La journée continue18/06/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La journée continue

Périodiquement revient en question l'application de la journée continue. On nous présente cette mesure comme nécessaire, indispensable et pouvant résoudre de nombreux problèmes. Quels sont ces problèmes qu'il faut résoudre ? Selon que l'on se trouve dans une très grande ville ou dans une ville moyenne, les difficultés qu'il faut vaincre sont d'un ordre différent et la notion de journée continue varie avec eux.

Dans les grandes agglomérations telles que Paris le problème n° 1 est celui du transport. En plus de sa journée de travail déjà fort longue l'ouvrier parisien doit passer environ une heure ou une heure et demie dans les transports. S'il habite la banlieue il n'est pas rare que ce temps soit doublé. Trois heures par jour dans des transports en commun qui véhiculent des êtres humains dans des conditions épouvantables représentent une fatigue absolument inutile mais inévitable dans les circonstances actuelles. Ceux qui utilisent des transports individuels ne sont guère mieux placés. A la fatigue de l'atelier, du chantier, du magasin ou du bureau doit s'ajouter la fatigue de la conduite d'un véhicule à deux roues ou d'une automobile dans les conditions d'une circulation intense. C'est, en plus de cette fatigue supplémentaire, un risque d'accident qui coûte très cher aux intéressés bien sûr mais aussi à la société.

Tout cela parce que le départ vers le lieu de travail et surtout le retour ont lieu aux mêmes heures et provoquent des embouteillages monstres aux heures de pointe.

Les spécialistes se penchent sur ce grave problème et cherchent des solutions techniques. La situation actuelle provoque des pertes considérables de temps. Ce temps, s'il était pris sur la production, les patrons s'en inquiéteraient. Mais il est pris sur les loisirs des travailleurs, alors cela importe peu.

Les heures de pointe obligent les transporteurs à entretenir un parc de véhicules supérieur à ce qu'il devrait être normalement. Après quelques heures où le matériel est surchargé, on connaît un temps d'immobilisation. Cette mauvaise rotation du matériel en augmente considérablement le prix. Or les prix des transports on commun ne peuvent être répercutés entièrement sur les utilisateurs sans préjudice pour les patrons. En effet, les systèmes d'abonnement et de tarifs spéciaux sont en fait une subvention déguisée au Patronat qui, si les transports étaient payés à leur valeur devrait en conséquence augmenter les salaires des travailleurs, premiers utilisateurs des transports en commun.

Les travailleurs qui utilisent des véhicules particuliers procurent un bénéfice à l'État par l'achat de carburant, et aux compagnies d'assurances. Mais là aussi il y a un point de saturation au-delà duquel le bénéfice devient perte. Cela est surtout vrai pour les compagnies d'assurances dont le coût des sinistres arrive à dépasser le montant des primes (dans cette branche exclusivement).

Alors la solution : la journée continue.

Les travailleurs feraient leurs 9 ou 10 h d'une seule traite sans prendre le temps de manger si ce n'est un casse-croûte avalé en vitesse, le plus souvent en continuant de travailler. De cette façon, certaines catégories pourraient commencer de très bonne heure et finir plus tôt, tandis que d'autres commençant plus tard termineraient leur travail également plus tard. Cela permettrait en étalant les horaires d'amortir les heures de pointe et également les heures creuses.

Cette solution qui se veut technique, ne résoudrait pas grand-chose et de toute façon le problème ne ferait que reculer pour quelque temps. Déjà les heures creuses sont de moins en moins nombreuses. De 8 h du matin à 8 h du soir où trouver des heures creuses ? Alors déplacer les activités avant 8 h et après 20 h, il est certain que cela atténuerait un peu le congestionnement de la circulation. Pas sans inconvénient d'ailleurs. Car si aujourd'hui la circulation est encore à peu près possible avant 8 h et après 20 h, à partir du moment où on étalerait les horaires, une partie de la bousculade de la journée se trouverait étalée sur ces heures encore relativement normales.

En province, l'application de la journée continue prend un autre aspect. La circulation est assez difficile dans certaines villes mais n'est pas encore arrivée à un stade d'asphyxie aussi considérable.

Là ce n'est pas tellement le problème de la circulation qui importe le plus, c'est celui du transport. Les industries se développent, les patrons doivent moderniser leurs installations. Le faire en ville même, cela est souvent impossible à cause du manque de place, et même quand c'est réalisable, il est souvent beaucoup plus économique de s'installer en campagne, à quelques kilomètres de l'agglomération, où le terrain est bien meilleur marché. Oui, mais installer des ateliers en dehors de la ville, cela veut dire y amener les ouvriers. Là où la journée de travail se faisait normalement en deux temps avec une heure et demie ou deux heures pour aller déjeuner, ces une heure et demie ou deux heures deviennent insuffisantes si les travailleurs ont un trajet important à faire pour retourner à leur domicile. Il s'agit d'organiser les possibilités de déjeuner sur le lieu de travail avec un temps de coupure plus court, en général une heure.

En province l'application de la journée continue c'est la réalisation de ce qui se fait à Paris et dans les grandes villes depuis des années. Le développement de l'agglomération éloigne le lieu de travail du domicile des travailleurs au point qu'il n'est plus possible de rentrer déjeuner.

A Paris et dans les grosses agglomérations, cet éloignement étant toujours plus grand et le temps pour parcourir le trajet toujours plus long, on essaye de trouver des aménagements techniques pour résoudre ce grave problème. Doit-on être pour ou contre la journée continue ? Tel que le problème est posé à l'heure actuelle, cela n'a aucune signification. La journée continue correspond à l'accélération du rythme de la vie urbaine. Elle est nécessaire au développement de l'activité économique capitaliste et se fait au détriment du mode de vie des travailleurs. La vie devient plus agitée mais non plus riche, et au contraire se développe une nervosité nuisible à la santé. Devons-nous pour autant être contre la journée continue ? Cela reviendrait à revendiquer de rester sur les bases anciennes. Or la marche du progrès est irréversible. On résiste quelque temps et puis on finit par céder devant les exigences de l'activité économique.

Il convient donc d'adapter les revendications ouvrières à cette accélération inévitable du rythme de vie due à l'accélération du progrès technique. En province, les travailleurs opposent une résistance à l'application de la journée continue qui consiste à partir le matin pour ne rentrer que le soir. Cette journée continue modifie sensiblement leur mode de vie et on comprend aisément qu'ils ne l'acceptent pas facilement. D'autant plus que la plupart du temps les autres problèmes ne sont pas résolus en même temps : pas de cantine à l'école lorsque la femme travaille, transports insuffisants, souvent même pas de cantine à l'usine. Mais tôt ou tard le rythme est pris parce que l'activité économique l'impose.

Ce rythme, il existe dans les grandes villes depuis déjà longtemps. Il s'accélère de plus en plus au point de se transformer en son contraire et de paralyser l'activité économique et surtout d'étouffer les travailleurs dans une activité sclérosée.

Les solutions ? Et bien les solutions sont simples, connues, mais elles sont générales. On ne peut pas résoudre les problèmes de l'hypertrophie des villes sans résoudre en même temps les autres problèmes. La journée continue, c'est le cachet d'aspirine qui calme temporairement la douleur, mais ne guérit pas le mal et qui même la plupart du temps engendre des douleurs gastriques, c'est-à-dire un autre mal. La journée continue, c'est la solution mais dans d'autres conditions.

Le progrès technique a permis d'imposer il y a plus d'un quart de siècle une durée hebdomadaire de travail de 40 heures. Depuis cette date, la productivité a presque doublé. Compte tenu d'une amélioration du niveau de vie et sans même parler de réformes éliminant le gaspillage capitaliste, 30 heures par semaine devraient être un maximum. Là, la journée continue commence à devenir possible : 5 jours à 6 heures. De 6 h à 12 h, de 7 h à 13 h, de 8 h à 14 h, etc. Cela effectivement permettrait un étalement des horaires, et aussi un allongement des loisirs.

Mais même cela ne serait pas suffisant. construire des logements et prévoir en même temps les routes et les moyens de transport pour les desservir est également indispensable. organiser une décentralisation permettant le développement suffisant des villes pour avoir des écoles, des facultés, des spectacles, etc... et ne permettant pas l'hypertrophie de certaines villes privilégiées au point d'en crever.

Avoir une politique des salaires qui harmonise les différentes activités de manière à ce que l'orientation de la main-d'oeuvre soit le résultat d'un libre choix et non d'une contrainte.

Ce ne sont pas là des mesures socialistes. Ce sont seulement quelques mesures immédiates et indispensables sans lesquelles la journée continue n'est qu'un leurre, une duperie supplémentaire.

L'application de la journée continue dans ces conditions pourrait permettre aux travailleurs, en ayant plus de loisirs, de poser le problème de la gestion socialiste de la société. C'est pourquoi il n'est pas inutile quand on parle de réaliser la journée continue, de poser toutes les revendications qui doivent nécessairement l'accompagner.

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