Polycentrisme et forces centrifuges09/01/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Polycentrisme et forces centrifuges

Le XXe Congrès a provoqué dans les partis communistes du monde des remous qui ne s'apaiseront peut-être pas de sitôt. Depuis la conférence des 81 réunis l'an dernier par l'URSS pour reprendre en mains les différents partis communistes, le conflit a pris des dimensions nouvelles. Il s'exprime, au lendemain du 22e Congrès, par la rupture des relations diplomatiques entre l'URSS et l'Albanie, par le « durcissement des divergences chinoises », mais aussi par le « polycentrisme » revendiqué par le Parti Communiste Italien.

Déjà, en 1956, au lendemain du XXe Congrès, le Parti Communiste Italien demanda des « explications« sur les erreurs du culte de la personnalité et développa un certain nombre d'idées selon lesquelles on devait reconnaître à chaque parti communiste sa façon particulière d'accéder au socialisme. Demandes d'explications et critiques qu'il vient de renouveler à l'issue du 22e Congrès alors qu'une crise assez rave semble le secouer. Si cette attitude illustre le zèle que mettent les valets « à courir en toutes circonstances au-devant de leurs maîtres » elle est malgré tout le symptôme d'un malaise à l'intérieur du PC italien et l'existence d'une opposition autonomiste nettement inspirée par le réformisme défendant la nécessité pour un parti communiste de « faire adhérer pleinement ses idéaux, ses objectifs politiques, les formes de son organisation à la réalité nationale ». Il existe peut-être une opposition « de gauche », mais elle n'apparaît qu'en « creux » au travers des déclarations gênées du secrétariat du PC italien, au sujet de la « réhabilitation pénale'' de Trotsky.

La bureaucratie russe en faisant des différents partis communistes de simples accessoires de sa politique étrangère, même dans la mesure où ces partis ont pu, grâce au prestige de la Révolution d'Octobre 1917 et assez souvent grâce à la faillite des partis sociaux-démocrates, recruter dans les milieux prolétariens et obtenir le soutien actif des ouvriers révolutionnaires, a cependant dû s'appuyer, pour construire des appareils à sa dévotion, sur des fractions du mouvement ouvrier de mentalité petite-bourgeoise, opportuniste et réformiste, La politique staliniste ne peut pas, dans tous les pays du monde, cultiver le chauvinisme sans que la notion de défense de l'URSS soit mise en cause par le milieu même sur lequel elle s'appuie. Ce qui empêche hommes de l'appareil staliniste de s'intégrer dans les rouages de l'État bourgeois, c'est que d'une part la place est déjà prise par les réformistes et que, d'autre part, leur allégeance à Moscou les rend suspects aux yeux de la bourgeoisie. La politique qu'impose le Kremlin aux partis communiste nationaux amène l'appareil staliniste à lutter sur deux fronts : se servir de son recrutement petit-bourgeois pour s'opposer aux tendances révolutionnaires et de l'internationalisme prolétarien pour s'aligner en tous temps, en tous lieux, sur la politique étrangère de l'Union Soviétique.

Dès que la pression de l'appareil centralisé se relâche, les forces en question risquent de faire éclater ces partis ou de les entraîner dans les voies autres que celles tracées de Moscou. De même, quand les conditions sociales évoluent de telle sorte que ces partis trouvent une base sociale propre. Dans les pays où la social-démocratie n'existe pas par exemple.

L'histoire récente est riche de ces phénomènes qui, pour être très différents les uns des autres dans leurs manifestations, ne s'en rattachent pas moins aux mêmes phénomènes. Phénomènes qui résident dans la nature même du mouvement staliniste à l'échelon international.

En 1959, en France, une partie importante des cadres du PCF est passée aux côtés des socialistes dans la défense de la patrie bourgeoise menacée. En 1945, emporté par son zèle « démocratique », le Parti Communiste américain, une fois remportée la victoire sur le nazisme allemand et le militarisme japonais, s'est purement et simplement dissous, son activité n'ayant, de l'avis de ses dirigeants, plus d'objet. Il a fallu un violent rappel à l'ordre et une pression très importante de la part de Moscou pour remettre sur pied une partie de l'appareil américain. En 1948, le Parti Communiste Yougoslave, dont les bases sociales dans le pays étaient suffisamment importantes pour qu'il puisse se passer du soutien de Moscou, est allé jusqu'à la rupture complète malgré les risques que cela comportait. Sensiblement à la même époque, le PC chinois décidait de « vivre sa vie ». La différence étant que l'abandon, à son corps défendant, de la ligne politique préconisée par la bureaucratie russe, le conduisait au pouvoir, grâce justement, à la puissance des forces nationalistes sur lesquelles il s'est alors appuyé.

Les remous auxquels nous assistons aujourd'hui sont dus aux mêmes phénomènes, mais les facteurs en sont inversés. Au lieu que les bases sociales se soient élargies à un degré tel que les partis staliniens puissent s'émanciper peu ou prou de la stricte orthodoxie bureaucratique, c'est (un peu comme en 1939 en France et en 1945 aux USA) l'emprise du Kremlin qui s'est relâchée, à cause de la crise de direction ouverte au sein de la bureaucratie russe depuis la mort de Staline. La bureaucratie russe dans sa recherche d'un nouveau dictateur, n'a pu conserver rigoureusement le monolithisme dans le mouvement ldblquote communisterdblquote mondial. Dans certains pays, les pressions sociales furent alors suffisantes pour, parfois, amener des partis communistes à prendre les risques d'une rupture (cas du PC albanais) en d'autres fois, produire de simples remous (cas du PC italien et peut-être du PC français). Jusqu'où ira la tolérance de Moscou face à ces revendications ou à ces oppositions ldblquote polycentristesrdblquote ? Pas loin. L'exemple albanais nous le prouve. A la tolérance, Moscou préfère la rupture. Il sera obligatoirement de même dans les pays occidentaux. Ne parlons pas du Parti Communiste Français puisqu'on ne peut qu'y supposer une opposition, mais s'il s'avère que celle qui existe au sein du Parti Communiste Italien soit sérieuse, on peut être certain que Krouchtchev préférera ne disposer que d'un appareil squelettique en Italie, mais d'un appareil en main, plutôt que d'accorder son soutien à un parti important, mais plaçant l'allégeance à Moscou et la défense de l'URSS au tout dernier rang de ses préoccupations. Dans un pays comme l'Italie, il se peut que l'opposition petite-bourgeoise et réformiste rencontre des possibilités d'existence, une fois exclue, surtout d'ailleurs si elle est majoritaire. Mais en France, une telle opposition ne pourrait subsister hors de la social-démocratie et de l'intégration à l'appareil d'État bourgeois (sort probable du PSU). A moins qu'un outsider n'apparaisse en la personne des dirigeants de Pékin cherchant à constituer un rudiment d'Internationale ldblquote jaunerdblquote , afin de servir les desseins de leur propre politique extérieure.

Cela n'irait de toutes façons pas très loin, parce que la bureaucratie russe n'aurait jamais pu constituer de partis puissants à l'échelle mondiale, si elle n'avait profité de la dépouille mortelle de la Révolution Russe.

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