Une Colombe ne fait pas la paix06/02/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Une Colombe ne fait pas la paix

Si les commentaires, les hypothèses et les supputations de la presse sur les intentions de de Gaulle vont bon train, la fin de la guerre, elle, ne paraît pas se rapprocher.

Bourguiba aurait officieusement proposé ses bons services pour préparer un accord entre le gouvernement français et le GPRA. De Gaulle aurait officieusement accepté, sinon ses bons services, du moins de le rencontrer.

En réalité, le problème qui se pose n'est pas celui de trouver un moyen d'engager les discussions. Le seul problème qui se pose est celui du rapport des forces en Algérie même. De Gaulle propose aux Algériens l'autodétermination présentée comme le libre choix de leur sort. Il sous-entend que si le FLN consent à ne plus se battre il pourra participer à la vie politique du pays et, en particulier, à la campagne pour le référendum de l'autodétermination. Cela il le promet, mais il est incapable de tenir cette promesse sans réduire par la force, en se servant de l'armée, l'hostilité des ultras et des Européens d'Algérie. Dans les conditions actuelles, même si les combats cessaient, il est rigoureusement impossible à de Gaulle de garantir la liberté d'expression en Algérie à des représentants officiels du FLN. Il ne peut même pas songer à garantir leurs existences. Maître Popie, le jeune avocat, qui n'était pourtant ni communiste ni FLN mais ancien MRP, a payé de sa vie ses opinions « libérales ». De Gaulle ne peut tenir aucune des promesses d'un éventuel accord, c'est ce qu'il l'a contraint à interrompre les entretiens de Melun. La condition d'un accord sur l'autodétermination, c'est que de Gaulle exige, et obtienne, de l'état-major qu'il brise les ultras.

De cela de Gaulle en a le pouvoir. Les ultras ne représentent pratiquement rien en métropole et, en Algérie, s'ils s'appuient sur la majorité de la population européenne, celle-ci n'est cependant qu'une minorité. Quant à l'opposition qu'il pourrait rencontrer au sein de l'armée, elle n'est le fait que d'un tout petit nombre d'officiers supérieurs. Le seul problème qui se pose donc est de savoir si de Gaulle se résoudra à briser l'extrême droite.

Il ne l'a pas fait jusqu'à présent, parce qu'il n'y était pas contraint ; s'il le fait, ce sera parce qu'il ne pourra pas faire autrement car briser l'extrême droite, c'est renforcer la gauche dans le pays.

Lorsque de Gaulle est venu au pouvoir en 1958, la bourgeoisie française semblait contrainte de faire la paix à brève échéance car les dépenses entraînées par la guerre l'avait amenée, à part la crise politique, au bord d'une crise économique grave. De Gaulle semblait être le seul homme capable d'imposer à la droite une solution du conflit, et capable en même temps d'imposer au pays un régime renforçant suffisamment les pouvoirs de l'État. La crise a été résorbée, grâce en particulier aux sacrifices imposés aux masses, et la nécessité de la paix est devenue moins rigoureuse pour la bourgeoisie.

Il y a un mois de Gaulle présentait son référendum comme étant destiné à permettre la paix. Il devait soi-disant démontrer que les ultras n'étaient rien et que tout le monde en France était partisan de l'autodétermination. Il a obtenu la majorité qu'il voulait obtenir, mais la paix n'est toujours pas là parce que, bien entendu, l'opposition d'extrême droite se moque d'être minoritaire tant qu'elle détient la force d'empêcher pratiquement un règlement pacifique. Dans ce sens, le référendum était bien plus destiné à faire croire que, puisque tout le monde en France l'approuvait, seul le FLN rejetait l'autodétermination.

À l'heure actuelle la paix ne peut se faire que si les ultras, l'extrême droite, les Européens d'Algérie se laissent convaincre pacifiquement, ou si de Gaulle se voit contraint de leur imposer un règlement pacifique avec le FLN. Si six années de guerre n'ont pas convaincu les Européens d'Algérie et l'extrême droite que la continuation du conflit était inutile, on ne voit pas bien ce qui pourrait les convaincre aujourd'hui, sauf peut-être la généralisation des manifestations de musulmans qui, parties des grandes villes, commencent à s'étendre à toute l'Algérie. Si elles se généralisaient, elles seules contraindraient les européens et de Gaulle à hâter la fin de la guerre.

Une autre contrainte pourrait venir de la métropole. Celle-ci malheureusement semble exclue. Les organisations qui se sont prononcés pour le NON au référendum, tels le PCF et le PSU, se contentent maintenant de reprocher à de Gaulle son manque de parole. L'Humanité répète à peu près tous les jours « de Gaulle a eu son OUI au référendum, qu'attend-il pour faire la paix ! ». Et ceux qui se sont soi-disant opposés en appelant à voter NON, qu'attendent-ils pour se manifester efficacement ? C'est plus difficile que d'appeler à mettre un bulletin dans une urne dans le cadre légal accepté et voulu par de Gaulle, certes.

Aux manifestations des musulmans algériens devraient correspondre en France des manifestations populaires. Malgré tout ce que peuvent dire les organisations de la gauche française, le fait qu'elles ne harcellent pas le pouvoir gaulliste, que depuis un mois que le référendum a eu lieu aucune manifestation n'a été organisée, aucune action n'a été envisagée, montre bien que la gauche française, le PCF en tête, est indiscutablement à la remorque de de Gaulle.

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