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Prochain quart d'heure

Les jours de l'OAS sont comptés, ses militant tremblent et se terrent : le Gouvernement et le Parti Communiste viennent de prendre des mesures draconiennes à son encontre. Le premier en en faisant d'une organisation non légale, une organisation interdite. Le second en appelant les travailleurs à observer un quart d'heure de grève le 19 décembre de 11 h à 11 h 15.

Ce qu'a fait le Gouvernement n'a guère d'importance. C'est un lieu commun de dire que l'OAS, trouve l'essentiel de son soutien au sein de l'armée, de la police, de la magistrature et même du Gouvernement. Attendre de l'État qu'il détruise l'OAS serait espérer un véritable suicide de l'appareil de répression bourgeois. C'est cependant cet objectif-là que le Parti Communiste, le PSU, la CGT et la CFTC donnent à la grève du 19, en réclamant l'arrestation et le châtiment des coupables ou leur mise hors d'état de nuire. La seule mesure qu'ait finalement prise le Gouvernement, c'est l'extension de l'internement administratif. Cela lui permettrait d'enfermer les militants OAS acquittés par les tribunaux, ou insuffisamment condamnés, ou plus simplement suspects. Bien entendu le Gouvernement n'aurait guère besoin d'une telle « arme » légale s'il voulait réellement réprimer des menées factieuses. Mais, par contre, cette arme pourra lui servir contre la gauche. Il l'emploie d'ailleurs contre les travailleurs algériens depuis déjà pas mal de temps. C'est cette crainte qu'ont ressentie diverses organisations de gauche, dont le PCF, qui ont, contrairement à toute logique, protesté auprès du Gouvernement contre cette mesure.

Quant à la grève d'un quart d'heure, on croirait vraiment que les organisateurs du mouvement se sont ingéniés à chercher quelle serait l'action qui pourrait la moins gêner l'OAS et les pouvoirs publics ! Il s'agirait de mobiliser l'opinion ouvrière contre l'OAS, que ce mot d'ordre pourrait se justifier. Mais les travailleurs vomissent l'OAS ses hommes, ses objectifs et ses méthodes.

C'est même pour cela que le PCF se sent obligé de faire au moins semblant d'agir. Près de 20 000 jeunes ont répondu à l'appel de leurs organisations lors d'une manifestation interdite, le mois dernier. Est-il encore besoin de tester la volonté de lutte des travailleurs ?

Non, le seul besoin c'est d'offrir aux travailleurs des objectifs efficaces. Et cela le PCF comme le PSU, s'en gardent bien. Ils font passer le bruit pour de l'action. Ce qui est susceptible de mobiliser les travailleurs ce n'est pas la grève, la manifestation pour le plaisir de manifester, mais ce sont les actes qu'ils peuvent faire eux, et qui serviraient à quelque chose. Leur demander... de demander aux pouvoirs publics d'agir, alors que tout le monde sait que pouvoirs publics et OAS, sont frères jumeaux, c'est le meilleur moyen de démobiliser les travailleurs. Evidemment cela offre un bon prétexte, ensuite, aux partis dits de gauche pour justifier leur inaction.

C'est ainsi que l'on voit le Schreiber Servan de l'Express écrire : « Et lorsqu'on accuse le Parti Communiste d'avoir « freiné » la lutte ouvrière pour la paix en Algérie, on prend ses désirs pour la réalité. Il n'a rien freiné du tout. Au contact des masses, il a simplement constaté que, s'il se lançait à fond contre le gouvernement pour « imposer » la paix, il ne serait pas suivi et ne ferait la preuve que de son impuissance ». L'Express paierait-il donc si mal pour que M. Schreiber cherche une place à l'Humanité ? On pourrait le croire, mais ce n'est même pas cela. L'Humanité, l'Express et leurs valets de plume respectifs, ont simplement en commun le même mépris de la classe ouvrière. Contre les travailleurs, ils savent se servir mutuellement de béquille.

Le Parti Communiste n'a pas freiné la classe ouvrière ? On pourrait attendre de la part d'un parti dit ouvrier qu'il impulse la lutte des travailleurs, qu'il l'organise, qu'il la suscite. L'activité politique, ce n'est pas uniquement du journalisme. Les masses sont ce qu'elles sont, bien sûr, la meilleure preuve étant que l'Express a des lecteurs, mais si les masses en question n'avaient aucun désir de s'opposer à la guerre d'Algérie, que dire alors de ceux qui se prétendent leur avant-garde éclairée, leur fraction la plus consciente ? Nous avons d'ailleurs vu dans d'autres circonstances le PCF ne pas craindre de mener une politique aventuriste, et d'appeler même les travailleurs à une grève générale, lors de la visite de Ridgway. Sans être suivi. Sans que cela empêche l'Humanité de crier victoire.

Et puis, M. Schreiber n'y est vraiment pas, au contact des masses. La guerre d'Algérie dure depuis 1954. En 1955 on a vu le Parti Communiste refuser la parole aux militants algériens lors de ses manifestations, telle celle du 1er mai. sans parler du vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet par les députés communistes, on a vu en 1956 les rappelés manifester dans les rues, on a vu des convois de soldats se mutiner, des trains arrêtés, on a vu [manifester] dans les casernes dans les grandes gares parisiennes... et on a vu le PCF s'opposer à tout cela. on a vu des travailleurs des entreprises métallurgiques de la région parisienne s'interroger sur ce qu'il fallait faire, et le PCF et la CGT leur répondre : « surtout ne pas bouger »... on a vu aussi en 1958 deux cent mille manifestants à la république, promenés littéralement, par thorez, duclos et d'autres, dont m. mendès-france cher à l'express. et on a vu à la mutualité en 1960 le PCF saboter une manifestation le 27 octobre.

Après tout cela, il ne devrait guère être besoin de « freiner » la lutte ouvrière. Hé bien, non seulement il est nécessaire de la freiner, cette lutte, mais c'est elle qui, en menaçant de s'étendre d'elle-même, contraint aujourd'hui ces Messieurs à s'engager, timidement, dans l'action, la moins dangereuse pour l'ordre bourgeois.

En effet, un peu partout le problème se pose de résister physiquement à l'OAS sans compter sur la police et, même, de rendre les coups. Des hommes politiques bourgeois parlent de ne plus être gibier mais chasseurs. Une organisation clandestine du contingent existerait dans l'armée. Un groupement nouveau, se propose dans un tract diffusé dans la région parisienne de retourner contre l'OAS ses propres méthodes. Vu les termes de ce texte, il ne s'agit pas d'une organisation prolétarienne. Mais ce n'en est que plus significatif. A Alger même, les cafés activistes sont plastiqués.

Les militants du PCF ne peuvent ignorer cela, et le PCF se voit contraint d'en tenir compte. Si l'Express vole à son secours aujourd'hui, en prétendant faire retomber la responsabilité de l'inaction de la gauche sur la classe ouvrière, c'est parce que justement, la démagogie devient de plus en plus dangereuse.

Depuis les quinze dernières années, la classe ouvrière a toujours répondu à l'appel de ses organisations. Sa seule responsabilité est de leur avoir fait confiance.

C'est pourquoi il est nécessaire de transformer la grève alibi prévue pour le 19 en une véritable mobilisation morale. Il faut saisir l'occasion offerte pour organiser des réunions où seront discutés les moyens d'agir contre l'OAS et ses soutiens policiers, pour discuter la création d'organismes permanents chargés d'organiser la lutte et de la coordonner.

Ce n'est tout compte fait guère plus difficile que de contraindre les organisations « de gauche » à agir.

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