Italie : Democrazia Proletaria, un regroupement sur des bases réformistes01/06/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Italie : Democrazia Proletaria, un regroupement sur des bases réformistes

 

Aux élections italiennes des 20 et 21 juin 1976, une liste d'extrême-gauche se présente, sous le sigle « Democrazîa Proletaria » - « Démocratie Prolétarienne » - , dans la presque totalité (31 sur 32) des circonscriptions électorales du pays.

Il est trop tôt, cet article étant écrit avant cette échéance électorale, pour discuter tant des résultats obtenus par cette liste, que des résultats d'ensemble de ces élections. Mais on peut par contre, d'ores et déjà, examiner la politique suivie par les initiateurs de « Democrazia Proletaria », D'autant plus que cette politique est aujourd'hui reprise et montrée en exemple par les organisations d'extrême-gauche françaises, en particulier la Ligue Communiste Révolutionnaire, Révolution !, et la Gauche Ouvrière et Populaire (GOP).

Les deux organisations constitutives de « Democrazia Proletaria » sont : « l'Organisation Communiste Avanguardia Operaia », et le PDUPC (Parti d'Unité Prolétarienne pour le Communisme). Ces deux organisations avaient déjà présenté, sous le même sigle, des candidats communs aux élections régionales du 15 juin 1975. Mais cette fois, à la suite d'un accord de présentation unitaire, d'autres organisations se sont jointes à l'initiative. C'est ainsi qu'une troisième organisation d'extrême-gauche, « Lotta Continua », présente des candidats sur les listes « Democrazia Proletaria ».

Il faut mentionner également la participation, à ces listes, d'autres groupes de moindre importance. C'est le cas du MLS maoïste (Mouvement des Travailleurs pour le Socialisme - ex-Mouvement Étudiant de l'Université de Milan) et des GCR (Groupes Communistes Révolutionnaires - Section italienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale).

Dans ces conditions, les listes de « Democrazia Proletaria » apparaissent comme regroupant la plupart des groupes de l'extrême-gauche italienne, si l'on excepte les courants bordiguistes et « léninistes » (Lotta Comunista) qui ont adopté, traditionnellement, une attitude abstentionniste. Et, si l'on en croit certaines des organisations composant ou soutenant « Democrazia Proletaria », l'accord unitaire qui vient d'être réalisé à l'occasion de ces élections, aurait une portée plus durable, et serait un pas important vers l'unification de l'extrême-gauche italienne dans un parti révolutionnaire. Il n'en faut pas plus d'ailleurs pour que l'on voie les organisations LCR, Révolution ! et GOP brandir « l'exemple italien » à l'appui d'une campagne pour « l'unité des révolutionnaires » en France. Cette campagne vise, en fait, à parvenir à une présentation de listes communes de l'extrême-gauche, en tous cas du PSU, de la LCR, de Révolution ! et de la GOP, lors des prochaines échéances électorales françaises, qui offrent sur bien des points des ressemblances avec l'échéance italienne du 20 juin.

Mais, de toute évidence, ce n'est pas seulement le fait que les organisations d'extrême gauche italiennes soient parvenues à un accord électoral unitaire qui est mis en avant. C'est aussi la politique qui est la leur dans les circonstances électorales italiennes. Pour la LCR, Révolution ! et la GOP, il s'agit d'un soutien politique à l'opération que constitue en Italie la présentation des listes « Democrazia Proletaria ». En ce qui concerne la LCR, ce soutien est d'ailleurs le pendant de l'appui direct apporté à ces listes par les GCR, section italienne du Secrétariat Unifié.

En ce qui concerne l'analyse de l'échéance du 20 juin, on peut lire dans « Democrazia Proletaria » - (matériel électoral commun au PDUPC et à Avanguardia Operaia - Milan - Mai 1976) :

« Aujourd'hui pour la première fois de l'après-guerre, se présente concrètement la possibilité de chasser la démocratie chrétienne du gouvernement du pays, et d'arriver à un gouvernement des gauches qui ouvre la perspective de la transition au socialisme ».

Lotta Continua, quant à elle, déclare dans son programme électoral (publié dans Lotta Continua du 23-24 mai 1976) :

« Nous sommes à la veille d'un grand tournant politique que le vote du 20 juin devra rendre définitif : ce tournant est la liquidation du régime démo-chrétien ».

Que ces élections du 20 juin, dans les circonstances italiennes, soient importantes, c'est indéniable. Mais en quoi ces élections offrent-elles aux travailleurs la « possibilité concrète » d'en finir avec « le régime démo-chrétien » ? Sans doute, le fait que la gauche , PCI et PSI, obtienne la majorité fait partie des possibilités politiques. Mais est-ce que cette gauche ne propose pas, elle-même, la réalisation d'une coalition avec la Démocratie Chrétienne, c'est-à-dire le replâtrage de son régime au lieu de sa « liquidation » ?

Et quand bien même le résultat de cette échéance électorale serait que la Démocratie Chrétienne soit écartée du gouvernement, est-ce que cela signifierait vraiment la fin du « régime démo-chrétien », c'est-à-dire, précise Lotta Continua dans le même texte : « la liquidation d'un régime fondé sur la corruption, la mafia, le terrorisme, l'ignorance, les préjugés, la répression » ?

C'est pour le moins accorder une puissance démesurée aux bulletins de vote. Depuis quand ceux-ci permettent-ils, par eux-mêmes, de parvenir à la liquidation de tares qui sont celles de tout un appareil d'État, et même de tout le pouvoir bourgeois ? N'est-ce pas précisément toute l'attitude du PCI qui, depuis des années, explique aux travailleurs italiens que c'est des élections que viendra le changement de leur sort, au lieu de leur dire, justement, que c'est à l'appareil d'État lui-même, et à toute sa pourriture qu'il faut s'attaquer ; au lieu de leur dire que les élections, justement, ne peuvent pas changer cet appareil d'État, qui est l'armature même du pouvoir bourgeois ? Face à l'électoralisme du PCI, les formulations de « Democrazia Proletaria » sont, on le voit, pour le moins ambiguës.

Mais quelles perspectives propose donc « Democrazia Proletaria », après la « liquidation du régime démo-chrétien » ? On l'a vu plus haut : « Democrazia Proletaria » parle d'un « gouvernement des gauches qui ouvre la perspective de la transition au socialisme », qui serait désormais une possibilité concrète. Lotta Continua, elle aussi, assigne comme objectif immédiat aux élections du 20 juin : « la défaite de la Démocratie Chrétienne, la liquidation de son régime, un gouvernement de gauche » (programme électoral de Lotta Continua).

Citons aussi, pour mémoire, l'attitude des GCR, section italienne du Secrétariat Unifié. Ceux-ci voient la possibilité d'un programme commun des révolutionnaires aux élections du 20 juin, dans « le refus du compromis historique et de ses implications, la perspective du gouvernement des partis ouvriers ». Cette position concorde parfaitement avec la perspective du « gouvernement des gauches ».

Qu'est-ce donc que ce « gouvernement des gauches » que chacun s'accorde à réclamer ? débarrassé de tout verbiage, il s'agit, tout simplement, d'un gouvernement de coalition parti communiste italien - parti socialiste italien, auxquels viendraient même s'adjoindre, la possibilité en est clairement évoquée, des représentants de « democrazia proletaria ». et toute la nuance entre l'attitude de « democrazia proletaria » et celle du pci, c'est que « democrazia proletaria » repousse le « compromis historique » dont le parti d'enrico berlinguer s'est fait le champion. alors que le pci propose un gouvernement de coalition pci-psi-démocratie chrétienne, « democrazia proletaria » dénonce ce programme comme trop modéré, et clame qu'il faut « chasser la démocratie chrétienne du pouvoir » en la remplaçant par un gouvernement pci-PSI !

Sans doute, si le PCI propose aujourd'hui à la bourgeoisie italienne la formule du « compromis historique », c'est pour des raisons bien précises. Dans la situation de crise économique et politique, que connaît l'Italie, la bourgeoisie, ou une partie d'entre elle, envisage d'associer le PCI au gouvernement, afin de lui faire endosser, vis-à-vis de la classe ouvrière, une part des responsabilités d'une politique de redressement de l'économie nationale aux frais des travailleurs. Mais le Parti Socialiste Italien, qui recueille jusqu'à présent tout juste 10 % des suffrages, constituerait un contrepoids trop faible, dans une coalition avec le PCI. Au contraire de la situation française, où l'Union de la Gauche PC-PS apparaît comme l'alternative politique la plus probable au gouvernement actuel, la coalition PCI-PSI n'est donc pas une solution souhaitable pour cette partie de la bourgeoisie italienne qui est, aujourd'hui, en faveur de la participation du PCI au gouvernement. Au contraire, le plus probable, si cette participation se fait, serait que ce soit sous la forme d'une coalition avec la Démocratie Chrétienne. Et c'est parce qu'il sait que cette formule est celle qui est la plus acceptable pour la bourgeoisie, que le PCI la met en avant. Mais sa réalisation dépend, bien entendu, de nombreux facteurs politiques et, en particul ier, des choix que fera la Démocratie Chrétienne.

C'est bien pourquoi, dans l'éventail des combinaisons politiques possibles pour associer le PCI au pouvoir, la coalition PCI-PSI, si elle est peu probable, n'est nullement exclue. Elle est simplement une des combinaisons gouvernementales les plus « à gauche » dont la bourgeoisie italienne dispose et que, suivant la situation politique, elle peut être conduite à adopter. Et un tel « gouvernement des gauches » serait bien, s'il voyait le jour, un gouvernement de la bourgeoisie, à qui celle-ci assignerait le but de discipliner la classe ouvrière, de lui faire « retrousser les manches » pour relever l'économie nationale, d'empêcher les grèves. Et il ne serait guère différent, dans sa politique, du gouvernement de « compromis historique » réclamé par le PCI.

Le recours à des élections anticipées, dans ce cadre, signifie que la bourgeoisie italienne, ou une partie d'entre elle, envisage très sérieusement l'éventualité de faire jouer ce rôle à un gouvernement de gauche, incluant ou non la Démocratie Chrétienne Cela signifie aussi que la Démocratie Chrétienne envisage, de son côté, de passer la main à la gauche afin de n'être pas le seul parti à supporter le discrédit politique résultant de la profonde crise économique de l'Italie. Le recours aux élections anticipées, en lui-même, présage donc une manoeuvre politique de la bourgeoisie qui n'annonce rien de bon pour la classe ouvrière, et contre laquelle le devoir des révolutionnaires est, à tout le moins, de prévenir celle-ci.

Sans doute, si un tel « gouvernement des gauches » était aujourd'hui souhaité par la majorité de la classe ouvrière, il pourrait être juste d'exprimer cette aspiration.

Mais ce langage ne pourrait se tenir qu'à la condition de ne semer aucune illusion sur le gouvernement de gauche en question, à condition de prévenir clairement les travailleurs que les organisations de gauche, tellement empressées de venir quémander leurs suffrages, n'ambitionnent en fait rien d'autre que de devenir de loyales gérantes du capitalisme, avec ou sans la Démocratie Chrétienne. A condition de prévenir les travailleurs clairement que ce gouvernement des organisations ouvrières ne signifiera nullement que les travailleurs auront, en quoi que ce soit, leur mot à dire sur les décisions politiques et un contrôle sur la marche de l'État. A condition de les avertir que ce gouvernement de gauche, en lui-même, ne changera rien au pouvoir de la bourgeoisie qui s'appuie sur l'armée, sur la police, sur tout l'appareil d'État.

Or, là aussi, les formulations de « Democrazia Proletaria » sont pour le moins ambiguës. « Democrazia Proletaria » titre simplement (numéro de mai 1976 - Milan) : « 20 juin : les gauches au gouvernement, le pouvoir aux travailleurs ». Vittorio Foa, dirigeant du PDUPC, déclare (cité par Rouge du 28 mai 1976) : « le gouvernement des gauches sera, c'est évident, un gouvernement avec des intentions progressistes dans un cadre capitaliste ». Mais n'est-ce pas, tout à fait clairement, laisser entendre que, avec un gouvernement des gauches, les travailleurs commenceraient à disposer d'une partie du pouvoir politique ? N'est-ce pas développer le mythe du « gouvernement des gauches » laissant croire que le fait de remplacer, à la tête de l'État, le personnel politique Démocrate-Chrétien par celui issu du PCI et du PSI, mettrait en place un gouvernement qui serait animé « d'intentions progressistes ». Autrement dit, loin d'être un gouvernement de la bourgeoisie, il chercherait, plus ou moins maladroitement, à réaliser les aspirations des travailleurs, il resterait seulement alors à faire pression sur lui pour lui faire transformer ses intentions affirmées en actes !

Lorsqu'on contribue ainsi à entretenir les illusions propagées par les partis de gauche parmi les travailleurs, il ne sert à rien de prendre ses distances ensuite, en précisant, comme le fait massimo gorla, dirigeant de « avanguardia operaia » (cité par rouge du 2 juin 1976) :

« Le gouvernement des gauches pour lequel nous luttons n'est pas celui qui gérera de façon plus rationnelle le régime capitaliste, l'État bourgeois (...) le gouvernement des gauches que nous voulons représente l'ouverture d'une phase révolutionnaire de type nouveau ( .. ) le début d'un renversement des rapports de force entre le pouvoir et les masses, des rapports entre le mouvement de masse et les institutions ».

Ou, comme le fait Lotta Continua :

« Un gouvernement même de gauche et très avancé comme celui pour lequel nous luttons, ne pourra jamais changer la nature de cet État, ne pourra jamais réaliser entièrement les intérêts des prolétaires (...) La force pour continuer à combattre les patrons et les exploiteurs réside et résidera (...) dans le développement du pouvoir populaire ». (Programme électoral de Lotta Continua).

Ces précisions ne servent à rien sauf, peut-être, à donner bonne conscience à leurs auteurs. Pire même, en ne s'accompagnant pas d'une critique des intentions politiques d'un « gouvernement des gauches » (non pas celui « pour lequel nous luttons », selon Massimo Gorla, mais celui que le PCI et le PSI pourraient mettre en place), elles aboutissent à cautionner un tel gouvernement, en affirmant qu'il suffit d'ajouter au gouvernement PCI-PSI, un « pouvoir populaire », ou un « renversement des rapports de force » qui permettraient à ses « intentions progressistes » de devenir réalité. Il ne s'agit plus d'un appui tactique, mais bien d'une caution politique. Et il y a une différence entre une politique d'appui tactique et critique qui pourrait être juste dans certaines circonstances, compte tenu d'une appréciation politique juste de l'état d'esprit des masses, et une politique purement opportuniste à l'égard de la gauche.

Ainsi, loin de dénoncer, devant les travailleurs, les illusions propagées par le pci sur la possibilité d'un changement de leur sort par la grâce de sa participation au gouvernement, « democrazia proletaria », sous une forme juste un peu plus « gauche » nous ressert une version de ces illusions. cela revient à couvrir sous un verbiage gauchiste, une capitulation complète devant la politique anti-ouvrière que le pci s'apprête à mener. loin d'opposer, aux tromperies du pci, une alternative révolutionnaire, « democrazia proletaria » s'attache à apparaître simplement comme la queue sur sa gauche de la gauche italienne. tout comme le pci, « democrazia proletaria » laisse croire aux travailleurs qu'ils peuvent, sans s'attaquer à l'état bourgeois, sans briser ses structures, mettre en place un gouvernement qui représente leurs aspirations.

Dans cette attitude de « Democrazia Proletaria », il n'y a même plus seulement l'opportunisme d'organisations révolutionnaires à l'égard des organisations de gauche. Il s'agit d'un réformisme avoué : d'un réformisme de gauche, sans doute, mais d'un réformisme quand même. Et celui-ci a son aboutissement logique, tout simplement, dans la proposition d'une... participation ministérielle de « Democrazia Proletaria » au gouvernement des gauches dont elle a chanté les mérites ! C'est ainsi que, pour Lotta Continua, « les révolutionnaires ne se présentent pas aux élections seulement pour se compter : ils veulent aller au Parlement et veulent aller au gouvernement porter les objectifs et les revendications des masses. Mais seulement à condition que la lutte de classe crée dans le pays les conditions et rapports de force pour pouvoir compter dans une mesure déterminante ». (programme électoral de Lotta Continua). Avanguardia Operaia, de la même façon, envisage un gouvernement des gauches comme un gouvernement PS-PC-Democrazia Proletaria. Et le fait que cette proposition, dans les circonstances actuelles, ait évidemment bien peu de chances de rencontrer l'accord du PCI, n'empêche pas que cette démarche est révélatrice. Pour les dirigeants de Lotta Continua, comme pour ceux du PDUPC ou de Avanguardia Operaia, il n'y aurait aucune opposition à participer à un gouvernement bourgeois, aux côtés du PC et du PS. Ils pourraient alors y porter « les revendications des masses », à condition, comme dit Lotta Continua, que la pression des masses soit suffisante !

« L'unité des révolutionnaires », paraît-il réalisée ou en passe de l'être en Italie, apparaît donc, une fois regardée de près, comme un regroupement sur des bases purement réformistes. Le révélateur qu'est cette campagne électorale du 20 juin dissipe un peu le brouillard dont s'entourent depuis leur naissance des groupes comme Lotta Continua et Avanguardia Operaia. Leur politique, en réalité, ne diffère pas sensiblement de celle de cette « gauche du PC » qu'est le PDUPC, formé à partir de l'ex-PSIUP (Parti Socialiste Italien d'Unité Prolétarienne, équivalent italien du PSU, en crise depuis le début des années 1970) et du groupe du « Manifesto », exclu du PCI. Et, si l'unité réalisée lors de cette campagne est durable, si elle débouche effectivement sur une unification des forces qui soutiennent aujourd'hui « Democrazia Proletaria », ce ne sera nullement la création d'un mouvement révolutionnaire. Ce sera la création d'un parti réformiste de gauche, d'une sorte de PSIUP ou de PSU tout juste un peu repeint à des couleurs d'extrême-gauche, et dans lequel les ex-députés du PCI que sont les dirigeants du PDUPC espèrent pouvoir retrouver les moyens de jouer un rôle parlementaire.

Quant au soutien politique qu'apportent à ce regroupement des organisations comme les GCR ou, en France, la LCR, Révolution ! ou la GOP, au nom de « l'unité des révolutionnaires », il permet de juger du peu de principes politiques de ces organisations, qui les rend capables de cautionner ainsi une politique purement réformiste.

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