Quand Goupil voit rouge14/06/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Quand Goupil voit rouge

Les dirigeants du PCF, qui ont toujours expliqué la nécessité de ne pas apparaître comme « trop révolutionnaires » par souci de ne pas effrayer la petite bourgeoisie et surtout les paysans, conservateurs par excellence, devront, tout au moins pour un certain temps changer d'argumentation. Manifestations de rue, destruction d'urnes électorales, attaques quasi militaires, au petit matin, de Morlaix et de la sous-préfecture et maintenant destruction de lignes électriques et téléphoniques et sabotages de voie ferrée. A part prendre le pouvoir, il est difficile aux paysans de faire plus dans la voie de l'insurrection. Pour le moment ces manifestations ne se traduisent pas sur le plan politique. Mais on ne peut pas dire combien de temps cela durera et, les partis ouvriers n'étant pas capables d'offrir aux paysans une direction à leur lutte, on ne peut savoir vers qui, vers quelle formation, ceux-ci se tourneront.

Les raisons du « malaise paysan « selon l'heureuse expression gouvernementale, sont économiques : les prix agricoles, c'est-à-dire les prix auxquels le paysan vend ses produits et non pas ceux que payent les consommateurs, sont insuffisants pour leur permettre de vivre humainement.

La crise actuelle apparaît comme accidentelle, puisqu'il s'agit de la baisse des cours de la pomme de terre, après celle des artichauts et des choux-fleurs. La spéculation des intermédiaires, acheteurs et, courtiers, mandataires etc., y joue son rôle, les variations saisonnières, les fluctuations de la récolte d'une année sur l'autre ont leur incidence sur les prix, mais ce ne sont là que le phénomène superficiel, bien qu'il soit la goutte d'eau qui rend le reste insupportable.

Le paysan est tributaire des prix industriels à bien des points de vue : fournitures, engrais, matériel agricole, bâtiments, qui augmentent plus vite que les prix agricoles proprement dits. Par ailleurs, la politique du gouvernement pour éviter les mouvements sociaux, les luttes revendicatives en particulier depuis la fin de la guerre où la bourgeoisie n'était pas en mesure de résister à des explosions de colère ouvrière, a consisté à faire pression sur les prix des produits qui interviennent le plus dans les budgets ouvriers, et les prix agricoles sont de ceux-là. Cette pression se manifestait de différentes façons, tantôt par des importations, tantôt par la vente de stocks établis antérieurement à cet effet, tantôt par des subventions surtout lorsqu'il s'agissait de production agricole... industrialisée (blé, betteraves, vignes).

Les paysans ont été en quelque sorte à ce point de vue victimes du faible pouvoir d'achat de la classe ouvrière pour le plus grand profit des industriels. Un autre aspect plus général est que le paysan, le petit et moyen paysan, qu'il soit fermier ou propriétaire, tire à la fois ses revenus d'un travail productif et de l'intérêt du capital qu'il a engagé. Or, dans l'économie actuelle régie par les monopoles, le petit paysan, comme le petit commerçant, ne survit que parce que le capital concentré le lui permet. Les monopoles ont en effet intérêt à l'existence de ces deux classes sociales, qu'il pourrait ruiner et prolétariser, car elle leur sert de régulateur, de tampon lors des convulsions entraînées par l'anarchie du système capitaliste.

Mais cette existence, ils la leur marchandent, et ne les laissent survivre que dans la mesure où ceux-ci exécutent des travaux indispensables, qu'il serait économiquement plus coûteux de faire exécuter par des salariés.

En effet, on peut considérer, ou bien que le travail du paysan est rétribué normalement et qu'il ne tire pas le « profit moyen « de son capital, ou bien que son travail n'est pas rétribué. L'économie moderne ne lui permet de survivre qu'à ce prix.

Et toutes les promesses gouvernementales qui ont pu être faites aux paysans sur la parité de leur niveau de vie avec les autres couches de la population, font partie de la même panoplie que celles qui sont faites périodiquement aux salariés dans le même ordre d'idées.

Les intérêts des salariés et ceux des paysans ne sont pas fondamentalement opposés, même s'ils apparaissent ainsi en certaines occasions. Le salarié est un consommateur qui voit difficilement les paysans revendiquer l'augmentation des prix. Et, pour le paysan, chaque augmentation de salaire est une menace de payer plus cher engrais, tracteurs et tarifs SNCF.

Cependant, si paysans et ouvriers, des mains de qui tous provient, vivent mal, c'est que le capital financier et industriel absorbe la majeure partie de la valeur produite.

Les salariés n'ont pas à craindre de voir les paysans entrer en lutte sur le plan économique s'ils sont capables de se joindre à eux. ce sont les mêmes profiteurs qui exploitent les uns et les autres.

Sans prétendre résoudre tous les problèmes qui se posent aux paysans, les partis de la classe ouvrière pourraient au nom de celle-ci leur offrir des objectifs communs qui pourraient au moins leur apporter une garantie de leur niveau de vie. Et par exemple, une échelle mobile des salaires et des prix agricoles indexée sur les prix industriels pourrait être un objectif commun à ces luttes. Il est cependant indispensable que les partis ouvriers entament un tel rapprochement : il serait révolutionnaire.

Partager