Les élections législatives de mars01/03/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les élections législatives de mars

Les élections législatives qui se déroulent actuellement ne vont certes pas changer beaucoup la vie politique française. La constitution de la Ve République est ainsi faite que le pouvoir exécutif dispose d'une marge considérable d'indépendance par rapport au Parlement. Il faudrait un véritable raz-de-marée, donnant une large majorité de députés du Parti Communiste, des sociaux-démocrates et des partis bourgeois plus ou moins libéraux, pour que le gouvernement risque d'être renversé. Il faut en effet pour renverser le gouvernement, qu'à la Chambre une motion de censure soit votée à la majorité des deux tiers. Auquel cas le Président peut dissoudre l'Assemblée et c'est seulement si les électeurs persévèrent dans leur premier choix que le pouvoir gaulliste peut être contraint de gouverner en fonction des désirs du « peuple souverain ». Comme on voit il ne s'agit peut-être pas des douze, mais d'une bonne partie des travaux d'Hercule.

Dans la conjoncture politique actuelle une telle éventualité est évidemment possible : mieux que tous les Gallup, le suffrage universel est son propre sondage. Elle est cependant assez improbable. Même si l'UNR, le parti gaulliste, perd la majorité qu'il détient actuellement à la Chambre et qui contribue à rendre encore plus libre le gouvernement vis-à-vis du Parlement que la constitution ne le lui permet, il est peu probable que les partis dits de gauche (PCF, Fédération de la Gauche, PSU) conquièrent la majorité absolue. Ce seront des formations de Centre ou de droite qui compléteront cette majorité selon les circonstances et qui hésiteront certes à fournir - s'ils le peuvent - les voix d'appoint pour renverser l'actuel gouvernement et précipiter la dissolution du Parlement. Conquerraient-ils cette majorité, trouveraient-ils des alliés au Parlement pour réunir cette majorité des deux tiers nécessaires à la motion de censure, retrouveraient-ils la majorité lorsqu'ils se représenteraient devant les électeurs, qu'il n'en est pas certain pour autant que PCF et Fédération de la Gauche puissent trouver un modus vivendi pour gouverner ensemble. Du point de vue de la politique internationale il est exclu que la bourgeoisie française puisse accepter une telle situation et ni le Parti socialiste, ni le Parti radical, qui composent la Fédération de la Gauche ne s'y prêteront. Evidemment, on peut toujours penser qu'une telle victoire électorale de la gauche pourrait susciter de grands espoirs pour la classe ouvrière et, tout comme en Juin 1936, provoquer une mobilisation de la classe ouvrière telle qu'elle contraigne la bourgeoisie française à accepter, comme arme de défense, une nouvelle participation du Parti Communiste Français au gouvernement. Une telle situation est évidemment possible mais rien ne permet de l'envisager sérieusement. C'est pourquoi il est vain d'attendre beaucoup de changements de ces élections.

Il n'est pas inintéressant dans ces conditions de se poser la question de la participation des trotskystes à cette consultation.

Précisons tout d'abord qu'il est malheureusement trop souvent d'usage, au sein des organisations trotskystes, de raisonner comme des groupuscules et de prétendre agir comme des Partis. La logique et l'efficacité commandent au contraire de raisonner au plus haut niveau, à celui de la classe ouvrière prise dans son ensemble, mais de concevoir et d'entreprendre les actions au niveau de ce qu'on est réellement capable de faire. L'attitude inverse, même si elle s'entoure d'un rempart théorique d'autant plus inattaquable qu'il n'a aucun rapport avec la réalité, n'aboutit qu'à des positions erronées ou purement et simplement aux alibis et au bluff.

Considérons d'abord que, selon la loi électorale française actuellement en vigueur, pour pouvoir bénéficier d'une partie des avantages des grandes formations politiques - radio et télévision en particulier - il faut et il suffit de pouvoir se présenter dans 75 circonscriptions, cela nécessite 75 candidats, plus 75 suppléants, et 75 000 Francs (7,5 millions d'anciens francs) de caution. C'est à la fois peu et beaucoup. Peu, parce que 75 000 Francs et 150 candidats, cela doit quand même pouvoir se trouver pour des organisations qui se prétendent en mesure d'agir. Beaucoup, parce qu'aucune organisation trotskyste n'a jugé bon de faire l'effort de les réunir. De toutes façons un front commun des organisations trotskystes françaises eût certainement permis de les trouver.

Nous voulons en donnant ces détails faire prendre conscience que quoi qu'elles puissent en dire, aucune des organisations trotskystes qui considèrent comme vital, ou même seulement nécessaire, de participer à ces élections n'ont envisagé de le faire sérieusement, comme un acte de combat, en mettant tous les atouts dans leur jeu. Les élections sont, entre autre, un moyen privilégié de s'adresser aux masses en utilisant les canaux d'information de l'État bourgeois. Comment à l'heure actuelle peut-on renoncer à la radio et à la télévision pour se contenter de préaux d'écoles où personne ne va et de panneaux d'affichage plus folkloriques qu'efficaces. Ces moyens techniques représentaient quelque chose, il y a vingt ans. Aujourd'hui les seuls moyens d'expression qui touchent les masses durant la période électorale sont justement les moyens d'expression dits de masse : la radio et la télévision.

Il est donc bien évident que participer aux élections pour mettre à profit la période électorale où les masses les plus arriérées s'intéressent à la politique, aurait nécessité de faire l'effort de se présenter dans un nombre suffisant de circonscriptions pour, d'une part, pouvoir utiliser la radio et la télévision et, d'autre part, permettre à une fraction significative de la classe ouvrière de s'exprimer en portant ses suffrages sur le nom des candidats de l'organisation révolutionnaire.

Dans ce domaine comme dans d'autres les organisations trotskystes « officielles » (puisque nous sommes les seuls à ne pas nous dire « officiels » ) font preuve d'un manque de sérieux caractéristique. Et c'est à notre avis ce manque de sérieux au niveau des tâches et des objectifs organisationnels qui se traduit par un manque de sérieux politique. C'est une analyse sur laquelle nous aurons à revenir souvent, mais l'échec de la IVe Internationale, du point de vue subjectif (c'est-à-dire si l'on écarte les facteurs de régression historique), est dû au manque de préparation professionnelle de ses militants, et, en dernière analyse, à la façon peu sérieuse d'envisager les tâches.

Dans ce domaine comme dans d'autres on remplace l'action par l'illusion, là où on devrait présenter aux suffrages des plus larges masses, une organisation sérieuse, posant sérieusement et de façon responsable les problèmes de la classe ouvrière, on fait un baroud d'honneur dans un quartier ignoré, et l'on essaie de faire croire au microcosme révolutionnaire du pays qu'il s'agit là d'une affaire nationale. La défiance des masses pour le trotskysme provient de l'expérience maintes fois renouvelée de telles attitudes et de tels procédés.

Mais il ne suffirait pas de parler à la radio et à la télévision et d'être présent dans soixante-quinze circonscriptions.

0n peut concevoir que l'organisation révolutionnaire participe à la campagne électorale plus dans un but de propagande que dans un but d'agitation. Elle peut simplement mettre à profit l'intérêt exceptionnel que les masses portent dans ces circonstances à la politique, pour faire connaître l'organisation révolutionnaire et ses objectifs et faire une critique impitoyable du régime et des organisations soi-disant ouvrières qui le soutiennent indirectement. Là, se pose une question morale : demain ou après-demain les travailleurs qui chercheront, non plus sur les ondes mais dans la vie, cette organisation révolutionnaire ont-ils des chances de la trouver aux bons endroits et, s'ils la trouvent, ne seront-ils pas déçus ? C'est le problème que ne posent pas d'ordinaire les organisations trotskystes, car elles considèrent que cela va de soi, mais c'est le problème que nous, nous posons ouvertement, en le disant tout net : aucune organisation trotskyste, y compris la nôtre, n'est à l'heure actuelle suffisamment trempée, suffisamment sérieuse, pour pouvoir affronter la notoriété soudaine que donnerait la participation, de la façon exposée plus haut, aux élections législatives. En effet, si la participation aux élections est une opportunité qu'aucune organisation révolutionnaire sérieuse ne doit négliger, le fait d'y participer ne confère pas automatiquement le sérieux révolutionnaire. Remplacer le sérieux dans la construction du parti révolutionnaire par des éclats propagandistes même justes « programmatiquement » ne peut aboutir qu'à l'échec, comme par le passé. Et c'est de cette construction que les trotskystes se sont montrés jusqu'ici incapables dans les usines et sur les chantiers. Le faire savoir d'un seul coup à des millions d'auditeurs n'avancerait guère le mouvement.

Mais il est bien évident qu'une organisation révolutionnaire même maladroite et non aguerrie a le droit, et le devoir éventuellement, de participer de son mieux, à de telles élections parlementaires, si elle peut, par sa participation elle-même, intervenir dans la lutte, ne serait-ce qu'au niveau d'une certaine prise de conscience. C'est, en fin de compte, ce que prétendent faire l'OCI (La Vérité, Informations Ouvrières et Révoltes) [fn]Organisation Communiste Internationaliste, affiliée au CI[/fn], le PCR(t) (Lutte Communiste)[fn]Parti Communiste Révolutionnaire (trotskyste), affilié au Bureau Latino-Américain.[/fn] en présentant chacun un candidat et en faisant voter pour le PCF, le PS, partout ailleurs (cette dernière position étant d'ailleurs la même que celle du PCI [[Parti Communiste Internationaliste affilié, au Secrétariat Unifié.]] ; le PCI, ne présente pas de candidat, mais il y a si peu de différence entre se présenter dans une seule circonscription et ne pas se présenter du tout dans toutes les autres leur position est rigoureusement la même... et aussi ignorée des masses). Le programme de l'OCI, se résume à la proposition suivante : de Gaulle « veut obtenir la majorité aux prochaines élections pour appliquer son plan », il faut que les organisations ouvrières rompent avec leurs alliés bourgeois pour faire un front unique de classe et c'est comme cela qu'on pourra battre de Gaulle. En quoi, cette proposition pourra-t-elle convaincre les masses ? En quoi sont-ce là les sentiments profonds des travailleurs qu'ils pourraient reconnaître dans la bouche des militants révolutionnaires ? De quelle autorité est parée l'OCI, pour penser capitaliser sur son candidat un nombre suffisant de voix ouvrières pour que le PS et le PCF, ou du moins les travailleurs qui votent pour eux, en soient impressionnés au point de se sentir au pied du mur pour les uns, de se poser des questions pour les autres. Bien sûr ils pourront extrapoler les suffrages obtenus dans une circonscription à toutes celles du pays, mais qui cela convaincra-t-il ?

Que veut dire le Front Unique de classe de la part de l'OCI ? Nous ne parlons pas du programme du PCR (t) parce qu'avec des mots différents il n'a pas plus de consistance.

Le programme que nous voyons défendre par l'OCI, n'est en rien une participation à la lutte. Il est un alignement de mots justifiant le fait de présenter un candidat et destiné seulement à faire croire en deçà des limites du mouvement trotskyste que l'OCI, et le PCR(t) participent concrètement à la lutte. S'y ajoutent peut-être aussi les nécessités à l'usage du « communiqué international ».

Et cet aspect n'est peut-être pas mineur. Les deux organisations qui présentent des candidats sont celles qui doivent justifier l'Internationale à laquelle elles prétendent appartenir. Ces candidatures sont bien entendu à voir dans ce contexte. Il explique que l'on se contente d'un baroud et que l'on ne recherche pas l'efficacité. Cela n'ajoute aucun sérieux aux organisations qui pratiquent ce genre.

Evidemment nous n'avons pas de programme à proposer dans les circonstances actuelles. Nous ne pensons pas qu'une organisation trotskyste française soit en mesure, du point de vue politique, de participer aux élections. Aucune n'a fait ses preuves même vis-à-vis d'un petit secteur de la classe ouvrière. Aurions-nous un tel programme et quelques titres à mériter les suffrages des travailleurs que nous aurions présenté un nombre suffisant de candidats pour pouvoir bénéficier des avantages matériels qui sont réservés aux partis politiques. Trouver soixante-dix candidats, leurs suppléants et 7,5 millions d'anciens francs étaient dans nos forces avec quelques sacrifices (peut-être avec l'aide des autres organisations trotskystes) comme cela eût été dans les forces de l'OCI, nous l'espérons, si elle avait voulu faire un travail sérieux. Mais le programme, c'est-à-dire, le programme présenté par des militants connus des travailleurs, au moins dans certains secteurs, ce n'est pas plus dans nos forces que dans celles de l'OCI Cette façon se poser les problèmes peut surprendre. Elle est la nôtre dans tous les domaines, c'est en quoi nous affirmons avoir assimilé la nature de la conception bolcheviste du parti. La théorie nous sert à l'action. Et l'action à vérifier la théorie. Les phrases creuses, les coups de bluff, les activités superficielles, nous les écartons. Nous préférons moins mais mieux, et c'est un choix conscient.

Il reste le problème de savoir si, dans ces élections, les révolutionnaires doivent demander aux travailleurs de voter pour le PCF, et éventuellement pour le PS, et assimilés, ce que font l'OCI, et le PCI.

Bien entendu les travailleurs qui voteront pour le PCF, ne voteront pas seulement pour approuver tous les méandres de la ligne politique de ce dernier. Pour nombre d'entre eux, voter PCF, ce sera voter contre la bourgeoisie. C'est ainsi d'ailleurs qu'il est possible d'apprécier une partie des suffrages qui se seront portés sur les candidats du PC.

Les révolutionnaires peuvent dire aux travailleurs, votons pour les candidats du PC, sans illusion, mais c'est le seul moyen que nous ayons de manifester notre opposition à la bourgeoisie.

En fait cette position est possible et c'est celle que nous avons prise pour les dernières élections législatives de 1962.

Cependant si nous interprétons les votes portés sur le PCF, de cette façon, il n'en va pas de même des dirigeants du PCF, de la bourgeoisie et de la majorité des travailleurs qui l'interprètent comme la caution de la politique actuelle du PCF.

Par ailleurs, lorsque les organisations révolutionnaires font ce que fait l'OCI, dire aux travailleurs : « votez pour le PCF, pour battre de Gaulle », c'est un exemple de crétinisme parlementaire qui ne peut être que sui generis.

Recommander aux travailleurs de voter PCF, est parfois nécessaire pour ne pas se couper des ouvriers influencés par le stalinisme, lorsqu'il faut se montrer solidaires d'eux. En 1962, il y avait la montée de l'OAS, et la propagande contre les partis et le parlementarisme que faisait le pouvoir exécutif qui avait eu son maximum avec le plébiscite modifiant la Constitution.

Dans les circonstances actuelles cette position se justifie moins. Solidarité pourquoi ? avec quoi ? en quoi le PCF est-il menacé ? En quoi sa victoire électorale ou sa défaite modifieraient-elles quoi que ce soit dans le rapport des forces ?

Les révolutionnaires n'ont qu'une influence extrêmement faible sur les votes des travailleurs, parce que leur audience au sein de la classe ouvrière est extrêmement faible. Aucun ouvrier influencé par les staliniens n'a la preuve de la sincérité des trotskystes parce qu'ils font voter pour le PC. Par contre, dans les couches petites-bourgeoises que les organisations trotskystes influencent beaucoup, on renforce les préjugés parlementaristes qui sont déjà très développés, on renforce aussi le suivisme vis-à-vis du PCF, suivisme qui est la coqueluche des intellectuels et on désoriente les quelques travailleurs qui se sont tournés vers le mouvement révolutionnaire. En plus, quand on le fait avec des formulations particulièrement douteuses, ou pire, démagogiques, on se démoralise soi-même.

Les organisations révolutionnaires auraient une influence importante sur les votes que la question se poserait bien entendu de façon très différente. Se poserait bien sûr en premier la présentation de candidats (nous ne disons pas pour avoir des élus, mais au moins pour que le nombre des suffrages soit significatif d'un accord des travailleurs avec le programme présenté).

Dans ces conditions il n'est pas question non plus de boycotter les élections, comme des militants de l'OCI, ont prétendu nous le faire dire, montrant en cela qu'ils comprenaient bien les problèmes ! Il n'y a dans les circonstances actuelles aucune raison de boycotter ces élections.

Tout le problème est donc pour des petits groupes, sans grande influence, et surtout qui n'ont jamais pu, ni su, inspirer confiance à un secteur de la classe ouvrière, ni encore pu gagner son estime, de savoir quelle attitude prendre.

Nous pensons que lorsqu'on peut agir, on doit agir, mais il ne sert à rien de prétendre agir quand on ne le fait pas, car on ne trompe que ses partisans.

0n peut aussi s'aligner sur les grands partis. C'est parfois obligatoire. C'est souvent s'aligner par suivisme.

C'est pourquoi nous pensons que dans les circonstances actuelles étant donné que nous n'agissons pas, il ne sert à rien de faire semblant. Recommander à nos camarades et à nos sympathisants de s'abstenir n'est probablement pas une position de combat, et nous ne le prétendons pas. Mais elle est certes la position la plus consciente.

Les autres organisations trotskystes n'ont pas le même souci, elles confondent la politique de Trotsky avec celle qu'elles peuvent se permettre de mener et n'ont jamais pu envisager sérieusement la construction d'un parti révolutionnaire parce qu'elles n'ont jamais fait la distinction entre la propagande et l'action, baptisant la première avec le nom de la seconde et, dans cette voie, jamais inspiré confiance à qui que ce soit.

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