Les jeunes et la politique01/05/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les jeunes et la politique

La participation massive des jeunes lycéens ou étudiants aux manifestations, Comités Antifascistes, G.A.R. etc., le fait que la plupart du temps ce sont des jeunes que l'on trouve à la tête des diverses activités pour lesquelles ils constituent des troupes « de choc », tout cela conduit la presse à consacrer articles et interviews au « problème de la jeunesse », à s'interroger sur ce « fait nouveau » qui serait caractéristique de notre époque.

Ce phénomène s'exerce d'ailleurs également au profit des organisations d'extrême-droite et en particulier de l'OAS L'arrestation d'apprentis plastiqueurs de 18 ans, ou même moins, élèves de lycées, a fait grand bruit. La circulaire de Monsieur Paye est venue étayer les arguments de ceux pour qui la participation des jeunes à la vie politique constitue un danger.

Pourtant, ce n'est pas là un fait nouveau. De tout temps la jeunesse a formé un réservoir d'énergies et d'enthousiasme qui s'est manifesté violemment à chaque crise de la société, particulièrement de la société bourgeoise moderne. Les révolutions de 1848 en Europe fourmillent d'exemples de l'élan et de la combativité des jeunes, surtout dans leur première phase, purement bourgeoise. Il n'est que de lire « L'Education Sentimentale » de Flaubert, pour se rendre compte de l'acuité revêtue par les problèmes politiques et sociaux pour un jeune bourgeois de l'époque. Et ce n'est pas par hasard que Gavroche est resté le symbole de la révolution parisienne.

Ce ne sont plus seulement les jeunes, mais même les enfants qui meurent sous les balles des Versaillais, en 1871, et la jeunesse de Vallès est représentative d'une bonne partie de ces jeunes qui surent se ranger du côté des prolétaires révoltés.

Le phénomène n'est d'ailleurs pas particulier à la France. Les terroristes russes étaient pour la plupart des jeunes étudiants et c'est par dizaines qu'on les retrouve dans les camps de Sibérie. Ce sont eux qui vont dans les campagnes tenter de répandre la culture qu'ils ont eu le privilège de recevoir.

Les militants révolutionnaires que nous montre Gorki dans «La Mère» sont des jeunes issus de la petite bourgeoisie ou même parfois fils de propriétaires fonciers. Dans la Russie tsariste, la participation des jeunes étudiants à la vie politique était au moins aussi importante que celle des lycéens et étudiants français de 1962. Et si le fait que ce ne sont plus seulement des étudiants de 20 ans qui sont à l'avant garde de la lutte, mais des collégiens ou des lycéens de 15 ans devait encore étonner, il suffirait de rappeler la présence (et la présence consciente) des enfants algériens dans les manifestations d'Alger et d'Oran de décembre 1960, et dans la manifestation parisienne du 17 octobre 1961, pour comprendre combien le fait est loin d'être exceptionnel.

Il n'y a donc pas à l'heure actuelle à s'étonner devant le courant qui draine les jeunes vers l'activité militante. C'est plutôt le contraire qui pourrait surprendre. Nous nous trouvons en France dans une période de tension politique qui va en s'accentuant : bien avant que le prolétariat dans son ensemble ne s'éveille et ne participe d'une manière autonome à la lutte, on assiste à des manifestations, à une agitation de la part des jeunes, à des tentatives d'action de la part de leurs organisations, même syndicales comme l'UNEF On y voit peu la jeunesse ouvrière, car celle-ci ne forme pas un milieu à part. Elle n'est pas regroupée.

Ce qui rend peut-être le phénomène plus net en France à l'heure actuelle, c'est la guerre d'Algérie d'abord, car ce sont surtout les jeunes qui en font les frais ; ensuite, en face du danger fasciste, il est certain que les jeunes intellectuels sont mieux prévenus parce qu'ils peuvent plus facilement que quiconque lire et réfléchir. Enfin, l'impatience des jeunes, actuellement, peut s'expliquer par le fait que, contrairement à la majorité de la classe ouvrière, ils n'ont pas derrière eux, du moins pour la plupart, quinze années et plus de désillusions.

Trotsky écrivait, en 1932, au sujet des premiers symptômes de la révolution espagnole, que les manifestations et grèves d'étudiants étaient les signes avant-coureurs d'une agitation ouvrière qui serait beaucoup plus profonde et aussi plus difficile à calmer.

En 1848, Marx disait bien que les jeunes petits bourgeois ou bourgeois étaient les premiers à se jeter dans la lutte, avec d'ailleurs courage et générosité, mais il notait qu'ils étaient les premiers découragés en règle générale.

Très souvent c'est la jeunesse intellectuelle qui donne le signal d'une lutte, qui en provoque le déclenchement, et qui, comme c'est le cas actuellement pour les révolutions coloniales, en forme les cadres. Faut-il rappeler le rôle qu'elle a tenu dans les révolutions africaines, ou plus récemment à Cuba ?

La révolte de la jeunesse découle en fait de l'organisation de la société en général. Celle-ci est bâtie pour les adultes, et les jeunes y constituent une couche opprimée. Certes, on ne saurait dire que la jeunesse forme une classe, car l'expression recouvre une grande hétérogénéité, non seulement dans l'origine, mais aussi dans l'avenir social. « Les jeunes » constituent un milieu essentiellement transitoire. Néanmoins, en tant que jeunes, ils ont des intérêts particuliers qui les opposent à la bourgeoisie adulte. Ils sont brimés dans la société actuelle. Leur situation est comparable à celle des femmes qui, bien que d'appartenances sociales différentes et même opposées, sont dans leur ensemble opprimées en tant que femmes.

C'est pourquoi la jeunesse constitue un ferment révolutionnaire, car il faut ajouter au rôle joué par l'oppression dont elle est la victime, celui que jouent ses facultés d'enthousiasme et de courage.

Les révolutionnaires ont tout à gagner à l'éveil des jeunes à la conscience et à l'activité politiques. Si l'on constate actuellement que, dans une certaine mesure, de cet éveil et de cette participation, c'est l'OAS qui bénéficie, la faute n'en est imputable qu'à l'apathie de la gauche française, au rôle du Parti Communiste, lesquels ne sont plus guère capables d'attirer à eux et de polariser les énergies des jeunes, sinon pour les décourager. Ces partis s'attachent d'ailleurs à émietter la force que constituerait la jeunesse organisée. Les étudiants communistes sont séparés des jeunes ouvriers communistes, et entre eux les cloisons sont épaisses. Le PSU envisage de dissoudre ou en tout cas de neutraliser ses J.SU qui ont tendance à se montrer trop résolus, et seraient « trotskysants ».

Ce n'est pas la venue des jeunes sur la scène politique qui peut inquiéter des révolutionnaires, mais bien l'absence d'un parti dynamique et organisé capable d'attirer les forces jeunes dans la voie de la révolution socialiste.

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