Le danger fasciste : mythe et réalités12/12/19601960Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le danger fasciste : mythe et réalités

 

Tout récemment un petit groupe de nervis fascistes attaquait dans les locaux universitaires le Recteur de la Faculté des Lettres. Comme à chaque fois que des incidents semblables se produisent, la même question se pose : où en est le danger fasciste en France ?

Mais il y a des mots qui ont été vidés de leur contenu et fasciste est de ceux-là. Parce qu'il désignait le plus mortel ennemi de la classe ouvrière, les staliniens, utilisant leur plus classique procédé de calomnie, englobèrent sous ce même terme tout ce qui leur était opposé depuis les fascistes proprement dits... jusqu'à leurs adversaires d'extrême gauche.

Au moment des événements de mai 1958, lorsque, après les manifestations d'Alger et la démission du parlementarisme, les chances de de Gaulle se précisèrent, toute la gauche d'un même choeur, cria au fascisme. De Gaulle prit le pouvoir et les événements prouvèrent qu'il y avait plus réactionnaire que lui. La gauche cria alors de nouveau au fascisme non plus contre de Gaulle, mis pour le défendre des émeutiers d'Alger.

Pourtant dès Mai 1958, il était clair que la situation n'avait rien de commun avec ce que fut le fascisme en Italie ou en Allemagne.

De Gaulle n'arriva pas au pouvoir à la tête d'un mouvement de masse, et le grand parti qui se forma en son nom, l'UNR, n'était qu'un parti électoral classique. La nouvelle constitution réduisit les prérogatives du Parlement mais au sein de celui-ci tous les anciens partis continuèrent à subsister légalement. La seule organisation que le régime ait dissoute a été, au contraire, le mouvement Jeune Nation.

Certains ont parlé aussi d'une intégration des syndicats dans 1'appareil d'État. Cette intégration se fait mais elle n'est caractéristique ni du gaullisme ni du fascisme, C'est une tendance constante de l'époque impérialiste même sous la république bourgeoise la plus parlementaire. Elle est d'ailleurs très différente de celle que représentèrent les syndicats corporatistes italiens, ou le « front du travail » nazi. Elle résulte du lent pourrissement des bureaucraties ouvrières et non d'un acte violent exercé par 1'État contre les syndicats détruisant les bureaucraties elles-mêmes et encore moins de cette mobilisation de toute la petite bourgeoisie contre les organisations ouvrières qu'est le fascisme qui rend impossible même toute tentative d'organisation du prolétariat.

De même si de Gaulle avait supprimé le Parlement, proclamé tous les partis de gauche illégaux, annihilé toutes les libertés, cela n'aurait toujours pas permis de qualifier ce régime de fasciste. Il lui aurait manqué ce qu'il y a de plus caractéristique dans un régime de ce genre : les masses fascistes.

Le pouvoir fasciste n'existe que lorsque l'état bourgeois, sa police professionnelle étant insuffisante, peut pour la remplacer dresser toute une partie de la population contre la classe ouvrière. Chacun devient alors l'espion de son voisin. Après avoir armé les couches les plus réactionnaires de la population, petits bourgeois, lumpen prolétariat et même ouvriers inconscients recrutés surtout parmi les chômeurs, et les avoir utilisés à briser toutes les organisations autonomes de la classe ouvrière, l'état fasciste peut exercer son pouvoir grâce aux moutons devenus enragé qu'il a dupés.

Togliatti, l'actuel dirigeant du Parti Communiste Italien, écrivait au temps où il avait une expérience fraîche du fascisme et où il était encore marxiste :

« Cette affirmation s'appuie non pas sur les actes de terreur sauvage, ou sur le nombre élevé des ouvriers et des paysans tués, ou sur l'atrocité de différentes sortes de supplices qu'on appliquait largement ou sur la sévérité des condamnations ; cette affirmation est motivée par la destruction systématique de toutes les forces d'organisations indépendantes des masses »

La Ve République n'a rien de commun avec cela, mais si finalement le danger ne vient pas du gaullisme, cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Les répétitions d'incidents divers, vague d'inscriptions antisémites, bagarres au Quartier latin, incendies de sièges d'organisations de gauche, sabotages de meetings ne prouvent-elles pas qu'il existe en dehors du régime, et même opposé à sa politique, un mouvement fasciste ?

Pourtant l'on rechercherait vainement, actuellement, un parti fasciste important. Celui-ci n'existe pas. Il n'y a que divers groupes réunissant chacun quelques dizaines ou quelques centaines au plus de militants. Pour casser quelques vitrines ou pour peindre des croix gammées ou celtiques sur les murs cela suffit, mais cela prouve qu'ils n'ont pas pu jusqu'ici gagner l'audience des masses.

Un parti fasciste ne naît pas spontanément du mécontentement des petits bourgeois cherchant leur salut dans cette aventure. En dehors de toute crise, il existe toujours dans la société bourgeoise des hommes qui préconisent des solutions fascistes pour résoudre les problèmes de cette société. L'existence de militants et d'organisations d'extrême droite ne prouve pas que leurs idées bénéficient d'une audience quelconque, et parfois même, prouve le contraire.

C'est le mécontentement des masses qui permet à ces groupes de se développer et d'acquérir une influence. Nous l'avons bien vu en 1955-1956 où le mouvement Poujade, jusqu'alors inconnu, monta en flèche à la faveur d'une crise, obtint d'un seul coup une cinquantaine de sièges au Parlement, et puis, le malaise disparu, ressortit de la scène. Cette retombée n'était pars due à la faillite personnelle de Poujade, mais au fait qu'il n' existe pas en métropole de conditions permettant dans un avenir immédiat un développement de ces organisations.

Dans les classes moyennes, c'est sans aucun doute la paysannerie qui est dans la situation la plus difficile, et pourtant les manifestations paysannes du début de l'année, avec celle si mouvementée d'Amiens, ont montré que si, avec les chemises vertes de Dorgères, les fascistes avaient été assez forts pour organiser dans ces milieux des noyaux de militants, les organisations professionnelles traditionnelles avaient été assez fortes pour reprendre la situation en main, une fois passé l'effet de surprise. Ce qui prouve que l'influence fasciste était très limitée.

On dit aussi que le grand danger vient d'Algérie. Il est vrai que le million d'Européens qui sentent bien que ce n'est pas eux, mais les intérêts de la grande bourgeoisie que de Gaulle s'occupe à sauver, forment un milieu de choix à la propagande fasciste. L'indépendance qu'obtiendra inéluctablement l'Algérie, car tout retour en arrière est impossible, forcera une grande partie de ce million d'hommes à revenir en métropole. Même s'ils ne sont pas chassés par les Algériens, il leur sera moralement impossible de continuer à vivre dans un pays où de privilégiés, ils seront devenus indésirables et méprisés. Ces « expatriés » en France, pourraient alors former une base de masse pour un parti fasciste.

Ils n'en auraient cependant pas pour autant l'audience suffisante pour envisager même l'éventualité d'une lutte pour le pouvoir.

Mais si le fascisme ne nous menace pas à proprement parler, personne ne peut dire ce qu'il en sera dans dix ans, dans un an ou même six mois, si la guerre se prolonge ou si une crise économique provoque faillites et chômage

Mais le jour où ce danger se précisera, les discours démocratiques et les pétitions de ceux qui crient aujourd'hui le plus fort ne serviront à rien, la seule chose qui puisse s'opposer victorieusement au fascisme, c'est la lutte armée de la classe ouvrière sous la direction d'un authentique parti révolutionnaire. Le seul moyen aujourd'hui de lutter contre le fascisme, c'est de travailler à la construction de ce parti.

 

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