Unitaire pour cinq22/10/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Unitaire pour cinq

La perspective d'élections présidentielles plus ou moins proches a amené, on le sait, un certain nombre d'hommes politiques de gauche (ou même de moins gauche), à envisager d'une façon nouvelle leurs rapports avec le PCF puisqu'il est maintenant nécessaire de s'assurer son appui électoral, il n'est plus question de le vouer aux seules gémonies soviétiques - momentanément du moins. Ils ont cependant amorcé la chose avec beaucoup de prudence.

I1 suffit pourtant qu'un Maurice Faure - qui affirme toujours qu'il repousse « toute alliance en bonne et due forme avec le Parti Communiste » - déclare, par ailleurs, qu'il admet la possibilité d'une entente en cas « de péril imminent présent sur la République », pour que notre Parti Communiste tel le corbeau de la fable ouvre un large bec (celui de Laurent Salini dans « L'Humanité » du 20.10.63) et laisse tomber son programme.

Il est vrai que dans le vague espoir - très, très vague encore - d'être enfin dans le coup, c'est-à-dire dans les mêmes comités électoraux que les partis socialistes, radicaux ou même MRP, quand il ne caresse pas la chimère de faire partie du « gouvernement républicain » qui doit remplacer de Gaulle après la défaite électorale de celui-ci - « car il s'agit évidemment d'appliquer ensemble le programme que l'on aura dressé ensemble et fait admettre ensemble par le pays » ( « L'Humanité-Dimanche » du 20.10.63) - il ne peut être question de s'accrocher à des vétilles telles l'affirmation de ses propres idéaux politiques (d'ailleurs, pour cela, il faudrait d'abord en avoir).

Il est vraiment comique de voir le parti le plus important de l'opposition, celui qui fait voter bon an, mal an, 20 à 25 % des électeurs, celui dont tout le monde reconnaît l'absolue nécessité, pour les autres, de s'assurer l'appui, et qui, de ce fait, devrait parler haut, net et fort, pour imposer ses vues ou la plus grande partie d'entre elles, n'avoir en fait qu'une seule préoccupation : démontrer aux autres formations de l'opposition qu'il est parfaitement d'accord avec elles, que rien ne l'en distingue et qu'il abandonne d'avance tout programme tant soit peu particulier.

Pour s'en convaincre il suffit de lire l'éditorial de « L'Humanité-Dimanche » du 20.10.63, résumé de toute la propagande de la presse stalinienne sur le sujet. Un seul thème, une seule idée en constituent la matière : entre les socialistes, les radicaux, les MRP même et le PC, il n'est pratiquement pas de divergences politiques.

Une certaine gymnastique intellectuelle est-elle nécessaire pour cela ? Ce n'est pas pour rebuter les journalistes du PCF L'essentiel de l'apport stalinien à la dialectique n'a-t-il pas consisté à démontrer qu'en politique le mouvement est tout (celui de droite à gauche et de gauche à droite en particulier) et le fond idéologique rien ?

Pour bien convaincre ceux qu'il espère ses futurs alliés, et aussi ses propres troupes de militants et sympathisants comment procède le PC ? En se contentant d'abord de prendre pour argent comptant toutes les vagues déclarations d'intention de Pierre, Maurice ou Guy :

« Voyons de plus près. Nous n'apercevons aucun désaccord sur le rétablissement et l'extension des libertés démocratiques, aucun non plus sur la priorité à donner à l'éducation ». Jusqu'où seront « étendues » ces libertés démocratiques ? De quelle éducation s'agira-t-il ? Ce sont là des questions qui ne se posent pas. De même que l'on ne doit pas demander non plus par quel moyen et comment cela peut être fait.

Au besoin il force légèrement les intentions inavouées des radicaux ou des socialistes : « Aucune démocratie un tant soit peu étendue n'est possible sans que le grand capital soit limité » (nul besoin de l'abolir donc ?)... « sans que les banques, la sidérurgie, le pétrole, l'industrie atomique soient nationalisés. Le Parti Socialiste est du même avis que nous » (le séjour de Guy Mollet à la Présidence du Conseil ne l'a-t-il pas amplement démontré ?)... » le parti radical qui se veut « l'infanterie de la République » a toujours considéré les nationalisations avec faveur ». (qui l'aurait cru ?Tous ces radicaux ne sont-ils donc que de grands timides, qui n'osent pas s'affirmer ?).

Cependant il est quelquefois impossible de se contenter des vagues promesses ou de découvrir des intentions bien cachées. Qu'à cela ne tienne. Ne suffit-il pas alors de mettre de côté ce que l'on ne peut arriver à concilier ? Ainsi, à propos de la politique étrangère, Laurent Salini consent à reconnaître « qu'il y a dans ce domaine matière à discuter ». Il pourrait sembler en effet, même à un esprit peu au fait des choses de la politique, qu'entre « le président du Parti Radical qui résume ainsi sa pensée : « construction européenne, fidélité à l'Alliance Atlantique « et « les communistes qui soulignent la malfaisance du Marché Commun et, depuis toujours, dénoncent les dangers du Pacte Atlantique », il y ait un obstacle insurmontable.

Que non, cependant, « car nul ne demande aux partenaires de renoncer à ses conceptions générales mais seulement de s'entendre sur ce qui est d'ores et déjà commun »... » or toutes, les formations démocratiques demandent l'adhésion au traité de Moscou ; toutes sont favorables au dialogue Est-Ouest »... Pour cela donc « il n'est pas indispensable de rayer d'un trait de plume les engagements souscrits par la France. » Eh oui ! Que les militants du PCF se fassent une raison : contre la signature du traité de Moscou, on fermera les yeux sur les alliances militaires ou économiques de l'impérialisme français.

On ne pourra certes pas accuser le PCF de mettre les bâtons dans les roues de la charrette de I'unité. D'avance - il l'affirme et le crie bien haut - il souscrit à tout ce que voudra bien dire ou faire Mollet, Faure ou Pflimlin, sans voir en eux autre chose que des républicains sincères... presque des révolutionnaires, au fond.

Une platitude plus grande que celle des dirigeants du PCF est assez difficile à imaginer. Le plus drôle (ou le plus triste peut-être) c'est, bien sûr, que nous pouvons être certains qu'ils seront rejetés par leurs « alliés provisoires » dès qu'ils n'auront plus besoin d'eux. Ceci d'autant plus facilement que leur attitude servile montre qu'avec eux, il n'est pas besoin de prendre de gants.

Les représentants de la bourgeoisie auprès des masses petites-bourgeoises ou prolétariennes, que sont les radicaux et les socialistes, n'ont, pas plus que la bourgeoisie en général, de raisons de conserver avec eux une écorce pseudo-révolutionnaire quand le jus réformiste est pressé. Mais la place des uns comme des autres n'est-elle pas depuis longtemps dans la poubelle de l'Histoire ?

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