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Rideau de fumée

La suspension, pour les optimistes, l'interruption pour les pessimistes, de la conférence d'Evian, ne fait que consacrer le fait que depuis trois semaines elle marquait le pas. Il n'y a pas à s'en étonner outre mesure car si la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, les conférences de paix ne sont souvent que la continuation de la guerre sur un autre front.

Les raisons invoquées par Joxe, Sahara et statut des européens, sont loin d'être secondaires : la France accepte de concéder l'indépendance politique à l'Algérie, en liant au maximum le nouvel État, en gardant en main ses principales richesses économiques, en assurant un statut privilégié aux nationaux français et en gardant sur le territoire algérien de véritables enclaves et des troupes qui seront un revolver constamment braqué sur le peuple algérien, garant de sa docilité.

L' « intransigeance » des délégués du FLN, sur ces questions s'explique parce qu'elles sont pour l'Algérie la condition, ou plutôt la mesure même de son indépendance. En séparant le Sahara et son sous-sol de l'Algérie, la France veut faire ce que l'Union Minière a fait au Congo avec la sécession du Katanga. Que la France cède sur ces points, que ce soit le GPRA qui le fasse, ou bien qu'une solution intermédiaire prenne corps ce n'est pas de la guerre autour d'un tapis vert que cela dépend. Cela ne peut dépendre que du rapport des forces entre les belligérants. Il se peut, malgré que l'impérialisme français ne soit pas militairement vaincu sur le terrain, autrement qu'en étant incapable de venir à bout de l'in surrection, que le FLN puisse espérer voir la France céder sur ces questions.

Il se peut aussi que placés devant l'alternative de la continuation indéfinie d'une lutte sans merci et sans espoir ou bien d'une paix aux conditions françaises, ses dirigeants acceptent le compromis. Tout dépend des forces en présence et de l'évaluation que chacun en fait.

De plus, il n'est pas exclu que ce qu'on sait des négociations n'en soit qu'un aspect, celui qu'envoyés du gouvernement français et du GPRA sont d'accord pour rendre public. Car ce qui est le moins secret dans tout cela, c'est le fait qu'il y a eu à Evian un accord des deux délégations selon lequel « la plus grande discrétion devait entourer la négociation ». Les hommes du GPRA se conduisent par là même déjà en hommes de gouvernement : que ne peuvent-ils donc pas dire aux peuples, et en particulier au peuple algérien, qu'ils peuvent dire à Joxe, à ses collaborateurs et à de Gaulle ?

Il est certain que les dirigeants du FLN ne cherchent pas à s'expliquer auprès des masses, tant algériennes que françaises, en termes susceptibles de les toucher. D'Evian, ils pouvaient s'adresser à elles, faire de cette conférence une tribune et appuyer la lutte des combattants du bled par une lutte politique tout aussi importante et efficace et non pas se contenter de répondre aux finasseries diplomatiques d'un Joxe par des arguties historiques ou juridiques de la même veine.

Il s'agit d'un combat que les masses algériennes mènent depuis sept ans et si les hommes du GPRA en étaient véritablement les inspirateurs, on aurait entendu à Evian un autre langage. Mais les masses algériennes en lutte ne sont pas les seules à ne pas savoir se donner les dirigeants qu'elles méritent. Car le fait que les dirigeants du FLN ne s'adressent en aucune façon aux masses autrement que ne le fait Joxe, fait plus durement ressentir encore la tragique impuissance de ce qu'on appelle la gauche française incapable de donner au prolétariat la possibilité d'intervenir, incapable même de poser le problème en d'autres termes que les négociateurs.

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