L'intoxication du Monde28/11/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

L'intoxication du Monde

Explosions de plastic, manifestations algéroises et terrorisme ponctuent notre vie quotidienne. D'après le « Monde », l'OAS, et les colonels, théoriciens de la guerre révolutionnaire et de l'action psychologique, qui la dirigent reprendraient à leur compte de prétendues techniques de la « guerre subversive ».

Mais qu'est-ce que la guerre subversive pour les militaires ? C'est face aux peuples coloniaux en lutte que l'armée française s'est trouvée confrontée avec ces problèmes. Si les anciens critères, tenue du terrain, moral des troupes, formation des cadres, qualité des armements, subsistent, ils deviennent secondaires, avec le côté purement militaire de la lutte. Car 90 % du potentiel de combat adverse réside dans la population civile qui cache, nourrit, renseigne, finance les troupes de partisans extrêmement mobiles, indestructibles définitivement, tant que la population environnante leur accorde son soutien actif. La lutte essentielle se trouve ainsi transportée sur le terrain du « contrôle » physique et surtout moral des masses, sur le problème de la lutte contre la « subversion ».

Les théoriciens militaires furent amenés à étudier (ou réétudier) cette guerre qualifiée de révolutionnaire parce que tout un peuple y participe. De là, une série de prétendues recherches sur les rapports entre le parti (nationaliste ou révolutionnaire) et les masses, sur les organes d'encadrement tels que syndicats, organisations politico-administratives, sur les méthodes de lutte contre le pouvoir établi, de désorganisation à partir de grèves, manifestations etc... et celles de « prise en contrôle » des populations.

Pour eux le processus se déroule de manière complexe à partir d'un noyau de militants absolument convaincus, professionnels. Ils distinguent trois stades qui réagissent les uns sur les autres. Le premier, la « cristallisation » consiste à gagner idéologiquement une partie des populations en se servant de différentes méthodes d'action psychologique depuis les plus anciennes (tracts, affiches, réunions, manifestations), jusqu'aux plus modernes (radio et télévision) et en utilisant les injustices flagrantes, la démagogie, « l'intoxication ». Puis vient le deuxième stade, « l'organisation », il vise à regrouper les masses ainsi convaincues dans des structures qui encadrent petit à petit la population (syndicat, OPA). Enfin, arrive le stade de la « militarisation ». A partir des organisations apparaissent des groupes de choc, puis des milices locales, enfin l'armée régulière. Cette analyse resterait valable pour toute guerre révolutionnaire, depuis la révolution Chinoise jusqu'à l'insurrection grecque de 1945.

C'est ce processus avec ces méthodes, soi-disant « puisé à l'arsenal marxiste-léniniste », dont « le Monde » impute la reprise aux colonels dirigeant l'OAS Ne retrouve-t-on pas avec l'OAS les mêmes techniques depuis le maniement des foules, européennes cette fois, jusqu'à la formation de groupes de choc terroristes ?

Or, ni les méthodes de l'OAS ni celles du FLN ne sont spécialement marxistes. Et Mao-Tse Toung lui-même n'a rien fait d'autre dans son ouvrage sur la « guerre révolutionnaire » que de reprendre les méthodes classiques de la guerre de partisans.

Les dirigeants de l'OAS oublient, selon « Le Monde », que « les techniques » n'ont pas d'efficacité quand elles sont allogènes. En réalité, ces « techniques » n'ont de succès qu'en ce qu'elles permettent d'exprimer les sentiments, les aspirations de la population ou de certaines classes. Elles s'appuient alors sur un mouvement spontané fondé sur des structures sociales sans lesquelles leur application n'aurait aucun écho. C'est parce qu'il représente la possibilité de supprimer l'oppression nationale et de reprendre les terres que les paysans algériens suivent le FLN et que ses agitateurs sont écoutés et approuvés.

Les dirigeants de l'OAS seraient-ils donc simplement inintelligents ? l'explication, peut-être partiellement valable, reste insuffisante. les dirigeants de l'OAS savent d'expérience que la quasi-totalité des gouvernants actuels sont venus au pouvoir en s'appuyant sur les illusions et les préjugés de larges couches de population, bien qu'ils fassent une politique contraire à leurs intérêts bien compris. bien plus, il suffit parfois que ces masses voient leurs intérêts sociaux menacés pour qu'elles entrent en lute violente pour toute solution, même utopique, qui prétend pouvoir les rétablir. et les milieux, que l'évolution condamne, sont prêts à suivre n'importe quel charlatan qui promettra d'arrêter l'histoire. ainsi, dans le cadre d'une situation sociale favorable, les mêmes méthodes d'agitation, s'appuyant sur les préjugés de certaines couches de population, révèlent leur efficacité même dans un but contre-révolutionnaire. en allemagne, cela s'appelle le fascisme.

Ainsi s'explique la prédilection de l'OAS pour le terrorisme individuel, et les attentats contre des lieux publics, que les marxistes condamnèrent toujours, le recours au mensonge pudiquement appelé « action psychologique » (Goebbels en réinventa lui aussi les règles).

L'attitude vis-à-vis de l'appareil d'État dont « il faut convaincre les membres ou les faire douter de leur action », reste caractéristique. Ce n'est qu'entre deux politiques de la bourgeoisie que ces agents peuvent hésiter.

Ces différences d'avec les méthodes marxistes, les théoriciens de l'OAS ne peuvent les ignorer. S'ils laissent la confusion se faire, c'est que le fascisme est politiquement démonnayé en France et qu'il est pratique de couvrir de l'exotisme des méthodes de guerre subversive cette marchandise frelatée. « Le Monde » en particulier, croyant ce que l'OAS dit ou laisse croire d'elle-même, est la première victime de l'intoxication.

« L'action psychologique » n'est qu'un réchauffé des méthodes fascistes camouflées de prétendus emprunts au marxisme, et la politique de l'OAS en Algérie n'est pas de maintenir une Algérie Française à laquelle personne ne croit, mais de se servir de la communauté européenne et des conditions de la guerre d'Algérie, pour sélectionner les cadres d'un parti fasciste.

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