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Socialisme à rebours

 

Une des principales conquêtes du mouvement ouvrier à ses débuta fut celle du droit de grève, condition de toute lutte organisée de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et son État. Il peut sembler par conséquent que, une fois la classe ouvrière au pouvoir et la dictature du prolétariat réalisée, le droit de grève ne veuille plus rien dire ; les ouvriers ne sauraient recourir à la lutte gréviste contre leur propre État. C'est cet argument qu'invoque la bureaucratie stalinienne pour enlever aux travailleurs leurs moyens de lutte pour l'amélioration de leur sort ; c'est cet argument qu'invoque actuellement le gouvernement de la RDA, pour justifier sa nouvelle législation du travail qui enlève aux ouvriers le droit de grève, et stipule que « la législation du travail doit servir exclusivement à la réalisation des principes économiques du socialisme » .

Il ne faut naturellement voir dans cette « nouvelle législation » que la légalisation d'un état de fait existant.

Depuis que l'appareil stalinien a vidé de leur contenu puis supprimé les Conseils d'entreprise nés spontanément en 1945, la lutte ouvrière en RDA a été étouffée, dépourvue de moyens d'expression. C'est ce qui a donné à l'explosion de juin 1953 à Berlin-Est sa gravité : née d'une grève, elle aurait mis en danger l'existence même de la bureaucratie, si elle n'avait été écrasée sous les tanks.

Aussi le fait d'interdire officiellement la grève, aujourd'hui, ne change-t-il rien à la situation effective des travailleurs de la RDA Fait symptomatique, on présente cependant cette interdiction comme le résultat de la réalisation du socialisme.

I1 y a là, dès l'abord, une contradiction : en effet, la réalisation du socialisme suppose la disparition des classes, donc en particulier de la classe ouvrière en tant que telle. Aussi bien le seul fait que les travailleurs aient pu vouloir avoir recours à la lutte gréviste ne prouve-t-il qu'une chose : c'est qu'il y a des contradictions d'intérêts entre les travailleurs et le pouvoir d'État, sinon le capital privé. En 1955, en RDA, la part du secteur capitaliste dans l'industrie (sans le bâtiment) est de 14,9 %

En Russie, en 1922, c'est-à-dire en pleine Nouvelle Politique Economique, Lénine demandait aux ouvriers des entreprises dites « concédées » (l'État avait un certain pouvoir de contrôle sur ces entreprises, bien qu'elles fussent alimentées par le capital étranger) de se constituer des fonds de grève.

Cependant, il semble que les travailleurs des « entreprises propriété du peuple » n'aient pas besoin de recourir à cette méthode de défense. Et pourtant, toujours en 1922, Lénine expliquait :

« ... vu la nécessité impérieuse d'augmenter le rendement du travail, d'obtenir que chaque entreprise d'État ne travaille pas à perte mais à bénéfice ; vu les inévitables rivalités entre les entreprises et les excès de zèle administratif - cette circonstance engendre forcément une certaine opposition d'intérêts quant aux conditions de travail à l'entreprise entre la masse des ouvriers et les directeurs, les administrateurs des entreprises d'État ou les administrations dont elles relèvent. Aussi bien, en ce qui concerne les entreprises socialisées, les syndicats ont le devoir absolu de défendre les intérêts des travailleurs, de contribuer dans la mesure du possible, à leur mieux être matériel, de redresser constamment les fautes et les exagérations des organismes économiques lorsqu'elles procèdent d'une déformation bureaucratique de l'appareil d'État » .

Et cela malgré les conditions particulièrement difficiles qui étaient faites au pouvoir des Soviets par le blocus économique des puissances impérialistes. Déjà en 1919 et 1920, en pleine guerre civile, les bolcheviks avaient eu recours à la discussion et à la, persuasion lors des grèves qui éclatèrent dans des entreprises d'États.

Ainsi on voit :

« que le recours à la lutte gréviste, dans un État ou le pouvoir politique appartient au prolétariat peut être expliqué et justifié uniquement par des déformations bureaucratiques de l'État prolétarien et par toutes sortes de survivances du passé capitaliste dans ses institutions, d'une part, ainsi que par le manque de développement politique et le retard culturel des masses laborieuses de l'autre. »

Quand on songe que ces déformations et exagérations bureaucratiques n'allèrent qu'en s'aggravant et qu'aux Xe et XIe Congrès du PCR., la majorité s'attacha avec Lénine à faire campagne pour la démocratie ouvrière, instituant une Commission spéciale en vue d'améliorer la situation des ouvriers, recommandant aux syndicats de défendre sérieusement leurs intérêts - on voit à quel point les bolcheviks avaient le souci d'assurer le contrôle permanent de l'appareil d'État par les masses ouvrières, en même temps que de prémunir cet appareil contre une complète bureaucratisation.

La bureaucratie stalinienne ne peut se permettra d'apparaître telle qu'elle est réellement, c'est-à-dire comme une caste privilégiée usant de la dictature pour la satisfaction de ses intérêts. Il lui faut une justification théorique et c'est pourquoi, afin d'imposer ses mesures anti-ouvrières, elle utilise l'argument d'après lequel le socialisme serait réalisé

Cette méthode, inhérente à la nature même de la bureaucratie, a survécu à Staline et ce n'est pas Krouchtchev qui y a changé quelque chose.

 

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