Quand l'économique est politique12/03/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Quand l'économique est politique

Il est encore trop tôt pour dire si les mineurs obtiendront ou non satisfaction totale. Mais il est dores et déjà certain que la classe ouvrière a, par leur combat, remporté une victoire, car le gouvernement a dû reculer et permettre la grève. Les réactions des travailleurs de toutes les professions, le fait que des grèves de solidarité, de solidarité pure sans aucun objectif revendicatif, aient été suivies partout, est un indice de la combativité de la classe ouvrière. Les Centrales syndicales se sont refusées à généraliser la grève, mais cela n'a rien d'étonnant puisqu'on ne peut guère compter sur elles pour prendre l'offensive. Cependant elles ont dû engager des luttes (qu'elles ont limitées au maximum) telle la grève de deux heures de la SNCF ou la journée d'action de la métallurgie prévue pour jeudi.

On ne peut pas parler d'un mouvement spontané de la classe ouvrière. Mais, dans le cas des mineurs, il est évident que c'est leur détermination qui a contraint les Centrales syndicales, et en particulier la CGT, à agir. Cette dernière a mené dans les mines, pendant plusieurs mois, une grève du rendement inefficace et stérile. La veille de la grève, elle ne s'était pas encore ralliée à la grève illimitée. Elle n'avait pas opposé à la réquisition de formule claire et avait même essayé de réintroduire la grève du rendement, en disant que les mineurs descendraient mais ne travailleraient pas. Même « France-Soir » indique que les nombreux meetings ont pour but de contenir les mineurs qui sont à bout et non de les mobiliser. Il est bien évident que les syndicats ne cherchent pas à vaincre, mais sont simplement débordés par la colère des travailleurs. La marche sur Paris. prévue pour le 13, par les mineurs de Lorraine pouvait être appuyée par une marche des mineurs du Nord et, surtout, par des mouvements de solidarité et une manifestation de l'ensemble des travailleurs de la région parisienne. Tout est fait au contraire pour échelonner les mouvements, et faire en sorte qu'ils ne confluent pas.

L'atmosphère est indiscutablement à la grève générale. Les principales revendications de l'heure, tel que le retour immédiat aux quarante heures, pourraient être obtenues pratiquement sans combat, tellement la bourgeoisie a peur d'une extension du mouvement. Toute la presse, du Figaro à l'Aurore, demande au gouvernement de céder, et lui reproche d'avoir utilisé la réquisition.

Peut-on dire pour cela que nous sommes à la veille d'un nouveau juin 36. Non, on ne peut pas le dire. L'histoire se répète mais jamais exactement dans les mêmes termes.

Les Centrales syndicales ont fait la preuve, jusqu'ici, qu'elles pouvaient éviter d'étendre le mouvement. Rien ne permet de dire qu'il y a, à la base, dans les autres corporations, une pression suffisante pour faire sauter le verrou des bureaucraties syndicales. Pour que la grève se généralise il faudrait que, soit la SNCF, soit les PTT, soit une entreprise comme Renault, débraye d'une façon illimitée aux cotés des mineurs. Le gouvernement cédera probablement avant. Peut-être pas sur toutes les revendications des mineurs, et cela dépendra de la possibilité qu'auront les Centrales syndicales de leur faire reprendre le travail avec ce que donnera le gouvernement (il paraît impossible que le gouvernement n'accorde pas au moins 10 % sur les 11 demandés, mais les Centrales syndicales considéreront cela comme une victoire et oublieront les quarante heures).

Mais si l'attitude des Centrales est aisément prévisible, il n'en va pas de même des réactions de la classe ouvrière. Rien ne permet d'affirmer que nous allons vers la grève générale, mais celle-ci n'est pas exclue à priori. Elle est dans l'air. La sympathie que rencontrent les mineurs dans toutes les couches de la population est le symptôme que l'ensemble de la classe ouvrière a fait des mineurs ses champions. Ils sont seuls à se battre, mais ils se battent pour tous. De là à les rejoindre il n'y a qu'un pas, mais pour faire ce pas il faut passer par dessus les Centrales syndicales, véritables soutiens du bonapartisme gaulliste.

L'atmosphère politique actuelle ne peut se comparer qu'à celle d'août 1953. A l'époque aussi nous étions dirigés par un gouvernement ouvertement réactionnaire. Depuis quelques années, les cabinets qui s'étaient succédé se situaient de plus en plus à droite. La bourgeoisie se croyait suffisamment forte pour n'avoir pas à gouverner par l'intermédiaire des transfuges de la classe ouvrière. Elle ne prenait même plus la peine de cacher son exploitation derrière le masque du social. Ses hommes politiques se vengeant en quelque sorte de l'attitude qu'ils avaient dû prendre dans les années d'après guerre, où personne n'osait se dire de droite, se votaient des lois cléricales. Ces messieurs n'ayant plus besoin des socialistes pour constituer leur majorité se faisaient le plaisir de les souffleter de la loi Barangé.

C'est alors que le gouvernement Laniel voulut réinventer les décrets-lois Il le fit en période de vacances afin d'éviter les réactions de la classe ouvrière et commença par s'attaquer à la retraite des fonctionnaires et à la Sécurité Sociale. Il reçut le pire des camouflets qu'un gouvernement bourgeois pouvait recevoir, à part bien entendu la révolution. Les postiers, les cheminots qui travaillaient justement à plein durant l'été se mirent en grève au nom de tous les fonctionnaires et même au nom de toute la classe ouvrière. En quelques jours la grève fut totale et plus rien ne marcha dans le pays, tellement ces deux fonctions sont vitales. Les ministres voyaient même leurs communications censurées. Les syndicats ouvriers réussirent à éviter que la grève ne s'étende à la métallurgie au retour des vacances, mais le gouvernement dut reculer et dire, de la même façon embarrassée dont M. Pompidou parlait de la réquisition vendredi dernier, que l'on s'était mépris sur la signification des décrets-lois, leur importance, leur contenu.

Aussi, la fois d'après où la bourgeoisie eut besoin d'imposer des sacrifices à la classe ouvrière, elle le fit en appelant un de ses valets spécialisés, c'est à dire Guy Mollet. Les travailleurs sont encore sensibles et trompés par ce genre de manoeuvre.

Mais la situation actuelle montre que lorsque la bourgeoisie française se croit assez grande pour gouverner elle-même sans se mettre un peu de rouge ou de rose aux joues, elle ne fait pas le poids vis-à-vis du prolétariat.

Partager