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Israël

Régulièrement une certaine presse de gauche s'extasie devant les réalisations de certains pays, qualifiées de voies particulières vers le socialisme, Le dernier en date de ces pays est Cuba, mais Israël a eu la vedette longtemps. L'incompréhension totale des problèmes des jeunes États et la carence de cette gauche la poussent à découvrir le socialisme n'importe où plutôt qu'à chercher, chez elle, dans quelle direction il pourrait bien se trouver.

Dans les pays nouvellement indépendants, les syndicats semblent jouer un rôle très différent de celui de défendre les intérêts ouvriers, c'est le cas de la Histadrout en Israël. Mais cet État est indépendant depuis plus de treize ans, et le phénomène histadroutique a évolué.

Il a toujours existé un faible filet de juifs religieux qui s'écoulait vers la Palestine. A la fin du XIXe siècle un noyau de jeunes idéalistes, crée le Bilou (initiales des mots hébreux Beit Yaacov lekhou venelekha : Maison de Jacob debout et en avant) et fonde le village de Guédera. Ils font partie de la première Aliah (montée). La deuxième Aliah s'effectue entre 1902 et 1914. Elle est composée principalement de jeunes travailleurs de Russie qui vont dans les champs du Baron de Rothschild et dans les domaines de la Commission Juive Agricole (ICA.) du Baron Hirsch.

Ces têtes blasonnées donnaient de l'argent beaucoup plus pour éloigner le problème juif des pays occidentaux où ils vivaient que par philanthropie. La troisième Aliah (1919-1925) est de loin la plus intéressante par l'influence exercée par Beer Borohov grâce à son livre « Classes et Nations » et celle également considérable du philosophe juif Aron David Gordon. Le premier veut montrer en s'appuyant sur le marxisme la nécessité de l'établissement d'un prolétariat agricole et industriel en Israël pour normaliser la structure économique du peuple juif, le second voit dans le travail manuel la source d'un renouveau spirituel : cette troisième Aliah subit l'empreinte de la révolution russe. La fondation du parti sioniste socialiste Poalé Sion (ouvrier sioniste) précède de peu celle de la Histadrout dont le but à l'époque, est l'organisation et la supervision des fermes collectives, des coopératives industrielles, des activités culturelles et défensives (Hagana) de la collectivité. A cette époque (1924), on assiste à la création du Fonds National Juif (KKL) chargé d'acheter des terres avec l'argent des juifs du monde entier, et au développement de la collectivisation agricole (kibbouts, mochav). L'industrie en est dans son ensemble au stade artisanal, La petite bourgeoisie polonaise, influencée par la social-démocratie, va fournir le contingent principal de la quatrième Aliah (1925-1928). En 1930, la section palestinienne du Poalé Sion est créée et prend le nom de MAPAI (mifleget poalé israeli - parti ouvrier juif). Il adhère à la Deuxième Internationale et en dépit d'une phraséologie socialisante assez vague, il est bientôt suivi par la majorité de la population. Il va conquérir tous les postes clés de l'Agence Juive et de la Histadrout. A cette époque on trouve en Palestine toutes les formes possibles de socialisme : utopique, religieux, scientifique. Jusqu'ici toutes les luttes politiques se sont déroulées dans le cadre de l'Agence Juive, donc sans danger pour le MAPAI qui en détient l'appareil. Les difficultés vont surgir au début de la Deuxième Guerre mondiale. La Fédération Sioniste Mondiale décida que durant la guerre rien ne sera fait qui puisse affaiblir l'Angleterre en lutte contre Hitler : cela signifiait que la revendication de l'indépendance de la Palestine était mise au vestiaire. L'Agence Juive enverra d'ailleurs une brigade juive pour combattre dans l'armée britannique au Moyen Orient et en Italie. Mais, bientôt, se regroupent hors de l'Agence Juive tous les éléments hostiles à la Grande-Bretagne et qui se réclament du leader sioniste Jabotinsky, mais qui vont se diviser en deux organisations :

- L'Irgoun Tzai (Organisation Nationaliste Militaire), ultra nationaliste entachée de symbolisme biblique et attachée aux principes religieux (les femmes ne sont pas admises). Elle considère la Grande-Bretagne comme l'ennemi immédiat (après l'Allemagne). Elle pratique un terrorisme aveugle contre Arabes et Anglais.

- et les Combattants de la Liberté (groupe Stern). Ils considèrent que l'ennemi N° 1 reste la Grande-Bretagne et que l'affaiblissement de celle-ci sera bénéfique à tous les peuples qu'elle opprime. Ils commettent de nombreux attentats contre les Anglais mais ils font toujours une distinction très nette entre le peuple et les féodaux arabes. Au début de la guerre leur chef I. Stern sera abattu par les Anglais et leur État-Major arrêté et torturé.

La guerre finie, l'Agence Juive se trouve très liée à la Grande-Bretagne, son aile gauche aux travaillistes de Bevin, son aile droite aux conservateurs et cela malgré le fait que les Britanniques coulent des bateaux de déportés. Devant cette inaction le Stern et l'Irgoun passent à l'attaque des Anglais. Le 1er est fort de 5 000 hommes, le 2er est fort de 5 000 hommes, le 2e de 15 000. Le Palmach (groupe de choc de la Hagana) menaçant de passer au Stern, Ben Gourion sera poussé à agir avec la Hagana (80 000 hommes), mais il essayera de se débarrasser de ces adversaires gênants en coulant un bateau de l'Irgoun (l'Altaléma) pour la provoquer et l'anéantir (la provocation échouera de peu), et en faisant arrêter les membres du Stern, coupables de « l'assassinat monstrueux » du comte Bernadotte de l'ONU. Il poussera le cynisme jusqu'à faire arrêter par la même occasion le maire Arabe d'Abou Goche, qui, avec l'aide du Stern, avait lutté contre les féodaux du grand Muphti de Jérusalem. A la fin de la guerre le Palmach est dissous et incorporé à l'armée régulière,

A la proclamation de l'indépendance, la Histadrout prend la situation en main. Elle veut prévoir de nouveaux emplois et surtout remédier au manque de capitaux. Elle fonde la première compagnie de transports aériens, le premier service d'approvisionnement d'eau. Elle s'occupe de tous les investissements non rentables ; électricité, prospections, recherches scientifiques. C'est cette importance de la Histadrout dans l'économie qui provoquera chez tant d'hommes de gauche l'incompréhension la plus complète de la nature de l'État israélien, considéré tantôt comme un compromis entre les classes, tantôt à mi-chemin entre une démocratie bourgeoise et une démocratie populaire (Abd el Kader : « le conflit judéo-arabe » ).

Une fois les frais d'installation amortis par la Histadrout et la preuve ayant été faite de la rentabilité des affaires, le capitalisme étranger va investir par le biais de l'État et des entreprises privées. L'aide américaine s'élèvera entre 1950 et 1958 à 325 millions de dollars. Peu à peu la Histadrout va céder des parts à l'État dans les entreprises qu'elle contrôle : Cie de navigation Zim, Cie d'électricité : la Palestine Electric Corporation et la Jerusalem Electric Corporation.

A côté du budget ordinaire de d'État prend place le budget de développement alimenté par les réparations allemandes (515 millions de dollars entre 1950 et 1959), les dons et les surplus américains, les dons de l'État d'Israël effectués par les ministères compétents à différents travaux (515 millions de dollars depuis 1951),

Le capitalisme de type colonial qu'avait connu la Palestine sous Mandat britannique a laissé peu à peu place, sous la bénédiction des gouvernements « socialistes », à des secteurs capitalistes modernes, dynamiques, qui ne pouvaient manquer de faire leur jonction avec les impérialistes et de développer leurs propres tendances impérialistes. Tel est le sens qu'il faut donner aux invitations de délégations syndicales d'Afrique et d'Asie et à l'envoi de missions économiques dans ces pays. Le secteur privé a pris, par suite, une extension considérable : en 1959, on comptait 27 banques ayant en dépôt 270 millions de dollars, dont la banque de la Poste spécialisée dans les opérations de clearing, d'épargne et de comptes postaux (dépôt 12 millions de dollars). Des lois furent votées pour favoriser l'entreprise privée et faciliter l'investissement de capitaux étrangers.

Malgré l'extension considérable du secteur privé, l'industrie histadroutique conserve une place importante dans l'économie : elle contrôle la Hevrat Hovdim qui s'occupe de 70 % de l'économie fermière, emploie 3 500 travailleurs, a un chiffre d'affaires de 115 millions de dollars - le Hamackir Hamarkazi coopérative de vente en gros (130 millions de dollars, le Solel Boneh, constructions et matériaux de constructions (20 000 ouvriers, 130 millions de dollars), le Koor, société industrielle (7 500 ouvriers, 17 millions de dollars, la Société Portuaire (3 200 ouvriers, 17 millions de dollars). Les bénéfices des usines de la Histadrout ne sont jamais distribués mais réinvestis.

On peut se faire une idée du dynamisme de l'économie israélienne en sachant que l'indice de développement agricole est passé de 100 en 1949 à 241 en 1959, l'indice industriel de 100 à 187,5. Pendant cette période le nombre d'ouvriers est passé de 73 000 à 162 000. La production industrielle a augmenté de 1958 à 1959 de 16 % et la productivité de 6 %.

Actuellement 25 % des ouvriers travaillent pour la Histadrout, 26 % pour, l'État, et 49 % dans le secteur privé ; 20 % de l'industrie appartient à l'État, 15 % à la Histadrout.

En tant que syndicat ouvrier, la Histadrout a obtenu pour les travailleurs un certain nombre « d'avantages » sociaux. En 1951 la semaine de 48 h, 12 jours minimum de congés payés, interdiction du travail en dessous de 14 ans ; interdiction du travail de nuit pour les femmes (et douze semaines de congés payés), 75 % du salaire en cas d'arrêt-maternité, 75 % du salaire en cas d'arrêt-accident (avec maximum de vingt-six semaines), 75 % du salaire en cas d'infirmité, assurance médiale gratuite (Koupah Krolim - 920 dispensaires, 15 hôpitaux ; 15 maisons de repos, 198 centres mère-enfant), 90 % des salariés sous conventions collectives. Elle coopère aux comités de productivité té avec le patronat, elle est à l'origine d'un système de primes pour les initiatives aidant à la production, et s'oppose aux augmentations de salaires sans augmentation de la production.

Cette évolution économique devait entraîner fatalement une évolution politique et sociale de la société israélienne. Jusqu'à l'année 1961, la vie politique israélienne était considérée comme un exemple de stabilité. L'affaire Lavon a fait perdre leurs illusions à beaucoup. Pinhas Lavon était, jusqu'en avril 1961, secrétaire de la Histadrout. Petit bourgeois d'origine, il l'était resté. Monsieur Lavon était de métier le bureaucrate N°1. Dans l'année 1954 où il fut ministre de la Défense il fut activiste, c'est-à-dire qu'il professait des opinions dures à l'égard des États arabes, il était peut-être secrètement expansionniste. Il devint par la suite secrétaire général de la Histadrout. Il passait ainsi de ministre à chef de syndicat. Ben Gourion était le chef de la Histadrout, il est aujourd'hui Président du Conseil des Ministres. L'un allait, d'une manière bien indirecte, bien déformée, reproduire la pression des aspirations des masses, le second était chef d'un gouvernement capitaliste composé de ministres « socialistes » ? Lavon fut destitué en 1954 de son ministère de la Défense et accusé d'avoir couvert un plan de sabotage de bâtiments américains en Égypte, ayant pour but de tendre les relations diplomatiques entre Nasser et les USA Au cours d'un procès de droit commun, fin 1960, il fut révélé que Lavon n'était nullement responsable et qu'il avait été jugé sur la foi de faux documents fabriqués par l'armée. On cria à « second Dreyfus ». Il projeta alors de se réhabiliter et, secrétaire de la Histadrout, il utilisa l'appareil de celle-ci pour lancer une campagne contre la bureaucratie étatique en général, pour l'indépendance et le maintien du caractère de classe de la Histadrout. Il n'y réussit pas, son parti, le MAPAI, lui demanda de démissionner de son dernier poste dirigeant. Il semble avoir présentement terminé sa carrière politique. Cet échec est évidemment personnel avant tout, mais il n'en marque pas moins une date capitale dans l'histoire du mouvement ouvrier israélien.

La bureaucratie histadroutique-lavoniste a permis la formation de l'État bourgeois. Le responsable N° 1 de l'offensive des forces anti-ouvrière c'est Lavon, c'est-à-dire l'appareil histadroutique. Il a jugulé la classe ouvrière, et maintenant que la bureaucratie ouvrière a frustré les travailleurs de leurs droits, qu'elle les a trompés sciemment, effrontément, qu'elle a remis l'État entre les mains de la bourgeoisie, maintenant que la bourgeoisie peut se passer de valets, elle prend l'offensive.

Tôt ou tard un conflit devait naître entre la bureaucratie syndicale qui, aussi traître soit-elle, ne peut avoir d'existence sociale que si le mouvement ouvrier est indépendant de l'État et l'appareil étatique, (dont les hommes sont très souvent issus de cadres syndicaux où ils ont reçu leur formation professionnelle et technique). La Histadrout, ce corps monstrueux, parce que de nos jours il n'a guère son semblable, ne pourrait exister dans un État capitaliste avancé. Elle est l'expression institutionnalisée d'un rapport de forces dépassé entre les couches et les classes sociales d'Israël.

Le mouvement ouvrier a servi de creuset à une accumulation capitaliste primitive. La Histadrout ne peut plus montrer aux masses que son glorieux passé et sa splendeur révolue. Le résultat est clair : pas de « socialisme » de rêve mais la réalité capitaliste la plus brutale qui permet l'existence de 25,3 % de gens en sous consommation, qui retire à la Histadrout ou à l'État les ex-entreprises pionnières (c'est-à-dire qui travaillaient à perte et sont désormais rentables). Le rêve d'un socialisme israélien à formes particulières fondé sur le kibbouts et le mochav (village collectiviste) qui ne connaîtrait pas les affres du capitalisme, cela mêlé d'une phraséologie marxisante n'était que la projection dans l'arène politique des secrets désirs d'égalitarisation de la propriété privée de la petite bourgeoisie. Une coopérative ouvrière israélienne n'est, comme bien d'autres, qu'une forme petite-bourgeoise de production au sein du mouvement ouvrier et qui obéit aux lois du marché capitaliste.

La bourgeoisie israélienne se sent désormais capable de voler de ses propres ailes et de ne plus agir par l'intermédiaire du parti ouvrier réformiste. Un gouvernement de partis ouvriers réformistes signifie que la bourgeoisie est faible et qu'elle doit masquer son pouvoir réel parce qu'elle le sait à la merci d'une offensive ouvrière. Dès que les classes dominantes peuvent se passer des réformistes et autres bureaucrates ouvriers, elles les rejettent. Tel est le sens de la formation d'un grand parti libéral en 1960, né de la fusion de petites fractions politiques insignifiantes de la bourgeoisie (sionistes généraux et progressistes) mais qui, avec 17 sièges obtenus aux élections d'Août 1960, devint le second parti d'Israël et est actuellement au gouvernement avec le MAPAI.

La période réactionnaire actuelle a grandement désarticulé la classe ouvrière israélienne, mais elle vit. Témoins en sont les comités d'action surgis dans nombre de branches de l'activité économique et qui, sur les lieux de travail, rassemblent l'ensemble des ouvriers contre la Histadrout et ses offices locaux et se fédèrent progressivement. Témoins aussi ces grèves sauvages qui éclatent un peu partout, désespérées car elles ont contre elles le front uni du patronat et du syndicat, mais qui font avancer la conscience d'un prolétariat tout neuf. Facilement chauvin, bien que venu des quatre coins du monde, ses mots d'ordre sont vagues. Mais l'exemple des ouvriers du bâtiment l'été dernier qui décidèrent de ne plus faire « QUE 7 H PAR JOUR » et de quitter le travail au bout de la 7e heure, rappelle les formes de lutte de la CGT de la belle époque,

La maturation du prolétariat israélien est en marche. Les formes et les étapes qu'elle franchira nous sont inconnues, mais formulons deux souhaits : a) que se forme là-bas un parti révolutionnaire, b) que les « socialistes » qui ont le courage d'écrire des inepties telles que : « Il est très difficile de juger Israël avec le sens critique dont disposent les socialistes européens trop imprégnés de culture bourgeoise » (Ady BRILLE dans Tribune du Socialisme - PSU du 27/I/62) ne se mêlent plus de politique.

Annexe

Les partis de gauche en Israël

A part le MAPAI qui détient plus de 40 % des sièges au parlement et plus de 50 % à la Histadrout et qui, de ce fait, contrôle tout depuis la coopérative jusqu'au plus grand club sportif, il existe deux autres formations se réclamant du socialisme

- LeMAPAM (mifléget poalé méouhédet - parti ouvrier unifié) né de la fusion en 1948 du Mouvement de Jeunesse Hachomer Hatzair et d'un groupe de gauche venu du MAPAI. Se réclamant du marxisme léninisme, il a une phraséologie très stalinienne. Se situant à gauche du MAPAI, il a fait partie des différents gouvernements socialistes. Parti électoral, il voulait assurer un profit décent au capital privé, ne s'opposait pas aux primes de rendement, luttait contre le mauvais capitalisme spéculatif, affirmait l'intérêt de la classe ouvrière à la rentabilité de l'économie, aspirait à plus de démocratie et à une meilleure compréhension des socialistes au sein de la Histadrout ; libéral envers les Arabes ; les pablistes y sont entrés ; neuf sièges au parlement (knesset), 14 % des voix à la Histadrout.

- L'Adhout Avoda (unité du travail) ancien groupe MAPAI qui a quitté le MAPAM en 1954 (aussi appelé poalé sion smol - ouvrier sioniste de gauche), le MAPAI étant le poalé sion yémin (droite) ; 17 % des voix à la Histadrout, 8 sièges à la Knesset (sur 120) il oscille sans cesse entre le MAPAI et le MAPAM ; s'est distingué par son activisme anti-arabe. Comme le MAPAI a des sections spéciales pour les Arabes (seul le MAPAM les reçoit en tant que membres au même titre que les juifs).

- Le Maki (mifléget Kommunisti israëli - parti communiste israélien). Sans influence parmi la population juive. En effet, comme tous les PC, était nationaliste et a été forcé de choisir entre le nationalisme juif et le nationalisme arabe : a choisi les Arabes d'après la tactique soviétique au Moyen-Orient. A fait quelques actions positives pour défendre les Arabes israéliens (5 sièges à. la Knesset, 2 % à la Histadrout).

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