La discussion entre Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire01/06/19771977Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La discussion entre Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire

Dans notre précédent numéro, nous avons publié la lettre que Lutte Ouvrière avait adressée le 13 avril 1977 au Secrétariat Unifié de la IVe Internationale dans le cadre de la discussion engagée entre nos deux courants, ainsi que la réponse de la Ligue Communiste Révolutionnaire à cette lettre.

Pour permettre à nos lecteurs de suivre cette discussion, nous publions dans le présent numéro notre réponse à la Ligue Communiste.

Chers camarades,

Vous écrivez dans votre lettre que la divergence entre nos deux organisations est « beaucoup plus profonde et beaucoup plus grave » sur « l'intervention de masse » que sur l'Union de la gauche.

Nous pensons en effet que sur « l'intervention de masse », et plus précisément sur l'activité syndicale que vous citez, nos deux organisations ont des conceptions et des pratiques fort différentes. Nous ne voyons par contre pas en quoi les divergences sur l'Union de la gauche seraient moins importantes. Il résulte de cette singulière hiérarchisation de nos divergences que « l'intervention de masse » (CET, syndicats) vous semble « très difficile », alors qu'une campagne législative commune vous paraît possible.

Nos divergences dans les deux domaines sont du même ordre et elles sont liées :

1) Dans le domaine de l'activité syndicale, les positions que votre lettre nous attribue ne sont pas les nôtres. Il n'est ni dans nos principes, ni dans notre pratique de chercher à faire du syndicat « un simple outil au service du parti ». Pas plus qu'il n'est dans nos habitudes de refuser la démocratie syndicale et la discipline syndicale - ce qui ne signifie évidemment pas le respect de la discipline des appareils contre les travailleurs. En conséquence, si nos divergences portent « sur la compréhension des rapports entre parti et syndicat » , ce n'est pas pour les raisons que vous avancez.

Ce que nous n'acceptons absolument pas, c'est d'invoquer la discipline syndicale ou encore les responsabilités syndicales de nos camarades, pour refuser d'aparaître à l'extérieur du syndicat en tant que courant politique révolutionnaire. Ce que nous vous reprochons, c'est précisément que vous refusiez de défendre clairement et publiquement les positions révolutionnaires au nom de la discipline syndicale. Vous le faites parfois complètement. C'est-à-dire en disparaissant politiquement de certaines entreprises pour ne pas gêner l'activité syndicale de vos militants. Parfois vous vous contentez d'être simplement plus discrets sur la dénonciation des appareils et de la direction des syndicats auxquels appartiennent vos camarades d'entreprise. De manière générale, vous refusez de combattre et de dénoncer publiquement les directions syndicales - surtout celle de la CFDT - comme les représentantes d'une politique bourgeoise au sein de la classe ouvrière. Il ne suffit pas de critiquer la politique des directions syndicales ou de dénoncer telle ou telle de leurs décisions. Accréditer, fût-ce par une attitude seulement critique, que ces directions peuvent mener une politique correspondant aux intérêts de la classe ouvrière, c'est contribuer aux illusions des travailleurs à l'égard des appareils réformistes.

2) Quant à l'Union de la gauche, pour situer l'essentiel de nos désaccords, vous écrivez que vous êtes opposés à ce que l'on réduise « a politique des révolutionnaires vis-à-vis du PS et du PC à une politique de dénonciation ... » . S'il n'y avait que cela, si vous dénonciez l'Union de la gauche comme un gouvernement au service de la bourgeoisie et si votre préoccupation était simplement de trouver une politique vis-à-vis des militants du PC et du PS, ainsi que des mots d'ordre « répondant aux exigences de la situation » , nous serions d'accord sur la démarche, et peut-être tomberions-nous d'accord même sur la définition d'une telle politique et de tels mots d'ordre.

Le problème c'est que vous ne menez pas du tout cette politique de dénonciation.

Même votre lettre est significative à cet égard. « Un gouvernement PS-PC, y compris sans radicaux, sans gaullistes, serait un gouvernement de collaboration de classe dans la mesure où il gérerait l'État bourgeois » , écrivez-vous, pour illustrer en quelque sorte à quel point nous n'aurions pas de divergences d'analyse. Mais vous illustrez le contraire. Pour notre part, nous tenons à dire, clairement, que le gouvernement de l'Union de la gauche sera un gouvernement bourgeois, le « conseil d'administration de la bourgeoisie » qui mènera peut-être une autre politique que celle du gouvernement de droite en place, mais qui la mènera au service du Capital. Parler de « gouvernement de collaboration de classe » c'est une façon de refuser de dire cela. C'est une façon de refuser d'expliquer précisément qu'il n'y a pas de collaboration possible dans un gouvernement entre la bourgeoisie et la classe ouvrière ; que le gouvernement de l'Union de la gauche ne défendra pas à la fois les intérêts des ouvriers et les intérêts des bourgeois, ou un quelconque compromis entre les deux, mais qu'il utilisera son crédit auprès des travailleurs pour servir exclusivement la bourgeoisie.

Et comment faut-il donc comprendre le conditionnel de votre expression « ... dans la mesure où il (le gouvernement de l'Union de la gauche) gérerait l'État bourgeois » ? Auriez-vous donc des doutes à cet égard ? Sinon, pourquoi cultiver ce genre d'ambiguïtés ?

Nous ne faisons pas de purisme. Il y a des moments où les à-peu-près de langage n'ont pas grande conséquence, mais il y a des moments où ils reflètent des pressions sociales hostiles à une claire politique révolutionnaire.

Un des dangers les plus graves qui guettent la classe ouvrière dans la période présente et à venir est constitué par ses propres illusions, par sa confiance en un futur gouvernement qu'elle considère par avance comme le sien, mais qui, en réalité, défend consciemment les intérêts de la classe adverse, Ne pas dire cela clairement, ne pas dénoncer cela, ne pas appeler un chat un chat et le gouvernement de l'Union de la gauche un gouvernement bourgeois, tenir simplement un langage ambigu laissant entendre autre chose, prétendre simplement qu'avec la gauche au gouvernement, la classe ouvrière sera plus forte ou en meilleure position c'est aller dans le sens des illusions, c'est capituler devant l'Union de la gauche.

La plupart des mots d'ordre que vous estimez nécessaire d'avancer, en tous les cas, ceux que vous considérez comme des mots d'ordre politiques favorisent les illusions au lieu de les combattre.

Les révolutionnaires ont tout autre chose à dire que de crier « dehors Giscard-Barre » qui, dans les circonstances présentes, n'exprime rien d'autre pour tout le monde que le souhait de voir Mitterrand au pouvoir au plus vite. Les révolutionnaires ont tout autre chose à dire que de présenter comme importante « la rupture avec les institutions de la Vieisuper0 République » , autrement dit, ce changement constitutionnel qui fut cher à Mitterrand au temps où il ne se disait même pas socialiste.

Mais vous cultivez encore des illusions en exigeant du PC et du PS « qu'ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan » , même si vous tentez d'embarquer Trotsky dans une galère où il n'est jamais monté. Il ne suffit pas d'assimiler dans vos analogies les élections à une poussée des masses ouvrières pour que cette poussée existe et soit puissante au point de contraindre le PC et le PS à mener une politique plus radicale que celle qui est la leur. Par contre, vos « exigences » contribuent à accréditer l'idée que la pression électorale suffit...

er mai. L'accord que nous avons signé pour permettre un cortège unitaire des révolutionnaires, était limité et circonstanciel. Pourtant vos militants ont choisi de ne crier que ceux des mots d'ordre de l'accord proposés par vous et de passer les autres sous silence. Du moins à Paris, car en province, la réaction de vos militants a parfois été plus directe, en refusant tout accord similaire à celui de Paris.

Il ne sert donc à rien de minimiser, comme vous le faites, nos désaccords sur l'Union de la gauche, le temps d'une compagne électorale. Il ne sert à rien non plus de prétendre que cela permettrait « d'œuvrer à surmonter » ou encore à « dépasser » nos divergences actuelles.

Nous ne pensons pas que nos divergences sur l'Union de la gauche puissent être « dépassées » par de simples discussions. Nous ne pensons pas qu'elles puissent être « surmontées », simplement parce qu'on les aurait laborieusement dissimulées dans une plateforme électorale unique qui, du coup, perdrait toute signification. (A quoi cela servirait donc, pour des révolutionnaires, de se présenter aux élections si c'est pour défendre en cette occasion une politique qui n'est pas la leur le reste du temps, voire qui lui est contraire ?). Nos divergences ne seront surmontées que dans la lutte politique ; nos positions ne seront départagées que par l'épreuve des faits.

C'est là qu'il nous semble, à la lumière des expériences et des discussions des derniers mois, qu'il y a un malentendu fondamental dans nos conceptions respectives de l'unité.

Notre démarche à nous n'est pas liée aux circonstances conjoncturelles, autrement dit à la proximité des élections. Elle n'est pas destinée à donner une façade unitaire, le temps d'une élection, pour retourner ensuite aux attitudes sectaires d'avant. Elle est fondée sur la conviction profonde qu'il est indispensable pour le mouvement trotskyste, séparé en plusieurs organisations distinctes, de surmonter en toutes les occasions où faire se peut les inconvénients de l'existence organisationnelle séparée, qu'il est indispensable d'éviter les comportements sectaires inévitablement engendrés par cette existence séparée. Et cela, non pas pour éviter ou atténuer les luttes politiques, indispensables nous le répétons pour soumettre à l'épreuve des faits nos conceptions différentes, mais au contraire, pour qu'elles puissent se dérouler dans les meilleures conditions, sans que le mouvement trotskyste dans son ensemble ait à en souffrir, sans que nous passions à côté des occasions où il est possible de faire des choses ensemble.

C'est une démarche de toujours, vous le savez bien ; comme vous savez qu'elle s'adresse à votre organisation parce qu'elle est une organisation trotskyste, parce que nous nous réclarn ons d'un même héritage politique.

« ... Nous ne voyons plus très bien pourquoi votre demande s'adresse à la Ligue plutôt qu'à l'OCT ou une autre organisation d'extrême-gauche, vue l'importance des divergences qui nous séparent ... » , écrivez-vous. En effet, si notre volonté unitaire était fondée sur le seul désir d'apparaître ensemble aux élections, il n'y aurait guère de raisons de ne pas s'adresser à d'autres - ou plutôt, il n'y aurait pas plus de raisons de s'adresser à vous qu'aux autres, tant nos divergences sont importantes sur une question décisive précisément en ce moment. Si nous recherchons un accord privilégié avec vous, par rapport à d'autres types d'accord que, bien entendu, nous n'excluons pas avec l'OCT ou d'autres organisations d'extrême-gauche, c'est parce que nous appartenons au même mouvement trotskyste.

Et nous vous rappelons que les discussions unitaires que nous avons engagées avec vous, nous les avons engagées dans le cadre de discussions entre notre courant et le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale auquel vous appartenez.

Nous voulons savoir si la discussion se poursuit encore dans ce cadre. Il nous semble qu'une sorte de glissement s'est produit. Engagée entre deux courants trotskystes, la discussion semble être dirigée par vous vers un accord électoral tout azimut, avec l'OCT et aussi, s'il le voulait bien mais c'est une autre histoire, avec le PSU, que dans vos textes - voir votre série d'articles dans Rouge sur l'unité des révolutionnaires - vous présentez comme allié prioritaire au même titre que l'OCT et Lutte Ouvrière.

Nous voudrions que vous précisiez clairement votre position sur cette question. Car si nous étions prêts à souscrire à certaines des propositions formulées par le Secrétariat Unifié, même si ces propositions n'étaient pas les nôtres, et même si nous les considérions avec beaucoup de réserves, afin de faciliter une démarche unitaire dans le cadre du mouvement trotskyste, nous n'avons évidemment pas les mêmes raisons de faire les mêmes gestes en direction de l'OCT et, à bien plus forte raison, en direction du PSU. Nous n'avons pas davantage de raisons de faire passer pour une démarche unitaire trotskyste une démarche électorale, pour ne pas dire électoraliste, visant à constituer une sorte de front électoral de toute l'extrêmegauche, pris d'ailleurs dans un sens tellement large qu'il inclurait également un PSU, au demeurant nullement tenté par une telle opération, préoccupé qu'il est de plaire à l'Union de la gauche.

Votre lettre formule deux types de propositions concrètes, les unes en quelque sorte maximum, les autres minimum. Pour une raison que nous ne comprenons d'ailleurs pas, la proposition de « discussions entre nos militants et sympathisants à tous les niveaux » disparaît entre le premier type de propositions et le second. Mais à part cela, la seule différence entre les deux concerne la compagne électorale. Il faut croire que c'est cette question qui vous préoccupe au premier chef. C'est déjà limiter et fausser nos démarches unitaires. Mais encore faut-il que vous précisiez si cette proposition s'adresse à nous ou à tout le monde. Il est important pour nous de savoir si vous êtes unitaire à notre égard uniquement lorsque vous vous considérez obligé - pas à juste titre à notre sens - de l'être à l'égard de tout le monde, de l'OCT au PSU en passant par les écologistes, ou si c'est de l'unité entre trotskystes qu'il s'agit.

Quant aux quatre pages hebdomadaires communes dans nos presses respectives, c'est un succédané par rapport à notre proposition initiale, formulée depuis plusieurs années, d'éditer un journal hebdomadaire trotskyste commun. Comme nous l'avons expliqué dans notre précédente lettre, votre proposition d'en passer par ce succédané n'est acceptable pour nous que si nous avons en perspective, et au-delà des contingences électorales présentes, de créer cet hebdomadaire commun. Et, soit dit en passant et pour répondre à votre question, si nous en avions fait la proposition à vous et pas à l'OCT, c'est bien parce que c'est d'un hebdomadaire trotskyste qu'il s'agit. D'un hebdomadaire édité, financé, distribué en commun par deux organisations trotskystes qui, sans cacher leurs désaccords - au contraire en menant le débat devant l'ensemble de leurs deux publics - diraient cependant en commun ce qu'elles peuvent dire en commun. Cela n'a rien à voir avec une vague tribune libre de l'extrême-gauche, avec une sorte de Politique Hebdo édité en commun. Cela n'a rien à voir, à condition justement d'aborder le problème du point de vue du mouvement trotskyste, et d'accorder l'importance que nous accordons à la filiation programmatique commune.

Voilà, chers camarades, les réflexions suggérées par votre dernière lettre ainsi que par l'expérience de nos discussions unitaires des derniers mois. Nous espérons que la discussion se poursuivra sur une base plus solide que sur le terrain de la recherche d'un accord électoral pour l'extrême-gauche politiquement divisée ; et que, sur cette base plus solide, nous parviendrons à nous mettre d'accord sur des décisions concrètes.

Dans l'attente de votre réponse - et nous nous excusons du retard de la nôtre - recevez, camarades, nos salutations communistes.

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