« International Socialist » et le Portugal01/03/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

« International Socialist » et le Portugal

 

Dans le compte-rendu de la Sixième Conférence Internationale organisée par Lutte Ouvrière en novembre 1975, nous avons fait état de la discussion avec la délégation de International Socialist sur nos appréciations respectives de la situation au Portugal. Nous avons également donné notre point de vue sur le comportement de la délégation de IS qui, devant le refus des autres délégations présentes à la Conférence de voter sa résolution sur la situation au Portugal, a cru bon de quitter la Conférence (voir Lutte de Classe n° 32).

International Socialist nous a demandé de pouvoir s'expliquer et re-préciser ses positions dans nos colonnes. Bien que Lutte de Classe ne soit pas une tribune de discussion, nous avons décidé de publier le texte des camarades de International Socialist. Il illustre sur plus d'un point les divergences sur la façon même d'aborder la situation au Portugal.

 

Le point de vue d'International Socialist

Un numéro récent de Lutte de Classe (n° 32) publie un article critiquant les positions de International Socialist.

Les accusations de Lutte Ouvrière portent sur deux points :

enspaceNos camarades ont agi incorrectement en quittant la Conférence Internationale de discussion sous le prétexte que cette conférence refusait de se prononcer sur une résolution « qui résumait leur point de vue sur le caractère révolutionnaire de la situation portugaise » (texte anglais, page 5)

enspaceNotre analyse de la situation portugaise est incorrecte et notre démarche « opportuniste ».

Nous pouvons aisément mettre les choses au point en publiant la résolution en question :

Résolution : « Cette conférence reconnaît que la formation de comités de travailleurs, de soldats et de locataires, l'armement de larges sections de la classe ouvrière, l'occupation des usines et des terres, la rupture totale de la discipline au sein des forces armées, et l'épuration de l'ancien appareil d'État fasciste, constituent une situation révolutionnaire au Portugal.

La seule alternative qui se pose au Portugal est soit la victoire du pouvoir des travailleurs, soit une catastrophe à la chilienne.

Nous appelons toutes les organisations représentées ici à accorder le maximum de soutien actif à la classe ouvrière révolutionnaire du Portugal ».

La décision de quitter la Conférence s'est basée sur deux considérations fondamentales. Tout d'abord, c'est un devoir élémentaire pour tous ceux qui se disent internationalistes d'accorder leur soutien aux travailleurs en lutte, quelles que soient leurs critiques à l'égard de la politique menée par les partis qui dirigent ces luttes.

Deuxièmement, c'est parce que nous formulons des critiques sur les partis qui mènent la lutte au Portugal qu'il est essentiel que nous accordions tout le soutien en notre pouvoir.

La capacité de notre analyse à remporter une audience au Portugal, et donc à influencer la lutte là-bas, dépend de notre capacité à prouver aux éléments avancés de la classe ouvrière portugaise que nous sommes à la fois désireux et capables de soutenir leurs luttes. C'est pourquoi nos critiques ont toujours été accompagnées d'une solidarité concrète. Nous avons fait la preuve que nous sommes du côté des travailleurs portugais.

Par conséquent il est clair que la première accusation lancée par LO est fausse.

International Socialist pense qu'il existe une situation révolutionnaire au Portugal et que la prise du pouvoir d'État par le prolétariat est une possibilité concrète. Lutte Ouvrière, à la fois dans ses propres positions et dans sa critique des nôtres, nie qu'il en soit ainsi.

Résumons très brièvement les raisons pour lesquelles IS pense ainsi. La situation de ces derniers mois au Portugal a été caractérisée par :

1) Des luttes massives de la classe ouvrière

2) Des occupations d'usines par les travailleurs, des expulsions de patrons et la prise en mains d'usines sous le contrôle des travailleurs ;

3) Des occupations de terres sur une grande échelle par les paysans pauvres ;

4) La désorganisation de la discipline militaire dans de larges sections de l'armée bourgeoise, et l'extension de l'armement de la classe ouvrière ;

5) Une profonde crise politique au sein de la bourgeoisie et la paralysie de l'appareil d'État.

Tout cela est irréfutable et LO n'essaie pas de le nier. Cependant, LO prétend qu'il n'existe pas de situation révolutionnaire. Selon eux, il n'existe pas de situation révolutionnaire tant que la classe ouvrière n'a pas réellement établi d'organisations du type des soviets et tant qu'elle n'est pas dirigée par un parti de masse de type bolchévik. Dans cette logique, la Commune n'était pas une situation révolutionnaire.

L'erreur est évidente : Lutte Ouvrière a fait une confusion élémentaire entre une situation révolutionnaire et les conditions pour le succès d'une révolution prolétarienne.

Lorsqu'on examine les aspects-clés qui manquent dans la situation portugaise, la différence s'établit clairement :

1) Aucun organisme du type des soviets n'a été mis en place ;

2) La destruction de l'armée bourgeoise n'a pas été accomplie ;

3) Il n'existe pas de parti révolutionnaire de masse ;

4) Il ne s'est pas institué de milice ouvrière ;

5) L'emprise des partis non-révolutionnaires sur la classe ouvrière n'a pas été brisée ;

6) Les classes moyennes, c'est-à-dire les paysans du nord, n'ont pas été gagnées au camp de la classe ouvrière.

Aussi ceux qui ne connaissent les positions de IS sur le Portugal qu'au travers de Lutte de Classe pourraient être surpris d'apprendre que chacun de ces six facteurs est traité à fond dans Le Portugal au Carrefour.

En se basant sur cette citation de notre brochure : « Une épuration efficace et complète signifie la quasi destruction de la structure de l'État bourgeois » , ils affirment que IS pense que l'État bourgeois a été « quasi détruit » par le Saneamento, et en conséquence, ils nous accusent de « rester dans le vague sur le problème de l'État » .

La preuve peut facilement être faite que nous ne pensons rien de tel.

Nous disons clairement que l'épuration n'a jamais été achevée. Nous consacrons un chapitre entier à la nécessité d'écraser l'État bourgeois. Tout cela aurait été superflu si nous avions réellement pensé que l'État bourgeois avait été presque détruit. La citation qui sert de « preuve » de nos erreurs n'est rien de cela. C'est une simple déclaration que la lutte contre le fascisme ne peut être complète qu'au travers de la révolution prolétarienne. Nous espérons que Lutte Ouvrière n'est pas en désaccord là-dessus.

Il en est de même pour l'autre problème qu'ils soulèvent, celui du parti. lis critiquent notre soutien au PRP-B.R. et notre tentative d'influencer sa politique en direction du marxisme révolutionnaire.

Le point de départ de notre action a été que si la révolution portugaise doit triompher (souligné par IS), il est impératif qu'un parti révolutionnaire de masse de type bolchévik soit construit. Après avoir étudié la gauche révolutionnaire au Portugal et avoir rencontré la direction de différents groupes, nous avons décidé que de toutes les organisations existantes, le PRP-B.R. était celle qui avait le plus de chances de se développer vers le parti de masse. Nous avons pris cette décision pour les raisons suivantes :

1) Le PRP disait que la logique de la situation au Portugal menait soit à la révolution prolétarienne, soit au retour à une dictature capitaliste sanglante ;

2) Que la classe ouvrière ne pouvait conquérir le pouvoir d'État que par l'insurrection armée ;

3) Que seule la classe ouvrière pourrait vaincre le capitalisme au Portugal ;

4) Qu'afin de mener à bien une telle insurrection, il était essentiel de construire à la fois des soviets et une milice ouvrière ;

5) Que ni le PS ni le PCP. ne pourraient être gagnés à des positions révolutionnaires

et qu'il était nécessaire de construire un parti ouvrier indépendant ;

6) Ils étaient implantés dans les secteurs avancés de la classe ouvrière.

Pour autant que nous puissions en juger, aucun autre parti au Portugal ne remplissait toutes ces conditions.

Si la critique doit avoir un quelconque effet sur le sort de la révolution portugaise, elle doit s'adresser à une force politique militant au Portugal. Sinon elle n'a pas de sens. Si la critique que fait LO de notre décision est que nous avons choisi la mauvaise organisation, alors ils doivent nous indiquer quelle force ils croient capable de construire un parti de masse. Car on suppose que leurs documents sur le Portugal ont pour but d'influencer la situation.

Lutte Ouvrière soulève cependant encore un autre point. Ils disent que nous déclarons « avoir certaines divergences politiques avec le PRP » (p. 4). Ils mettent en doute que le PRP ait une réelle perspective vers la classe ouvrière, et déclarent que le PRP croit Otelo capable de faire une révolution ouvrière. L'affirmation implicite, c'est que, par opportunisme, IS a choisi de camoufler ses divergences avec le PRP et d'ignorer ses erreurs. Cela est faux. Tout notre matériel, y compris ce que nous avons publié en portugais, a ouvertement critiqué le PRP Pour prendre la question militaire, par exemple, notre critique principale est justement que le PRP, en tant que force motrice derrière les Conseils Révolutionnaires des Ouvriers, des Soldats et des Marins, a été incapable d'établir nettement la différence entre les officiers et les soldats et d'appeler ouvertement à l'élection des officiers.

La deuxième accusation portée par Lutte Ouvrière est fausse.

Depuis la Conférence, l'aile droite a gagné beaucoup de terrain au Portugal. La nécessité de la solidarité est encore plus grande. La classe ouvrière portugaise est en danger. Nous espérons que LO reviendra sur ses positions sur le Portugal.

 

Nous n'avons pas l'intention de relancer la discussion avec International Socialist sur les positions défendues par les uns et les autres à la Conférence Internationale. Relevons cependant brièvement les points suivants :

- International Socialist est évidemment le principal juge sur la question de savoir si ses divergences avec les autres groupes participant à la Conférence Internationale étaient compatibles ou non avec sa présence à cette Conférence.

- Mais il était profondément incorrect de soumettre la Conférence au chantage : ou vous prenez position sur notre résolution - sans même pouvoir en discuter la formulation - ou nous quittons la Conférence. Dans sa réponse, IS se contente de justifier le bien fondé de sa résolution, mais il ne se donne pas la peine de s'expliquer sur les méthodes utilisées pour tenter de la faire adopter.

- Quant au fond, c'est-à-dire nos appréciations respectives sur la situation au Portugal, le texte présent de International Socialist illustre non seulement certaines de nos divergences, mais surtout le peu de sérieux avec lequel ces camarades abordent le problème.

Ce texte a été écrit bien après les événements de Tancos. Or la facilité avec laquelle, profitant de la rébellion des parachutistes contestataires de Tancos, quelques centaines d'hommes de commando ont pu désarmer tous les régiments contestataires et engager le rétablissement de la discipline sans que la classe ouvrière réagisse, constitue un indice significatif du degré réel de mobilisation, d'organisation et de conscience politique de la classe ouvrière.

Or les camarades de IS continuent à écrire imperturbablement « qu'il existe une situation révolutionnaire au Portugal et que la prise du pouvoir par le prolétariat f4iul est une possibilité concrète » (souligné par IS). C'est désolant.

- Sur la question de l'épuration, la position de IS est en effet claire. Les compléments apportés dans le texte ci-dessus soulignent précisément ce que nous avons voulu souligner dans notre critique. IS se défend en affirmant qu'ils ont toujours dit que l'épuration n'a « jamais été achevée ». Mais qu'est-ce que cela veut dire, une épuration achevée ou « une épuration efficace et complète » de l'État bourgeois ? Peut-il y avoir un État bourgeois complètement épuré ? Et épuré de quoi, de qui ?

L'appareil d'État bourgeois doit être détruit. Oh, cela, IS le dit - aussi. Mais en vantant par ailleurs les mérites - même insuffisants d'après lui - de « l'épuration », IS reprend purement et simplement à son compte de vieux préjugés réformistes, véhiculés en particulier par le mouvement stalinien.

- L'ambition de nos critiques d'un certain nombre de positions politiques - des positions politiques défendues par IS par exemple - est bien plus modeste que celle d'avoir « un quelconque effet sur le sort de la révolution portugaise ».

Et si nous critiquons le suivisme de IS par rapport au PRP-B.R. qui, de son côté, avait montré son suivisme par rapport à Otelo, ce n'est certes pas parce que ce suivisme de IS. nous inquiète pour l'avenir du Portugal, Par contre, le comportement politique que ce suivisme indique est significatif de la politique que IS mène en Grande-Bretagne même.

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