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Issues de secours

La lutte des mineurs vient de mettre à l'ordre du jour la grève générale en France. « L'Express » du 28 Mars 1963 le constatait en ces termes :

« Les cheminots, postiers, gaziers, électriciens, métallos, enseignants, étudiants ont bougé, une grève générale est dans l'air », et ajoute : « Tous savent qu'elle pourrait avoir lieu si les syndicats, qui craignent encore de tomber dans le piège tendu par le Pouvoir, ne freinent pas un mouvement qui ne demande qu'à s'amplifier et à mettre en question l'ensemble des choix économiques du gouvernement ».

Que ce soit au cours de discussions avec les travailleurs, ou dans leur presse, les militants de la « gauche » et des syndicats ont invoqué pour expliquer leur refus d'un tel mouvement l'argument selon lequel une grève générale serait forcément « politique », qu'elle mettrait en cause le gouvernement actuel, ce qui serait catastrophique du fait que la gauche ne dispose pas de solution de rechange. C'est ainsi que Bosquet écrit, parlant des syndicats « Mais ils ont refusé jusqu'ici, malgré les pressions de la base, d'aller vers la « politisation » du mouvement et vers l'épreuve de force. Ils ont jugé que la situation, pour cela, n'était pas mûre. Non seulement ils ont été pris de court par l'explosion populaire, mais ils n'ont pas trouvé non plus, entre eux et le régime, les relais nécessaires - partis politiques, Parlement, équipes de rechange - capables de ramasser leurs objectifs en un programme et de défier sur celui-ci le pouvoir. »

De son côté, Serge Mallet, dans « France-Observateur » du 28 Mars 1963, après un long réquisitoire (qu'il ne veut sans doute pas tel) contre les Centrales syndicales qui « ont, dès le début, été réticentes devant le mouvement », écrivait : « Le fait que l'obstacle essentiel à l'élargissement de la lutte soit constitué par l'absence d'une alternative au régime gaulliste... »

Malgré le peu de valeur que l'on peut attribuer aux arguties des actuels dirigeants politiques et syndicaux du mouvement ouvrier, il est certain que cet aspect politique de la grève des mineurs a été l'un de ceux qui a le plus compté pour les amener à empêcher de toutes leurs forces la généralisation du mouvement et, finalement, à mettre un terme brutalement, quelques difficultés qu'ils en aient eues, à la grève des mineurs.

En effet, tout ce qui précède est fort juste. Ni pour les sociaux-démocrates, ni pour les stalinistes, ensemble ou séparément, la Ve République et le Parlement issu des dernières élections législatives, comprenant une majorité gaulliste, n'offrent la moindre possibilité de participation gouvernementale. Une grève générale aurait eu nécessairement un caractère politique : la grève des mineurs en avait déjà un. Même la satisfaction des revendications économiques pour lesquelles les travailleurs seraient entrés en lutte ne résoudrait pas le problème politique, la classe ouvrière ayant pris conscience de sa force au cours d'une grève générale victorieuse, se poserait la question du sa propre représentation au pouvoir. Or, s'il y a bien des partis « ouvriers » pouvant abuser les travailleurs et leur faire croire qu'ils gouvernent par leur intermédiaire, indépendamment des problèmes internationaux que poserait une participation des staliniens à une quelconque majorité gouvernementale, il n'est pas possible, dans le cadre de la Constitution actuelle et telle que l'Assemblée est composée, que ces partis puissant accéder et participer au gouvernement. Ce mouvement se serait produit avant les élections qu'il aurait peut-être pu, en les influençant, faire que la question se pose différemment. Dans une Chambre où d'autres majorités et en particulier une majorité de gauche pourraient se trouver, l'alternative eût existé. Confronté à une grève générale politique, de Gaulle n'aurait normalement pas la ressource de faire appel aux politiciens ouvriers. Il lui faudrait dissoudre l'Assemblée et procéder à d'autres élections et cela « à chaud ». La Constitution ne lui permettrait qu'au prix de contorsions difficiles (vote d'une motion de censure par sa propre majorité), il n'est pas garanti qu'il le ferait et, en tous cas, nos réformistes ne se sentent pas capables de prendre le risque de l'y contraindre.

Se refusant à une telle attitude, les organisations ouvrières ne pouvaient espérer d'une grève générale que le départ de Pompidou, tout au plus, et son remplacement par un peu connu de préférence, et peut-être d'apparence « plus proche des travailleurs ». Mais c'est tout et de Gaulle ne risquait pas davantage. C'est pourquoi, pour la soi-disant « avant-garde » ouvrière, le jeu ne valait pas la chandelle.

L'éditorialiste de « L'Humanité-Dimanche » du 7 avril 1963 écrit : « ...une grève se termine généralement par un compromis, sauf quand un très vaste et puissant mouvement populaire parvient à imposer des changements politiques, c'est-à-dire une orientation nouvelle et favorable aux classes laborieuses » - sans doute une « orientation » due à la participation gouvernementale du PCF.

Son objectif étant de participer à la gestion des affaires de la bourgeoisie, le PC, via la CGT, ne pouvait que s'associer aux réformistes traditionnels de la CFTC, de FO et de la SFIO dans une commune trahison des mineurs en grève. Isolant leur lutte, la « régionalisant », ils l'ont vouée à l'échec, et si elle a même duré 35 jours, c'est bien malgré eux.

Il n'est pas étonnant de voir aujourd'hui un journal comme « Le Monde » féliciter quasiment les syndicats de l'accord intervenu avec les Charbonnages, voire rejoindre « l'Humanité-Dimanche » pour accuser un mystérieux marchand de poissons de Liévin d'être à l'origine des « troubles » qui se sont produits à Lens lors de la reprise du travail, le 5 Avril.

Ce n'est d'ailleurs pas dire que des groupements ou des partis du type de la « gauche » et des syndicats, ne puissent jamais avoir recours à la grève générale ou à des formes d'action aussi « dures » lorsqu'elles peuvent servir leurs desseins. Certes, la lutte de la classe ouvrière est une arme dont ils se servent parcimonieusement et avec précautions, mais c'est malgré tout leur arme, et ils s'en servent lorsqu'ils sont sûrs de pouvoir la canaliser, d'arrêter au moment voulu, bref en garder le contrôle. Le syndicalisme américain en offre de nombreux exemples.

Cela n'étant pas possible à l'heure actuelle, il était hors de question d'élargir le mouvement. Dans l'optique de nos réformistes, il n'aurait pas eu « d'issue politique ». Dès lors qu' ils se refusaient - et il est dans leur nature même de s'y refuser - à une contestation non plus seulement de la politique gaulliste, mais du régime bourgeois dans ensemble, ils n'avaient pas en effet « d'issue politique ». Sinon, les issues politiques ne manquaient pas. Mais il était alors nécessaire de mobiliser les travailleurs résolument contre l'État bourgeois lui-même et non seulement contre ses représentants gaullistes. C'est d'ailleurs au cours d'une telle lutte, si les travailleurs l'avaient spontanément engagée par exemple, que la bourgeoisie pouvait avoir recours, dans les circonstances actuelles, à l'aide des partis « ouvriers ». Mais en aucun cas ces derniers, même pour leur propre sauvegarde, ne seraient capables de l'engager, autrement qu'à la remorque des masses.

Et c'est bien ce qui les sépare des révolutionnaires pour lesquels la lutte ouvrière n'est pas un moyen pour se procurer des postes dans le gouvernement de la bourgeoisie, mais la lutte de la classe exploitée contre celle qui l'exploite, en vue de détruire la domination économique et politique de cette dernière.

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