Le coq à deux têtes12/06/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le coq à deux têtes

 

Le 17 juin 1940, dans un discours radiodiffusé, le maréchal Pétain annonce aux Français qu'il vient d'être chargé de la direction du Gouvernement, et qu'il a demandé à l'Allemagne ses conditions d'armistice.

Le lendemain, au micro de Radio-Londres, de Gaulle lance son célèbre appel, passé d'ailleurs pratiquement inaperçu ce jour-là, où il invite « les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver » à se mettre en rapport avec lui, car « quoiqu'il arrive, la flamme de la Résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ».

Ces deux discours marquent le début du divorce qui, pendant plus de quatre ans, va diviser l'appareil d'État français. Deux jours plus tôt, pourtant, de Gaulle et Pétain étaient encore membres du même cabinet Reynaud, l'un comme secrétaire d'État à la défense nationale, l'autre comme vice-président du Conseil, et ils étaient aussi réactionnaires l'un que l'autre. Mais la défaite militaire va poser à l'impérialisme français des problèmes capitaux, auxquels chacun d'eux va apporter une solution différente.

Le déclenchement effectif des hostilités est pourtant tout récent à l'Ouest, car la France et l'Angleterre assistèrent sans réagir à l'écrasement des armées polonaises, comme pour démontrer que l'agression contre la Pologne marquait seulement la limite de ce qu'elles pouvaient tolérer mais que sort de ce pays en lui-même leur était indifférent. Il faudra attendre le 10 mai pour qu'il y ait du nouveau à l'Ouest. Ce jour-là, la Wehrmacht franchissait la frontière hollandaise et belge et avançait vers le Nord de la France. Croyant à une réédition du plan Schlieffen de 1914, l'État-Major français fit lui aussi avancer le gros de ses troupes en Belgique. Ce faisant, il tombait dans le piège que lui tendait son adversaires car il ne s'agissait là que d'une diversion. L'offensive principale est menée par un groupe de Panzerdivisionen - appuyé par une puissante aviation d'assaut - qui fonce à travers les Ardennes, pourtant réputées impraticables aux blindés, perce le front français à Sedan le 14 mai, et arrive le 20 à la mer, encerclant ainsi les armées belge et hollandaise, le corps expéditionnaire anglais et toute l'aile gauche française. Quand la poche ainsi formée est réduite par l'armée allemande, quand Dunkerque tombe le 4 juin, l'armée française a perdu la moitié de ses effectifs et les trois quarts de son matériel. Le sort de la guerre est déjà scellé.

Désormais l'armée française est incapable de résister à une nouvelle offensive allemande, et celle qui se déclenche sans attendre le 5 juin pousse devant elle à la vitesse de ses blindés les débris d'une armée qui se fondent dans la masse immense des réfugiés qui, depuis le 10 mai, envahissent, chaque jour plus nombreux, les routes françaises. Pour beaucoup de ceux qui vécurent cette période, une défaite aussi rapide et aussi profonde ne pouvait s'expliquer que par une « trahison » des milieux dirigeants français, et le Parti Communiste Français adoptera, lui aussi, cette explication. Pour lui, les éléments de la bourgeoisie française qui « préféraient Hitler à un nouveau Front Populaire » ont délibérément saboté la production de guerre et organisé la défaite militaire française, afin de faire d'Hitler le gendarme de la classe ouvrière française. Cette explication pourrait être prise en considération si le prolétariat avait alors représenté un danger pour la bourgeoisie française, mais il n'en était rien et, au contraire, celle-ci avait attendu que la classe ouvrière soit brisée pour entrer en guerre.

En fait, la force de l'armée allemande résidait dans son armement en matériel moderne, utilisé par des cadres jeunes et entraînés, capables d'en tirer le maximum. Le triomphe du « Blietzkrieg » était celui du potentiel industriel allemand, exploité à fond depuis l'écrasement de la classe ouvrière par Hitler. L'acier des Panzer, c'est la sueur et le sang des prolétaires allemands. La défaite militaire française, elle, est le reflet de la crise économique et politique qui n'a jamais été entièrement surmontée. Car ce n'est que depuis l'échec de la grève du 30 novembre 1938 que la bourgeoisie française a les mains à peu près libres.

A partir du moment où la défaite est certaine, les hommes politiques de la bourgeoisie française vont se répartir en deux camps ; les uns, avec Pétain, sont partisans de la négociation d'un armistice avec l'Allemagne, en essayant de sauver le maximum ; les autres, avec de Gaulle, veulent continuer la guerre à partir de l'empire colonial français ou de l'Angleterre. Il serait absurde de chercher lequel de ces deux groupes représentait le mieux les intérêts de la bourgeoisie française, était le plus patriote. Il serait plus absurde encore de voir, comme le font les staliniens, dans les uns les représentants de la bourgeoisie nationale, dans les autres une clique de politiciens vendus à l'Allemagne. Ces deux groupes représentaient rigoureusement les mêmes intérêts, ceux de la bourgeoisie française dans son ensemble, les uns les représentant auprès de l'impérialisme allemand, les autres auprès de l'impérialisme américain, et leurs politiques, malgré les apparences, étaient beaucoup plus complémentaires qu'opposées.

Le danger, pour ceux qui se refusaient à quitter la métropole, c'était de supprimer ce qui restait de l'appareil gouvernemental en France, de laisser toute l'étendue du territoire aux mains de l'administration militaire allemande, de sacrifier tout ce qui y restait encore de l'armée française, en un mot la mort de l'État français à coup sûr dans l'immédiat. En ne constituant à Londres qu'un Comité Français, en attendant la veille du débarquement pour former un Gouvernement Provisoire, de Gaulle montrera d'ailleurs que lui aussi comprenait l'importance pour la bourgeoisie du maintien d'un appareil gouvernemental français, aussi réduits que fussent ses pouvoirs.

Jusqu'aux derniers jours avant l'armistice, la bourgeoisie française attendra le salut d'Outre-Atlantique. Il ne fait de doute pour personne que l'Amérique entrera en guerre un jour contre l'Allemagne, et que ce sera le seul événement capable de changer le rapport de forces.

Mais il ne fait guère de doute non plus que ce ne sera pas avant de longs mois. Le problème le plus important, pour les adversaires de l'armistice, c'est de se maintenir en guerre jusqu'à ce jour-là, pour avoir un appareil d'État français à mettre en place au fur et à mesure du recul allemand, et de ne pas laisser ce soin aux Américains, et aussi pour pouvoir participer au partage du butin.

La « collaboration » de Pétain avec l'Allemagne aura donc pour pendant la « collaboration » de de Gaulle avec les Anglo-Américains, chacun d'eux essayant d'obtenir le maximum en faisant le minimum de concessions à son partenaire, car aucune alliance, fût-elle militaire, ne supprime les antagonismes de deux impérialismes.

Si le gaullisme prit un visage démocratique par rapport au régime de Vichy, ce n'est qu'un aspect secondaire du problème. De Gaulle n'était pas, en 1940, plus à gauche que Pétain, les cadres militaires qui se joignirent à lui n'étaient pas amenés par leur esprit démocratique. Les jeunes officiers qui gagnèrent l'Angleterre étaient le plus souvent de droite, quand ce n'était pas d'extrême-droite. Mais la guerre contre l'Allemagne avait été, dès le début, menée au nom de la croisade des démocraties ; le régime de Vichy, pas plus que le régime hitlérien, ne permettait à la gauche une existence en tant que telle ; et surtout la guerre contre l'URSS allait en 1941 jeter le PCF dans le camp gaulliste, donnant à celui-ci par la même occasion une base de masse réelle en France. Tout cela allait permettre de présenter de Gaulle comme un homme de gauche, et en même temps, obliger celui-ci, dans une certaine mesure, à jouer ce rôle.

Mais ces apparences ne doivent pas faire illusion. Gaullistes et Pétainistes pourront bien par la suite se jeter au visage des injures, et parfois même de la mitraille, les uns au nom de la démocratie, les autres au nom de la révolution nationale, cela ne saurait empêcher qu'ils étaient les hommes de la même cause, celle de la bourgeoisie française, et qu'ils surent aussi par la suite se réconcilier dans l'intérêt de celle-ci. Bidault et Soustelle ne fraternisent-ils pas avec Tixier-Yignancour et Biaggi dans une même OAS ?

 

Quand la bourgeoisie française demandait la paix des braves...

« Français !

A l'appel de Monsieur le Président de la République, j'assume, à partir d'aujourd'hui la direction du Gouvernement de la France. Sûr de l'affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes ; sûr que, par sa magnifique résistance, elle a rempli ses devoirs vis-à-vis de nos alliés, sûr de l'appui des anciens combattants que j'ai ou la fierté de commander, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.

En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C'est le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.

Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire, pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.

Que tous les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la Patrie ».

(Discours radiodiffusé du Maréchal Pétain, le 17 juin 1940).

 

Partager