La tactique des organisations syndicales et les leçons de l'échec de la grève des postiers01/12/19741974Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La tactique des organisations syndicales et les leçons de l'échec de la grève des postiers

 

La « rentrée sociale » de 1974 a eu lieu avec un bon mois de retard, mais elle n'est pas passée inaperçue. Le pouvoir comptait peut-être avec les menaces sur l'emploi (dûment montées en épingle sur les ondes) pour neutraliser le front social. L'accord signé entre le CNPF et les Confédérations syndicales garantissant 90 % de leur salaire pendant un an aux travailleurs licenciés pour « raisons économiques » visait d'ailleurs tout autant à désamorcer les réactions brutales de la part des ouvriers dont les entreprises procéderaient à des licenciements collectifs qu'à étouffer la combativité de l'ensemble des travailleurs en accroissant leur crainte du chômage auquel ce nouvel accord donnait une crédibilité plus tangible.

La rentrée promettait donc d'être calme. Pas la moindre petite phrase de Georges Séguy susceptible de mettre en émoi les milieux patronaux. Tout au plus le Parti Communiste engageait-il contre son partenaire du programme commun une polémique assez fracassante qui, apparemment, semblait ne relever que de la simple arithmétique électorale.

Non pas que la combativité de la classe ouvrière fût à proprement parler en veilleuse. Dès le mois d'octobre, dans un secteur ne craignant guère le chômage, les usines du trust Creusot-Loire, à Saint-Etienne, , une grève sur les salaires éclata intempestivement. Mais la CGT s'acharna à empêcher toute extension de la grève aux autres usines du trust et se livra à ses manoeuvres habituelles pour faire reprendre le travail à coups de votes successifs. La CGT semblait donc donner toutes les raisons de croire à la volonté des organisations syndicales de ne pas envenimer la situation sociale et de contribuer, sur le plan économique, à jouer le jeu de la concertation.

 

Les syndicats prennent l'initiative de la mobilisation

 

Mais la grève du Creusot-Loire n'était pas encore terminée que les postiers des centres de tri se mettaient en grève, que la CGT se mettait résolument à leur tête et contribuait à généraliser la grève à l'ensemble des PTT. et gardait la direction d'un conflit qui dura un mois et demi, la plus longue grève dans la fonction publique depuis 1953. Le 6 novembre, l'organe de la CGT, La Vie Ouvrière, titrait son éditorial « En avant toute ! ». La CGT et la CFDT lancèrent divers mouvements de grève dans la fonction publique, chez les cheminots, chez les hospitaliers, prirent la tête de la grève des éboueurs parisiens, pendant qu'ils continuaient de diriger des luttes localisées pour la défense de l'emploi comme à la Néogravure. Cette mobilisation des travailleurs, essentiellement de la fonction publique, culmina le 19 novembre, journée de grève nationale, où, à l'appel des syndicats, les travailleurs participèrent aux plus grandes manifestations syndicales de rue depuis 1968, à Paris et dans les villes de province.

Le gouvernement eut beau se livrer à une intoxication en règle sur les ondes pour minimiser cette journée du 19 novembre, elle n'en fut pas moins un gros succès, tout particulièrement grâce à ces manifestations. Car si les travailleurs du secteur privé hésitèrent le plus souvent à faire grève, ils furent par contre très nombreux, surtout en province, à rejoindre les cortèges dont les postiers avaient joyeusement pris la tête. Malgré les slogans respectables des banderoles syndicales, les mots d'ordre hostiles au gouvernement fusèrent spontanément : « les ordures sont au pouvoir, pas sur les trottoirs » entendit-on à Paris, « augmentez les postiers, pas les pétroliers », jusqu'aux travailleurs hospitaliers qui scandèrent : « Ponia, fais gaffe au bistouri », autant de mots d'ordre irrévérencieux alternant souvent avec les accents de l'Internationale.

Ce n'est pas la première fois que les syndicats, et en premier lieu la CGT, syndicat le plus influant de ce pays, prennent la tête des luttes des travailleurs et suscitent la mobilisation de couches plus ou moins importantes de la classe ouvrière. En 1968, déjà, la CGT n'avait pas hésité, de crainte d'être débordée sur sa gauche, à généraliser la grève, politique que d'ailleurs la bourgeoisie ne lui a toujours pas pardonnée. A vrai dire, en période d'inflation, les syndicats ont très souvent pris la tête des luttes revendicatives visant à obtenir des augmentations de salaires que la bourgeoisie cède relativement facilement comptant les récupérer par le jeu de la hausse des prix, à la seule condition toutefois qu'ils contrôlent ces mouvements en évitant qu'ils ne prennent un caractère généralisé et explosif. C'est ainsi qu'avant 1968, la CGT organisait systématiquement des grèves tournantes, des mobilisations partielles, des journées d'action successives en s'efforçant seulement de rendre tabou l'idée de « grève générale ». La tactique actuelle n'est donc pas nouvelle, et n'a rien pour étonner.

 

À la tête des combats défensifs et localisés

 

Ces derniers mois, on avait déjà pu voir la CGT s'engager dans des luttes longues et dures pour la garantie de l'emploi. Ce fut le cas à Rateau, aux Tanneries d'Annonay, sur le Paquebot France, aux Houillères de Lorraine, aux usines Titan-Coder, et enfin à la Néogravure. Mais si ce soudain radicalisme de la CGT a pu à l'époque étonner certains gauchistes qui, avec le manichéisme qui les caractérise, ne voient dans les syndicats et leurs militants que des bureaucrates toujours prêts à freiner et à briser les luttes, toutes les luttes, l'attitude de la CGT au cours de ces combats défensifs et localisés non seulement n'avait rien d'étonnant, mais était même prévisible. Car dans ce type de luttes défensives circonscrites à certaines usines en faillite ou à des secteurs particuliers, les syndicats n'ont pas à craindre d'être débordés. C'est en effet leur caractère défensif lui-même qui donne à ce type de conflit des limites en quelque sorte « naturelles ». Les syndicats peuvent s'y montrer durs, radicaux, sans grands risques. La lutte des « Lip » où les organisations gauchistes avaient voulu voir une lutte « exemplaire », ne fut que l'une des premières luttes défensives de ce type dans laquelle les syndicats, en l'occurrence surtout la CFDT, furent partie prenante. Et dans les mois qui suivirent, la CGT montra qu'elle était fort capable de prendre la tête d'autres « Lip ».

Par contre, ce dont sont incapables les organisations ouvrières réformistes, c'est de donner à l'ensemble de la classe ouvrière des perspectives susceptibles d'unifier tous les travailleurs, ceux qui sont menacés par le chômage, comme ceux qui ne sont plus prêts à payer l'inflation.

 

Les syndicats doivent assumer la direction des luttes en cours

 

Au mois d'octobre, nous avons assisté à des initiatives de type très différent de la part des Confédérations ; cette fois, elles se résolvaient à prendre la tête de la lutte des postiers et mobilisaient les travailleurs sur les salaires. Mais en période d'inflation, la lutte pour l'augmentation des salaires prend un caractère offensif très facilement généralisable. Les revendications des postiers : 1 700 F minimum et 200 F pour tous (même si cette revendication, présentée comme augmentation mensuelle uniforme au tout début de la grève, fut rapidement transformée par les syndicats en 200 F « d'acompte à valoir » ), furent très vite populaires. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elles soient reprises par presque toute la fonction publique et certains travailleurs du secteur privé.

Si les syndicats ont finalement pris le risque de déclencher et de diriger ces mouvements de grève, ce n'est pas parce qu'ils n'avaient pas conscience de ce risque de généralisation, bien au contraire. Mais à vrai dire, les organisations ouvrières réformistes, et d'abord la CGT, n'ont guère le choix. La presse bourgeoise n'a voulu voir dans la mobilisation organisée par les syndicats que des manoeuvres « politiques » du Parti Communiste et de la CGT, comme s'il dépendait des bureaucraties ouvrières de déclencher en temps et en heure des mouvements qu'elles orchestreraient pour de simples motifs électoraux. C'est une manière bien simpliste de concevoir les rapports entre les organisations ouvrières réformistes et les travailleurs. La CGT, comme la CFDT, sont des organisations qui ont une implantation ouvrière. A moins de perdre tout leur crédit au sein de la classe qu'elles représentent auprès de la bourgeoisie (FO, spécialisée depuis longtemps dans le rôle de porte-parole du gouvernement au sein du mouvement ouvrier, et de briseur de grève occasionnel comme Bergeron en a encore fait la brillante démonstration à l'égard des postiers, en a fait l'amère expérience), la CFDT et encore plus la CGT doivent bon gré mal gré défendre leur classe et prendre en charge la riposte des travailleurs partout où ces derniers en ressentent la nécessité. Et quand on dit que les organisations syndicales sont implantées et représentent leur classe, ce n'est pas une simple clause de style. Cela signifie aussi que leur « base », leurs militants dans les entreprises, sont des travailleurs comme les autres, qui subissent comme leurs camarades de travail les atteintes au salaire et à l'emploi, qui partagent le fardeau commun et qui, parce qu'ils sont pour la plupart les travailleurs les plus organisés et les plus conscients, ont au moins autant envie de riposter que les autres.

 

Une marge de manoeuvre étroite

 

Alors, bien sûr, pour pouvoir conserver leur place de dirigeants de la classe ouvrière et par là- même ménager leurs possibilités de négociation avec la bourgeoisie, la marge de manoeuvre des directions syndicales est étroite : d'une part elles doivent faire la démonstration de leur utilité à la bourgeoisie en tant qu'avocats patentés de la classe ouvrière, bénéficiant de tout le crédit des travailleurs, et pour ce faire satisfaire les aspirations à la lutte de leur base, d'autre part faire la preuve à chaque instant de leur sens des responsabilités à l'égard du pouvoir en place. La voie est périlleuse.

En outre, c'est sur ces motivations fondamentales que se greffe le contexte politique actuel où Giscard pourrait éventuellement, en cas de crise grave, se résoudre à appeler Mitterrand à participer à une majorité gouvernementale. Le Parti Communiste et la CGT tiennent à montrer fermement à la bourgeoisie qu'un accord politique dont la classe ouvrière serait l'enjeu, ne peut pas se faire sans eux. Et que si Giscard veut la paix sociale, il ne lui suffira pas de s'effacer derrière un Mitterrand qui ne représente que lui-même, mais il lui faudra compter avec le Parti Communiste et la CGT, les deux plus grandes organisations ouvrières de ce pays, et les seules capables de mobiliser réellement les travailleurs, comme de contenir leurs aspirations.

Pour toutes ces raisons, la CGT se doit d'assumer le rôle de direction des luttes en cours. La crise qui s'annonce met à l'ordre du jour aux yeux des travailleurs, même si la plupart d'entre eux restent dans une expectative qui ne doit pas faire illusion à la bourgeoisie, la nécessité de la riposte et de la lutte. C'est pourquoi, fondamentalement, les organisations ouvrières, politiques et syndicales, réagissent aujourd'hui, et organisent à leur manière cette riposte.

 

Une seule crainte : être débordés par les travailleurs

 

Mais ce type de mobilisation contient sa propre dynamique, et le point critique où le pouvoir en place pourrait être menacé, voire ébranlé, peut facilement être atteint en dépit de la volonté des directions syndicales. C'est pourquoi la préoccupation constante des dirigeants syndicaux, lors du mois dernier, fut d'être débordés par les travailleurs qu'ils avaient eux-mêmes mis en branle, même lorsque la mobilisation était réduite, et partant les risques limités. C'est cette grande peur qui a donné à la mobilisation qu'ils ont déclenchée son caractère si particulier. Alors qu'elle n'hésitait pas à étendre la grève des tris à l'ensemble des autres postiers (bien moins mobilisés il est vrai), la CGT lançait à la SNCF l'une des grèves tournantes les plus soigneusement effritées et éparpillées que les états-majors syndicaux aient à leur actif. Pour éviter tout caractère de généralisation du mouvement, la CGT imposa même aux cheminots la revendication de 1 500 F par mois au lieu des 1 700 F qu'ils réclamaient spontanément, laissant à ses militants la tâche délicate d'expliquer au cheminot du rang que 1 700 F c'était demander plus que les postiers, vu les primes à la SNCF (!)... et que 1 500 F, c'était encore le meilleur moyen de demander la même chose qu'eux !

Cette crainte de perdre le contrôle des mouvements fut bien caractéristique. Et elle se manifesta souvent de la façon la plus grotesque : des militants CGT venus aux nouvelles, d'un centre de tri à un autre, furent proprement expulsés par les responsables syndicaux qui ne les connaissaient pas. Ailleurs, les militants, cégétistes eux aussi, d'un hôpital parisien, furent expulsés manu militari par les responsables du centre de tri de l'arrondissement, auquel ils étaient venus apporter leur solidarité... Et l'on pourrait citer bien d'autres exemples.

En tout cas, il fut remarquable combien, lors de toute cette mobilisation qu'ils avaient pourtant déclenchée eux-mêmes, les dirigeants syndicaux ne se sentirent pas les coudées libres et craignirent de ne pas être en mesure de négocier eux-mêmes la reprise.

 

Un objectif démobilisateur : la négociation

 

A aucun moment, à aucun prix, dans ces dernières luttes comme dans celles qu'ils seront amenés à diriger dans l'avenir, les dirigeants syndicaux ne recherchent l'épreuve de force ultime. Car si les organisations de la classe ouvrière prennent, comme souvent dans le passé, la tête des luttes des travailleurs, elles le font à leur manière, à la manière réformiste.

L'objectif des syndicats en effet n'est pas de faire payer au gouvernement les effets de l'inflation, ni de donner comme perspectives aux travailleurs de savoir qui, des bourgeois ou d'eux-mêmes, feraient les frais de la crise. Et si la mobilisation organisée par les syndicats a pris ce caractère si paradoxal, et dans certains secteurs si confus, c'est parce qu'ils lui avaient donné' l'objectif le plus démobilisateur qui soit, mais qui est le seul objectif qu'ils connaissent : la « négociation » et uniquement la négociation. C'est ce qu'illustraient de façon bien ridicule les slogans que les responsables syndicaux s'acharnaient à faire scander de la Bastille à la Gare de l'Est : « Giscard, ça suffit, assieds-toi et négocie ».

S'il est normal qu'une lutte puisse s'achever sur une négociation à l'issue de laquelle les travailleurs peuvent juger s'ils sont gagnants ou pas, la négociation en elle-même ne saurait constituer un objectif sérieux à la lutte. Et demander avant tout au gouvernement de « négocier » aussi bien dans la lutte des PTT. qu'ailleurs, revenait à lui donner l'initiative et à le rendre maître de la continuation de la grève ou de la reprise. En l'occurrence, de son « pourrissement » et de son « effritement » comme dirent les représentants du pouvoir à propos des postiers, puis de la reprise sur un échec.

Car avec un tel objectif, les syndicats étaient forcément amenés à transiger, pour peu que le gouvernement le leur permît. Mais il ne leur permit pas. A ce jeu-là, le gouvernement est toujours le plus fort. Et cette fois il a refusé aux syndicats de quoi leur permettre de faire reprendre le travail.

Au contraire même, il a pris l'initiative de l'épreuve de force en refusant tout interlocuteur aux syndicats et choisissant ainsi de faire durer la grève.

Les dirigeants syndicaux avaient voulu faire une démonstration, mobiliser le plus de monde possible certes, mais pas faire gagner la lutte aux travailleurs. Comme l'expliquait sans fard un responsable cheminot : « Ce ne sont pas les résultats qui comptent, mais le pourcentage de grévistes ». Seulement, dès l'instant où il choisit l'épreuve de force, c'est le gouvernement qui à son tour voulut faire sa propre démonstration : faire croire que la mobilisation de ce mois de novembre 74 était artificielle, que les postiers étaient isolés, montrer que le gouvernement emploierait la manière forte, que la lutte revendicative n'était pas payante et qu'il ne céderait pas aux postiers, en aurait-il les moyens économiques et financiers. Et c'est avec cynisme que le gouvernement dépensa au moins une bonne part de ce que demandaient les grévistes dans l'installation des fameux « tris parallèles » (sans doute plus coûteux qu'efficaces, d'ailleurs) puis annonça sans vergogne, le jour même de la reprise des tris parisiens, qu'il subventionnerait à coups de milliards Peugeot et Citroën.

Mais face à cette politique de classe qui se montre ostensiblement comme telle, les directions syndicales n'ont aucune stratégie a proposer aux travailleurs. Il a suffi que le pouvoir ne joue plus le jeu de la concertation, que les syndicats voient leur objectif de négociation hors d'atteinte, pour que les dirigeants réformistes n'aient plus rien à proposer ni à dire aux travailleurs en lutte, sinon de plier armes et bagages et d'encaisser sans coup férir les points marqués par le gouvernement.

A partir du moment où les syndicats virent que le gouvernement engageait véritablement l'épreuve de force contre les postiers, ils ont en effet adopté une attitude démoralisante, renchérissant sur l'intoxication gouvernementale à propos de « l'effritement » de la grève (intoxication qu'ils avaient pourtant violemment dénoncée quelques jours auparavant seulement). Et en tout cas, ils se refusèrent à la seule politique honnête vis-à-vis des postiers engagés depuis six semaines dans la lutte : leur permettre de choisir eux-mêmes, en connaissance de cause, entre la reprise du travail et la poursuite de la lutte jusqu'à satisfaction. Si les conditions de la lutte devenaient certes plus difficiles, elles n'étaient pas du tout insurmontables, loin de là. Car si l'arrogance des patrons et leur intransigeance désarment facilement les bureaucrates syndicaux, elles ne démoralisent pas aussi automatiquement les travailleurs, mais peuvent au contraire renforcer leur détermination. Quant à la politique des syndicats, elle a dès lors surtout consisté à ne proposer aux grévistes que le plus court chemin vers l'échec et ils ont choisi délibérément d'enterrer la lutte des postiers.

 

L'échec de la grève des postiers : avant tout l'échec de la politique des syndicats

 

Si les dernières grèves, aux tris postaux comme ailleurs, ont été déclenchées et dirigées par les syndicats, ils ont fait preuve de tout, sauf de détermination. Bien sûr, étendre la grève, rendre la mobilisation plus large et plus profonde n'était pas forcément possible. Mais de toute façon les syndicats ne le souhaitaient pas. Car leur politique n'est pas de proposer aux travailleurs une stratégie susceptible de gagner l'épreuve de force contre le pouvoir et, pour ce faire, mettre toutes les chances du côté des travailleurs.

C'est pourquoi l'échec de la grève des postiers est avant tout l'échec de la politique des organisations syndicales. Il risque de décourager certains, mais il peut être aussi instructif pour d'autres qui devront prendre conscience que la lutte des travailleurs contre la bourgeoisie est une chose bien trop sérieuse pour qu'on en abandonne la direction aux seules directions syndicales.

En fait, ce que vient de montrer ce combat d'avant-poste chez les postiers, c'est que le temps n'est plus aux affrontements limités, aux grèves tournantes ou aux journées d'action sans lendemain. Dans une situation économique critique, la question de savoir qui fera les frais de l'inflation et de la crise se pose crûment en termes de classe. Le gouvernement vient de montrer qu'il est prêt à affronter des conflits prolongés. La grève des postiers est à cet égard un avertissement. La classe ouvrière doit s'attendre à devoir engager des luttes sérieuses, peut-être longues, peut-être dures, pour avoir gain de cause. Mais il n'y a pas là de quoi se décourager mais seulement des raisons supplémentaires de renforcer sa résolution.

Les postiers ne sont que l'avant-garde des gros bataillons de l'armée des travailleurs. Leur grève est-elle une défaite ? Cela dépend en dernier ressort du reste des travailleurs. Car une défaite s'apprécie avant tout à l'opinion et au moral des combattants, et de tous les bataillons. Or, ce premier échec peut n'être que l'issue provisoire d'un simple affrontement de reconnaissance. Il dépend de l'ensemble des travailleurs que ce ne soit finalement pas réellement une défaite et que Giscard regrette bientôt les points qu'il vient de marquer. Et il peut ne s'agir que d'une simple leçon instructive où les travailleurs les plus conscients auront surtout reconnu les positions et les dispositions de l'ennemi de classe, et leurs propres capacités à les affronter.

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