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Le conflit Ben Bella - Khidder

Les rumeurs qui couraientdepuis quelque temps - au point d'exiger un démenti officiel de Ben Bella lui-même - sur l'existence de divergences entre Ben Bella et Khidder, ont été brusquement confirmées au milieu de la semaine passée par la démission de Khidder de son poste de secrétaire général du Bureau Politique du FLN, un poste où il a d'ailleurs été remplacé immédiatement par Ben Bella lui-même.

La raison de cette démission serait la volonté de Khidder de voir réuni rapidement et en tout cas avant l'expiration du mandat de l'Assemblée Nationale actuelle, un congrès du FLN Ce n'est d'ailleurs que ce qu'a réclamé une conférence des cadres du F.L. N. réunie dans la banlieue d'Alger les 4 - 5 et 6 avril.

Cela signifie, en fait, que Khidder voudrait établir le contrôle de l'appareil d'État par le parti. C'est ainsi qu'il prône notamment la création d'inspecteurs du parti aux échelons supérieurs de l'administration. Il se présente d'ailleurs en cela comme le simple porte-parole du parti déclarant au journal « Le Monde » (21-22 avril 1963) : « Ce n'est pas moi qui ai affirmé la prédominance du parti sur toutes les structures de notre pays. Ce principe a été affirmé à Tripoli par le CNRA ».

Depuis l'indépendance, l'Algérie est engagée dans le processus de formation d'un État bonapartiste dans lequel l'appareil d'État est soustrait à tout contrôle de qui que ce soit. C'est la tâche que se sont assignée les dirigeants actuels de l'Algérie, on devait d'ailleurs commencer par construire cet appareil qui n'existait pas au moment de l'indépendance. Pour cela ce que l'on avait appelé « le groupe de Tlemcen » - Ben Bella, Khidder, Boumedienne, etc... - a éliminé les uns après les autres les hommes, les groupes ou les organisations susceptibles de contester son pouvoir et sa politique. C'est ainsi que, successivement, le GPRA a été écarté, les wilayas intégrées à l'armée régulière, la Fédération de France du FLN dissoute, la direction de l'UGTA remplacée.

Malgré ses protestations actuelles : « je ne suis qu'un homme ouvert, profondément démocrate » (Le Monde du 21-22 Avril) Khidder a été, en tout cela, solidaire de Ben Bella. Il est donc bien difficile de voir maintenant en lui un défenseur de la démocratie algérienne.

Mais le type d'État qui se construit actuellement en Algérie a sa logique propre. Et celle-ci exige non seulement que l'appareil d'État soit incontrôlé et incontrôlable, mais aussi l'existence à la tête de cet appareil d'un arbitre suprême, détenant le pouvoir d'une façon plus ou moins absolue et lui aussi incontrôlé. Il est impossible qu'il puisse exister sur une longue période une direction collégiale dans un État bonapartiste. Car une direction collégiale cela voudrait dire, en cas de divergences au sommet du pouvoir, la possibilité d'un recours à la base pour les résoudre. Ce recours ne pourrait se faire que par l'introduction d'une manière ou d'une autre d'une certaine forme de démocratie, ce qui est justement exclu, ou alors par une épreuve de force qui, quel que soit le vainqueur, élimine justement la direction collégiale. Khidder en a, en tout cas, bien conscience qui explique ainsi sa démission (Le Monde 21-22 Avril) : « J'ai, seul, pris cette décision pour éviter un affrontement grave, pour éviter à notre pays le risque d'une catastrophe ».

C'est pour cela que l'association au pouvoir Ben Bella - Khidder sur un pied de relative égalité - l'un a la tête du gouvernement, l'autre à la tête du parti - ne pouvait être de longue durée. A Alger comme à Paris il ne peut y avoir qu'un seul Bonaparte.

Bien sûr celui-ci ne pouvait surgir immédiatement à la suite de l'indépendance. Il y avait de nombreuses personnalités politiques qui par leur prestige auprès des masses algériennes pouvaient postuler à l'emploi, et surtout l'appareil d'État était si faible qu'il n'était guère susceptible de s'opposer efficacement aux différentes forces organisées dans le pays qui n'acceptaient pas son emprise. Ainsi le premier détenteur officiel du pouvoir d'État algérien - le GPRA avec à sa tête Ben Khedda - s'est incliné très facilement devant les troupes de Boumedienne.

L'élimination des différentes personnalités et des différents appareils politique, militaire ou syndical a donc été progressivement, au fur et à mesure que l'appareil d'État se créait et se renforçait. Pour triompher de leurs adversaires Ben Bella, Khidder et Boumedienne se sont trouvés associés.

C'est maintenant que leur pouvoir semble assez solidement assis que se pose le problème de se départager entre eux pour savoir qui sera en définitive le seul maître de l'Algérie.

Si Khidder réclame maintenant la prédominance du parti sur l'État ce n'est pas qu'il a, de celui-ci, une conception différente de Ben Bella. Car si Khidder triomphait l'appareil d'État ne serait pas en définitive moins indépendant que si c'est Ben Bella. Simplement, peut-être, une partie du personnel de l'actuel appareil d'État serait remplacé par le personnel de l'actuel appareil du parti - dans la mesure où ces deux appareils sont encore distincts, dans l'Algérie d'aujourd'hui.

Dans un premier temps et contre leurs adversaires communs Khidder et Ben Bella se sont partagés responsabilités et pouvoirs. Ben Bella a ainsi pris la tête de l'appareil d'État, devenant chef du gouvernement, Khidder celle de l'appareil du parti avec le poste de secrétaire général du Bureau Politique. Maintenant qu'ils'agit de ne plus laisser subsister qu'un seul et même appareil, il est vital pour Khidder et pour Ben Bella de savoir si cela va se faire par l'effacement de l'appareil du parti devant celui de l'État ou par le contrôle de l'appareil du parti sur celui de l'État. De l'une ou de l'une ou l'autre de ces solutions dépend le nom du futur chef suprême de l'Algérie.

Ben Bella a, semble-t-il, remporté un premier succès. Celui-ci n'est cependant peut-être que provisoire. Khidder fait encore partie du Bureau Politique et l'appareil du FLN - celui qui dans la conférence des cadres demandait une réunion rapide du congrès du parti - existe toujours. Il n'est pas exclu non plus que Boumedienne, par exemple, à la tête de l'armée veuille lui aussi tenter sa chance et entre à son tour en conflit avec Ben Bella sur un sujet ou un autre. Ce qui semble exclu par contre c'est que l'un de ces hommes engage la lutte pour donner à l'Algérie des structures véritablement démocratiques.

Car les seules structures démocratiques possibles en Algérie ce seraient des conseils ouvriers et paysans semblables aux soviets qui existèrent en URSS par exemple. Aucun des dirigeants politiques de l'Algérie ne représente la seule classe sociale qui pourrait les mettre en place : le prolétariat. Pour qu'une véritable démocratie algérienne puisse exister il faudra donc que celui-ci se donne un parti révolutionnaire socialiste authentique. Mais il n'y a pas d'autre choix à plus ou moins longue échéance entre cela et la dictature personnelle d'un Ben Bella, d'un Khidder ou d'un Boumedienne.

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