Un nouveau 3628/11/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Un nouveau 36

Une opinion de plus en plus répandue dans la classe ouvrière est qu'il faudrait un « nouveau 36 ». Si certains entendent par-là un gouvernement Front Populaire, un plus grand nombre pense à la grève.

Un nouveau juin 36, une grève générale d'une telle ampleur, susceptible d'arracher à la bourgeoisie des concessions importantes, est-elle aujourd'hui possible ? (sans parler de ce que juin 36 aurait pu être de plus).

Tout d'abord, un tel mouvement n'est bien entendu possible que dans le cadre d'une montée du mouvement ouvrier, d'une radicalisation des masses. On a dit que le « facteur déclenchant » de juin 36 fut le fait que la victoire électorale de Mai, qui donna une majorité aux listes regroupées au sein du Front Populaire, avait persuadé les travailleurs que le gouvernement leur appartenait dorénavant, et que les patrons n'avaient plus qu'à céder. Il est certain effectivement que ce fut une des rares circonstances de l'histoire où les illusions parlementaires des masses se retournèrent contre la bourgeoisie. Mais il ne faut pas oublier que le vote « à gauche » était déjà l'expression électorale de la montée du mouvement, qui avait débuté avec la réplique populaire à la tentative fasciste du 6 février 1934.

La grève générale de juin 1936 a la particularité d'avoir été une grève générale quasi spontanée. La CGT qui, à l'époque, était réunifiée intervint surtout pour conserver à la grève un caractère strictement économique, l'empêcher de devenir insurrectionnelle, et pour faire reprendre le travail.

Donc, poser la question d'un nouveau juin 36, revient à se demander si une grève générale spontanée est possible à l'heure actuelle.

Tout d'abord, on peut dire que si nous n'en voyons pas actuellement les prémisses, rien ne permet de penser qu'elles ne puissent surgir dans un avenir proche.

Le mouvement ouvrier n'est pas en position de recul, au contraire. La façon dont les travailleurs répondent aux appels des centrales syndicales, l'écho que rencontrent les manifestations contre la guerre d'Algérie, les incidents tels que ceux de Sochaux, de Villerupt, etc, etc,... en sont des preuves dont la somme est démonstrative.

Cependant, cela ne suffit pas et, quel que soit le niveau atteint par la combativité de la classe ouvrière, une grève générale spontanée ne peut se produire, sous-entendu contre l'opposition des centrales syndicales, que s'il y a, comme en 36, un facteur déclenchant. ce facteur déclenchant peut être, et nous en avons vu des exemples dans un passé relativement récent, une grève de longue durée dans un secteur important de la classe ouvrière. un secteur important, car il faut que l'exemple soit démonstratif et spectaculaire. de longue durée car, la classe ouvrière n'étant pas partout au même niveau de combativité, il faut que la grève, qui sert de lien entre les différents mouvements dure suffisamment pour qu'ils la rejoignent et confluent. il ne s'agit pas là d'une vue de l'esprit mais, simplement, de la description de ce qui s'est passé, avec plus ou moins de succès, en 1947, en 1953 et en 1955. en mai 1947, une grève de trois semaines d'un secteur de la régie renault s'est étendue, malgré l'hostilité violente, ouverte et physique de la c.g.t., d'abord à tout renault, puis à presque tout le pays, obligeant les ministres communistes à rompre la « solidarité » gouvernementale. on peut même dire que la seconde vague de grève de novembre 47 y a pris aussi son point de départ (de mai à novembre, les grèves n'ont pratiquement pas cessé, elles ont suivi une courbe à deux clochers).

En août 1953, Laniel, président du Conseil, veut réintroduire les décrets-lois de sinistre mémoire pour les travailleurs. Il le fait pendant les vacances pour éviter les réactions ouvrières. Mais, à Bordeaux les postiers débrayent. En quelques jours la grève s'étend dans l'ensemble du pays aux PTT., à la SNCF et à une partie des fonctionnaires. Elle durera plusieurs semaines, paralysera le pays et fera reculer le gouvernement. Les Centrales syndicales n'ont pas réussi à empêcher le mouvement, mais elles ont cependant réussi, servies par les vacances, à ce qu'il ne s'étende pas aux autres corporations.

1955, c'est la métallurgie de la Loire-Atlantique, Nantes et Saint-Nazaire, qui débraye d'une façon illimitée pour des revendications de salaire. Dans le département, la grève s'étend vite. Elle est dure, brutale, les travailleurs passent à l'action directe. Ils tiendront, eux aussi, plusieurs semaines. Le patronat s'affole. Les Centrales syndicales ont du mal à empêcher le mouvement de s'étendre. La presse se fait l'écho de propos aigre-doux échangés entre le patronat de la Loire-Atlantique et le patronat parisien. Tout le monde craint que Renault ne bouge, entraînant tout le pays. La CFTC surgit alors un beau matin, tirant les accords Renault de sa poche. Les « accords » offrent quelques miettes et une semaine supplémentaire de congés payés. Les autres syndicats signent. Renault ne bouge pas. Les travailleurs de Nantes et Saint-Nazaire restent isolés, mais ils obtiennent cependant des satisfactions importantes et leur grève est victorieuse.

Ces trois mouvements que nous avons rappelés sont importants à trois titres : primo, ce sont les trois plus importants mouvements de l'après-guerre ; secondo, ils eurent tous les trois affaire à l'opposition des Centrales syndicales et, enfin, ils furent tous les trois déclenchés par des minorités révolutionnaires trotskystes ou anarchistes.

Ces minorités ont, dans des circonstances données, déclenché un mouvement, dans un secteur très limité d'un ensemble déterminant et ont, en conduisant une grève de longue durée du secteur qu'ils avaient en main, provoqué l'élargissement de la lutte.

Evidement, une dépense d'énergie bien moindre suffirait si les Centrales syndicales voulaient organiser cette lutte. Certes, ce n'est pas Benoît Frachon en appuyant sur un bouton qui pourrait arrêter tout le pays. Une telle caricature des moyens de parvenir à une grève générale n'est utilisée que par ceux qui la prétendent impossible et s'y opposent, tel Benoît Frachon.

La grève n'est pas en soi attrayante pour le travailleur car elle signifie des sacrifices. C'est une arme à laquelle il ne recourt que lorsqu'il en voit la nécessité, lorsqu'il a le sentiment qu'il ne peut obtenir satisfaction autrement et qu'elle aura des chances de succès. Pour ce faire, il faut donc que des essais de mobilisation partielle fassent la démonstration que, d'une part le patronat ne cède pas et que, d'autre part, la majorité des travailleurs entrera dans la lutte. C'est ainsi que les journées de grève que lance actuellement la CGT pourraient être valables, même lorsqu'elles sont limitées à une seule journée et à un seul secteur, dans la mesure où elles se présenteraient comme des journées d'avertissement et qu'elles impliqueraient des actions plus importantes à chaque fois. Dans la perspective d'une lutte plus générale, la CGT pourrait appeler ensuite plusieurs secteurs ensemble, même dans une grève de 24 heures, faire de cette journée, une journée de mobilisation avec meetings explicatifs.

En fait, la bourgeoisie ferait certainement, dans les circonstances actuelles, d'importantes concessions avant d'arriver à une grève générale.

Mais il est bien évident qu'en aucun cas les Centrales syndicales ne dirigeront la lutte de cette façon. Les journées qu'elles organisent ont beaucoup plus pour but de démobiliser les travailleurs, que le contraire. La tactique des grèves tournantes par atelier n'ayant plus guère d'écho parmi les travailleurs, les Centrales en viennent à des « journées d'action » plus larges, mais tout aussi inefficaces.

Les minorités révolutionnaires peuvent, là encore, intervenir. D'abord par la propagande pour expliquer ce que les Centrales n'expliquent pas sur le déroulement du mouvement. Ensuite, dans chaque entreprise touchée par un tel mouvement, tenter d'intervenir dans les meetings s'il y en a, d'en provoquer s'il n'y en a pas, pour défendre l'idée d'un élargissement ultérieur de la lutte et tenter de faire voter des motions dans ce sens par les travailleurs assemblés, adressées d'une part aux Centrales syndicales, d'autre part aux travailleurs des autres entreprises de la localité.

Car il ne faut pas oublier que, dans la réalité, les deux processus que nous avons évoqués se confondent. Dans certaines circonstances, malgré elles, les Centrales syndicales mobilisent les travailleurs. L'inefficacité même, parfois, des luttes engagées, donnent à ceux-ci la conscience qu'il faut faire autre chose.

C'est en préparant l'opinion au travers de ces luttes que les minorités révolutionnaires peuvent intervenir de façon décisive.

Mais de façon décisive dans le déroulement d'une lutte gréviste. Pas, bien entendu, pour transformer même une grève générale en grève insurrectionnelle et mener les travailleurs à l'assaut du pouvoir. Car ceci est une autre histoire...

Partager