semblaient donc avoir tous les atouts en main.

Mais l'entreprise des Phalanges devait se heurter à une résistance imprévue : celle de la gauche et des masses pauvres, essentiellement musulmanes. Celles-ci, armées et organisées sous l'égide des formations de gauche, rendirent coup pour coup à l'offensive phalangiste, créant sur le territoire libanais de véritables zones libérées où la seule autorité reconnue était celle des milices de la gauche, comme ce fut le cas de la ville de Tripoli au mois de septembre 1975. Au bout de quelques mois de guerre civile, il devait devenir clair que les Phalanges ne pourraient pas, par leurs propres forces, écraser ni la gauche, ni la Résistance palestinienne au Liban.

L'extrême-droite s'est révélée trop faible pour rétablir l'ordre à sa manière. L'armée, minée par certains des antagonismes de l'ensemble de la société, entre son sommet dominé par les maronites et les troupes en majorité musulmanes, n'était pas à même de rétablir l'ordre. Les cercles dirigeants ont préféré la laisser hors des conflits pour tenter de préserver son unité.

Restait l'intervention étrangère. C'est sans doute là-dessus que misait la droite dès lors qu'elle s'est révélée incapable d'écraser la gauche.

L'impérialisme américain est déjà intervenu une fois, dans le passé, directement en débarquant ses marines.

En d'autres circonstances, et de façon plus limitée géographiquement, Israël, principal gardien de l'ordre dans la région, est déjà intervenu dans le sud du Liban.

En tout état de cause, une intervention israélienne dans la crise libanaise risquait de déclencher une large crise au Moyen-Orient.

Mais finalement, l'intervention étrangère est venue de la Syrie, qui ne souhaitait voir ni l'impérialisme américain, ni à plus forte raison Israël, intervenir au Liban, et qui avait ses propres raisons de vouloir rétablir l'ordre dans ce pays.

Tel est le sens de l'intervention, à la fin du mois de janvier, des éléments de la résistance palestinienne sous commandement syrien. ces forces intervenaient sinon pour écraser les milices de la gauche, du moins pour rétablir progressivement l'autorité et « l'ordre » dans les régions contrôlées par celles-ci. sur le plan politique, l'intervention s'accompagnait d'un compromis avec les dirigeants libanais. ceux-ci s'engageaient à effectuer un plan de réformes politiques, en pratique complètement vide. en réalité, s'il y avait engagement, il ne venait pas des dirigeants libanais. ce sont les dirigeants syriens qui, par cet accord, s'engageaient à travailler à restaurer l'autorité politique du gouvernement libanais. les milices de la résistance palestinienne, sous la « médiation » syrienne, s'engageaient ainsi dans une entreprise de restauration de l'ordre et de l'autorité de l'état au profit de ces dirigeants politiques libanais qui, depuis des mois, portaient une grande part de responsabilité dans la tentative phalangiste d'écrasement de la gauche... et de la résistance palestinienne !

En fait, l'engagement de la Syrie et des forces palestiniennes qu'elle contrôle se faisait explicitement dans le sens souhaité par la droite ; car il allait dans le sens de la mise au pas des milices de la gauche et des « éléments incontrôlés » de la Résistance palestinienne - c'est-à-dire de ceux qui avaient, trop ouvertement, pris le parti du peuple libanais. Les organismes de contrôle militaire mis en place par la Syrie comprenaient des officiers syriens, libanais, palestiniens (en général membres de la Saïka, c'est-à-dire sous contrôle syrien), et des représentants des milices chrétiennes, phalangistes ou chamounistes. Mais aucun représentant des milices de la gauche n'était admis. Dans les secteurs contrôlés par la droite, le maintien de l'ordre était reconnu aux milices phalangistes. Mais dans ceux contrôlés par la gauche, c'était aux patrouilles palestiniennes sous contrôle syrien qu'etait dévolu ce rôle, à l'exclusion des milices de la gauche.

Oui, « l'ordre syrien » régnait au Liban mais cet « ordre syrien » procédait à la mise au pas de la gauche, à la reprise en main des milices palestiniennes par la Syrie et les éléments modérés parmi les dirigeants palestiniens. Il ne touchait pas aux milices chrétiennes armées et mobilisées ; il collaborait à l'entreprise de restauration de l'autorité des dirigeants politiques libanais qui, en favorisant l'entreprise phalangiste, avaient pourtant bien failli perdre tout leur crédit.

Curieuse alliance que cette alliance entre la droite chrétienne libanaise, les dirigeants syriens et les éléments modérés dominant la Résistance palestinienne ? Sans doute, mais ce n'est pas une alliance contre nature. C'est la convergence de différentes forces qui redoutent toutes, d'une façon ou d'une autre, la remise en cause de l'équilibre instable du Moyen-Orient par les masses populaires : la droite chrétienne, parce qu'elle veut sauvegarder les privilèges et les intérêts de la bourgeoisie libanaise, mettre au pas la gauche et briser, ou au moins contrôler la Résistance palestinienne ; l'État syrien parce que, à la fois par hostilité sociale à l'égard des masses et par intérêt diplomatique et militaire, il ne veut pas d'un changement politique au Liban ; les dirigeants de la Résistance palestinienne parce qu'ils redoutent de se voir impliqués dans le conflit intérieur libanais, et préfèrent maintenir la politique de non-ingérence, de recherche d'accords et de soutiens auprès de tous les gouvernements aussi réactionnaires qu'ils soient, qui est leur politique traditionnelle. Et si les uns et les autres pouvaient ainsi, relativement aisément, trouver un terrain d'entente, c'est qu'une hostilité commune aux masses en lutte les réunissait.

Quant à la gauche libanaise, elle apparaît comme la grande perdante de cette affaire. Mais l'absence d'autres perspectives politiques de sa part l'a condamnée à rester pratiquement muette face à un compromis qui, en réalité, consacrait sa défaite politique. C'est que le radicalisme des moyens de lutte utilisés par les masses, organisées et armées en milices, ne signifiait pas un radicalisme politique, au niveau des objectifs que leur assignaient les dirigeants du mouvement. Au contraire, le principal dirigeant de la gauche, Kamal Joumblatt, se bornait à revendiquer l'application de réformes politiques qui, sur le fond, n'avaient rien de bien différent de celles que, lors de la trêve de fin janvier, les dirigeants libanais et syriens ont promis d'appliquer. Et cette absence de perspectives politiques ne pouvait que laisser les militants de la gauche désarmés lorsque, venant de Syrie, ils virent arriver des miliciens palestiniens qui leur signifièrent que ce serait eux désormais qui se chargeraient du maintien de l'ordre.

Il y a, bien sûr, une différence entre la « mise au pas » des régions contrôlées par le rassemblement de gauche, sous l'égide de la Syrie, et ce qu'aurait été leur écrasement par les milices phalangistes.

La gauche libanaise, si elle est sans doute en partie démoralisée, n'est pas écrasée et garde ses forces intactes. Et, en dernière analyse, cela est le résultat du rapport de forces que, en s'armant et en s'organisant, les masses musulmanes pauvres ont su établir contre les milices de la droite qui voulaient les écraser. Car c'est à cause de ce rapport de forces que les dirigeants de la droite ont dû renoncer à leur projet, et passer un compromis avec la Syrie et les éléments modérés de la Résistance, chargés de procéder à une mise au pas plus souple. Ce succès, pour partiel et limité qu'il soit, reste une leçon inoubliable pour les masses libanaises, et pour tous les peuples de la région. Mais, dans la suite des événements, l'absence de perspectives politiques ne peut que les laisser plus désorientés que jamais.

Car tous les éléments du conflit restent en place. La droite surtout n'a pas dit son dernier mot. Après l'entreprise de « remise au pas » syro-palestinienne, elle peut estimer les conditions réunies, cette fois, pour le succès total de son entreprise contre la gauche... et aussi contre la Résistance palestinienne. Celleci ne ferait ainsi que répéter la tragique expérience du « septembre noir » jordanien, au cours duquel les forces palestiniennes furent écrasées par les troupes du roi Hussein, c'est-à-dire par les troupes d'un régime que, précisément, les dirigeants palestiniens avaient contribué à maintenir en place.

C'est bien d'ailleurs parce que le conflit n'est pas réglé que la crise politique s'éternise au sommet de l'État, et que la colonne vertébrale de celui-ci, l'armée, se désagrège de mutinerie généralisée en tentative de coup d'État. Et, si elle veut éviter la reprise de la guerre civile et de l'offensive de la droite, la Syrie n'a que le choix de s'engager de plus en plus au Liban, dans son entreprise de restauration de l'ordre et de l'autorité de l'État. C'est ainsi que l'on peut voir le gouvernement « progressiste » de Hafez Al Assad devenir le principal et le plus sûr soutien du gouvernement libanais dominé par la droite chrétienne.

Sans doute les masses libanaises et palestiniennes n'ont pas dit leur dernier mot. Mais l'expérience tragique du peuple palestinien a déjà trop souvent montré combien la politique nationaliste pouvait enfermer ce peuple dans un piège sanglant, et le livrer pieds et poings liés à des gouvernements arabes qui, tout en l'assurant de leur solidarité, n'avaient de cesse de l'avoir écrasé. Et les peuples libanais et palestiniens du Liban ne doivent pas seulement compter, plus que jamais, sur leur force, sur leur capacité à s'armer et à s'organiser. Ils doivent aussi apprendre à ne faire aucune confiance à tous ces faux amis qui, du gouvernement syrien aux dirigeants nationalistes des organisations palestiniennes, et aux dirigeants de la gauche libanaise, ne font que les ligoter et les livrer à leurs ennemis.

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