Une bataille et pas la guerre05/05/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Une bataille et pas la guerre

 

L'épuration de l'armée et de l'administration, la recherche et le châtiment des exécutants du coup de force, de ceux qui leur ont manifesté une quelconque complaisance, ou qui en ont été les inspirateurs et les bailleurs de fonds, ne peuvent tromper personne. Quelles que puissent être l'importance et la sévérité des mesures prises, elles ne sont pas destinées, elles ne peuvent pas être destinées, à s'attaquer aux causes mêmes du « complot » ou à ses racines profondes, Ces mesures sont tout au plus destinées à « blanchir » l'armée et l'administration aux yeux des masses populaires et des jeunes soldats du contingent. Il faut en effet que les chefs actuels ne soient pas critiquables sinon l'insoumission, demandée par le chef de l'État vis-à-vis des officiers « félons », risquerait de devenir une habitude et de s'étendre. Les sanctions prises peuvent être sévères, dans de telles circonstances la bourgeoisie peut frapper durement des serviteurs dévoués, sans que cela change quoi que ce soit au fond. Ceux qui seront sanctionnés le seront pour n'avoir pas été fidèles au gouvernement et non parce qu'ils sont des officiers réactionnaires, bien entendu.

er R.E.P. dissous déclaraient « nous n'avons plus qu'à aller au Katanga » (en quoi ils se trompent car « nous » les gardons, « nous » en avons encore l'usage).

Il est bien évident que cet état de choses est à l'abri de toute « épuration », si complète ou brutale soit-elle. Ce n'est pas un régiment qu'il faudrait dissoudre, ni même plusieurs, surtout en répartissant les hommes dans d'autres unités, c'est toute l'armée elle-même qu'il faudrait anéantir. Mais c'est bien entendu au dessus des forces de l'État bourgeois.

Bien que la défaite des généraux factieux paraisse une victoire en soi pour « la gauche » il faut cependant y regarder à deux fois.

Il est évident que de Gaulle a maintenant les mains libres pour accomplir ce qu'on appelle « sa » politique algérienne, c'est à dire l'accord avec le FLN pour le règlement du conflit algérien sans trop de frais pour l'impérialisme. Sur ce plan il était évident que depuis trois ans de Gaulle était paralysé par les efforts de l'extrême-droite qui trouvait dans l'armée et dans la population européenne d'Algérie un soutien considérable. De Gaulle peu à peu coupait les ponts, accordait leur indépendance politique à tous les autres pays d'Afrique, entamait les pourparlers avec le G.P.R.A, et faisait en sorte que tout retour à une autre politique soit impossible, (elle était d'ailleurs exclue pas par lui mais par l'impossibilité de venir militairement à bout de la résistance du peuple algérien). Cependant les pourparlers traînaient en longueur car de Gaulle ne pouvait pas compter sur l'armée pour imposer ce règlement aux européens d'Algérie. Il était contraint dans le cadre d'un tel règlement de faire certaines promesses au FLN,, entre autres par exemple de pouvoir librement mener la lutte sur le terrain électoral s'il renonçait aux armes jusqu'au référendum, promesse qu'il savait ne pas pouvoir tenir sans convaincre ou briser l'extrême-droite et certains chefs militaires. Les briser il né pouvait s'y résoudre que contraint, soit par le déroulement de la lutte en Algérie ou en métropole, soit comme c'est le cas aujourd'hui par l'attitude même de cette extrême-droite qui ne lui laissa pas d'autre choix. Ce putsch avorté vient tellement à point nommé pour permettre à de Gaulle de traiter avec le FLN qu'on a même pu penser à un'coup monté« , d'autant plus qu'il sert de Gaulle à bien d'autres propos. En réalité c'est, malgré les apparences, inconcevable. De Gaulle a du prendre de gros risques dans cette affaire. S'il en sort entièrement à son avantage et si l'événement a paru taillé à ses mesures c'est uniquement parce que la bourgeoisie française, depuis qu'elle a mis au pouvoir non pas des hommes de gauche faisant la politique de la droite mais un véritable homme d'État, mène une politique conséquente, sous l'angle de ses intérêts et les événement, même les plus imprévus, paraissent s'ordonner dans un plan préétabli.

De Gaulle ne pouvait pas, autrement que contraint, songer à briser l'extrême-droite et les cadres de l'armée de métier décidés à mener une politique autonome parce que c'eut été renforcer considérablement la gauche du pays. Le bonapartisme gaulliste, comme tous les bonapartismes, mène une politique de balance et se sert pour gouverner des antagonismes qu'il a à résoudre. Ses atermoiements depuis deux ans ne sont que le reflet de ce dilemne. Contraint, il pouvait l'être par des désastres sur le plan militaire en Algérie. Les manifestations de musulmans de décembre en s'élargissant pouvaient l'obliger à imposer la paix. Elles sont certainement à l'origine des pourparlers d'Évian. L'intervention de la classe ouvrière métropolitaine aux côtés du peuple algérien pouvait aussi être cette contrainte. Ce sont finalement les « généraux. factieux » eux-mêmes qui ont mis de Gaulle au pied du mur.

Lorsque le 22 avril au matin Paris et le monde apprirent la nouvelle du putsch d'Alger la situation parut immédiatement bien plus grave que le 24 janvier 1960. A l'époque, il ne s'agissait en effet que d'émeutiers, que de civils. L'armée resta neutre. Il était impensable que cela puisse mettre en cause le pouvoir de de Gaulle ou sa politique algérienne.

Ici si le contexte reste le même, le fait qu'il s'agissait de l'armée, d'une, petite partie de l'armée certes mais dans sa totalité elle était d'une neutralité bienveillante, rendait les choses infiniment plus graves. En effet bien qu'une dictature militaire ne soit pas à l'heure actuelle une solution pour la bourgeoisie française, celle-ci ne peut disposer des forces de l'extrême-droite seulement où et quand elle veut. Ces forces ont leur dynamique propre et aspirent à réaliser leur politique indépendamment des options dé la bourgeoisie. Mise devant le fait de l'insurrection de toue l'armée, insurrection qui n'aurait pu être que brisée, et brisée en faisant appel aux forces populaires, la bourgeoisie. aurait certainement choisi de donner son appui au pronunciamiento du képi et du sabre. L'armée se bat pour les intérêts de la bourgeoisie même si elle les comprend mal quelques fois, tandis que les forces populaires une fois en branle peuvent, dans le feu de l'action si celle-ci se prolonge suffisamment, en venir à se battre pour leurs propres intérêts.

Aussi dans les premières heures du coup de force telle était la question qui pouvait se poser : qu'elle est l'ampleur du mouvement dans l'armée car elle va déterminer en grande partie l'option de la bourgeoisie étant bien entendu qu'une réaction des organisations dites ouvrières ne laissant pas à la bourgeoisie le choix était plus qu'hautement improbable. Cependant la bourgeoisie savait aussi que même si toute l'armée suivait les généraux insurgés l'instauration d'une dictature militaire en France n'irait pas sans lutte et que, malgré le fait que les partis ouvriers étaient incapables de guider le prolétariat au combat, l'issue de cette lutte ne pouvait pas être prévue.

Il fallut pratiquement 36 heures, jusqu'au discours de De Gaulle, pour que le choix de la bourgeoisie soit manifeste, De Gaulle avait alors trouvé suffisamment d'officiers généraux « fidèles » pour que l'armée puisse paraître rétablir l'ordre elle-même. Pour convaincre ceux qui hésitaient, De Gaulle et son gouvernement vont alors s'appuyer spectaculairement sinon fermement, sur les masses et les organisations populaires afin de prouver à l'État-Major indécis que la voie du coup de force était absolument fermée.

On ne saura pas avant longtemps si l'appel de Debré, si l'alerte aux parachutistes était une réaction gouvernementale face à une menace réelle ou si elle avait seulement pour but de mobiliser la métropole. Peu importe, le fait significatif c'est le choix de cet appel aux masses, c'est l'option prise par la bourgeoisie, Évidemment le gouvernement a dès le lendemain battu en retraite et, par la suite, d'autant plus rapidement que les officiers généraux sortaient de leur neutralité pour se mettre aux ordres du gouvernement. Le point culminant de cette évolution a été l'envoi des troupes d'occupation en Allemagne pour défendre Paris alors qu'il était évident 48 heures plutôt que ces troupes étaient prêtes à intervenir aux côtés des émeutiers si le putsch avait réussi à Paris.

De Gaulle put mener à bien cette partie, s'appuyer sur les masses populaires sans leur faire la moindre concession, sans leur donner le moindre avantage, sans même leur devoir un merci, grâce à ce qui serait l'incroyable incapacité des partis de gauche, si cette incapacité nous ne leur avions pas toujours connue. Durant tous ces événements ils ont été à la remorque du gouvernement. A aucun moment ils n'ont tenté, autrement qu'en récriminant contre les autorités qui ne le faisaient pas, d'organiser la classe ouvrière, C'est Debré et de Gaulle qui ont fait appel aux masses, qui ont demandé aux soldats de désobéir, qui ont même organisé un embryon de milice aussi « populaire » que celles dont parla l'Humanité et non pas les organisations ouvrières qui ne l'ont fait qu'après, dans la mesure où elles l'ont fait.

Parce qu'attendre pour faire des milices, que le gouvernement distribue des armes n'est ce pas trop attendre ?

Grâce à cela de Gaulle peut maintenant se permettre, au lendemain de la grand peur, d'user des pouvoirs spéciaux, du fameux article 16, non seulement pour « épurer » l'armée et l'administration, pour mener à bien les pourparlers avec le FLN, mais encore pour réaliser le changement constitutionnel qu'il projetait depuis plusieurs mois.

En effet depuis quelques temps les pouvoirs dont dispose de gaulle lui sont insuffisants. la majorité sur laquelle il s'appuie à la chambre peut s'effondrer avec l'u.n.r. elle-même, d'un jour à l'autre. l'autres élections ne donneraient d'ailleurs certainement pas autant de sièges à cette formation. l'exécutif n'est pas encore assez à l'abri des fluctuations parlementaires. de gaulle devait dans un avenir proche demander au parlement une modification de la constitution permettant au gouvernement d'être encore plus indépendant des chambres et au chef de l'etat de choisir pratiquement lui-même son successeur. en effet, sous la ive république, les présidents de la république et du conseil étaient en dernier ressort désignés par le parlement. ce qui n'allait pas toujours sans problèmes. les « interrègnes » entre deux gouvernements étaient parfois fort longs. quant à l'élection du président de la république, la dernière en date, celle de coty, avait plus encore que celle du pape fourni matière aux chansonniers pour de longs mois.

Le pouvoir bonapartiste ne peut pas se permettre de tels jeux. L'arbitre, le sauveur, est élu par tout ou partie du corps électoral.. Encore faut-il qu'il soit désigné d'avance aux suffrages, le plébiscite sinon n'est pas possible. Il faut donc, pour que tout interrègne soit exclu, que l'homme à soumettre aux suffrages du peuple souverain soit déjà connu et automatiquement désigné. Les USA pratiquent depuis longtemps le système de la vice-présidence. C'est cela en particulier que De Gaulle voudrait introduire. C'est lui qui désignerait le vice-Président qui en cas de vacance du pouvoir se soumettrait aux suffrages, soit de grands électeurs comme le fit de Gaulle, soit de tout le corps électoral.

Les événement, l'état d'urgence, l'article 16 vont permettre à De Gaulle de modifier la constitution de la Ve République sans délai, sans heurt et sans en référer à l'Assemblée. Il est possible et même probable qu'il soumettra les modifications au référendum. La Ve République ne vivra probablement pas un jour de plus que les pouvoirs spéciaux.

Il n'est pas à priori exclu que le pouvoir de De Gaulle, de plus en plus indépendant du Parlement, tout en restant bonapartiste dans son essence, ne s'oriente encore plus vers la droite et que, par exemple, le moment venu de désigner ce vice-Président, ce soit sur la personne du Maréchal Juin que ce choix porte. En effet, ce qui interviendra dans l'immédiat ce sont les changements de la Constitution, la possibilité pour le chef de l'État de choisir un vice-Président, mais ce choix lui-même ne se fera peut-être que dans plusieurs mois. Pour le moment de Gaulle ne peut appeler Juin à ce rôle sans compromettre celui-ci aux yeux de l'extrême-droite avec sa politique algérienne. Mais une fois le conflit algérien définitivement réglé il peut au contraire le faire et donner ainsi tout apaisement aux forces réactionnaires.

C'est pourquoi l'attitude des partis de gauche est plus que criminelle, car dans un monde régi par la lutte des classes tout se paie. Le drame est que bien souvent les fautes sont commises par les uns et payées par les autres.

Est-ce à dire qu'inévitablement nous allons en France vers un renforcement de plus en plus grand de la bourgeoisie et de son pouvoir ? Ce serait faire bon marché de la classe ouvrière, de ses réactions, de ses possibilités, de son courage et, à défaut du parti ouvrier révolutionnaire qu'elle ne s'est pas donné, de la riche expérience que depuis 25 ans la génération actuelle a accumulé. Ce serait compter aussi sans la classe ouvrière des autres pays d'Europe.

Déjà certains avaient vu dans les événements de mai-juin 1958 une défaite considérable sinon irrémédiable de la classe ouvrière française. Or les quatre jours du putsch d'Alger ont montré que les possibilités de riposte des travailleurs n'étaient sûrement pas inférieures à celles dont ils disposaient en 58. De plus les leçons de ces quatre jours ne sont pas prêtes d'être oubliées. Les travailleurs n'apprennent pas à utiliser la grève générale politique même nationale impunément pour la bourgeoisie. Les jeunes soldats n'apprennent pas à 20 ans à désobéir à leurs officiers et au besoin à tirer dessus pour l'oublier à 21 ou 22.

Le gouvernement gaulliste est un gouvernement bonapartiste qui s'appuie sur des antagonismes qu'il n'a pu briser. Il a sauvegardé le régime bourgeois mais il n'a pas détruit les organisations ouvrières, il n'en avait pas la force. Son pouvoir ne s'est pas installé sur leurs débris. Le fait que la vice-Présidence ou même la Présidence puisse être confiée à un Juin, ne changerait rien à ce fait fondamental. Il n'est pas indifférent, en effet, que des hommes politiques comme de Gaulle ou comme Juin accèdent au pouvoir ldblquote légalementrdblquote , dans le ldblquote cadre des institutionsrdblquote , et non à la tête de bandes fascistes ou d'une junte militaire.. La nature de leur pouvoir en dépend. Dans le premier cas il compose avec les forces en présence, dans le second il les brise.

Et l'option récente de la bourgeoisie prouve qu'elle ne se sent pas capable de vaincre en combat singulier malgré les partis traîtres, la classe ouvrière française.

 

Partager