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Frey , Rouve et Moch

La police, instrument de répression et du maintien de l'ordre bourgeois, fraction importante de l'appareil d'État, serait actuellement « en crise ». A priori cela peut surprendre, bien que les souvenirs de la « Libération » et de la manifestation devant l'Assemblée Nationale (1958) ne soient pas si loin dans les mémoires. En. effet, de même que l'Armée est au service du « pays », c'est à dire du gouvernement officiel, légal, du jour, la police est supposée constituer un mécanisme insensible aux variations politiques. Mais, dans toutes les démocraties bourgeoises l'Armée n'est jamais apparue comme un bloc monolithique. Et depuis trois ans en France, l'Armée est devenue un facteur politique déterminant. Et la police suit le même chemin. La police algéroise a pris figure de l'OAS En métropole, à côté des infiltrations OAS l'affaire Rouve montre un syndicat de policiers exprimant le désir de ne pas s'aligner sur son gouvernement et son ministre de l'Intérieur.

Comment ce qui devrait être un appareil automatique de l'État, puisqu'il en est une des parties constituantes, est-il secoué de la sorte ? C'est que la police est formée d'individus qui, évidemment, ont choisi d'entrer dans les forces de répression mais qui souvent n'ont pas une vision consciente du rôle qu'ils vont assumer. Ils s' engagent ainsi dans la Police parce qu'il n'y a pas de tradition de classe dans leur milieu et qu'en conséquence ils y ont en général simplement vu un emploi relativement stable, bien rémunéré et « honorable ». Ensuite, dans l'exercice de la fonction, il y a la série de lâchetés vis à vis do soi-même et d'autrui qui fait qu'on accepte de jouer un rôle que l'on n'ose refuser.Ces gens ont sur les événements politiques leur « point de vue » comme tout le monde, mais là, comme à l'Armée rares sont ceux qui continuent d'afficher leurs idées devant la pression exercée pour les transformer en automates n'exprimant plus que les opinions officielles. Cependant, si le moule de l'État arrive à dépersonnaliser Police et Armée, elles restent formées d'hommes vivants. Et dans une situation politique où la lutte de classe grandit, elle force leur neutralisme, elle fait que ces hommes arrivent parfois à exprimer leurs sentiments.

C'est ainsi qu'en Algérie où l'OAS a sa base de masse et où elle est réellement puissante, la police algéroise s'identifie à l'OAS au point que les policiers envoyés de métropole pour lutter contre l'OAS sont obligés de se cacher de la police comme s'ils étaient eux, les gens recherchés. En métropole, l'affaire Rouve montre par contre des policiers se placer de l'autre côté. Mais il est significatif que ce soit la manifestation du 19 décembre qui ait fait surgir cette affaire. La, Police comprend des gens qui ne veulent pas plus que beaucoup d'autres revoir le fascisme avec tout son cortège de misère et de régression, Mais ce n'est pas sur eux qu'il faut compter pour prendre le drapeau de la lutte contre le fascisme. Pour que se détache une partie de la Police ou de l'Armée, face au mouvement fasciste, il faut qu'un mouvement de gauche aussi décidé apparaisse sur la scène politique.

M. Jules Moch a profité de l'affaire Rouve pour se faire interviewer par son ami politique Claude Fuzier dans « Démocratie 62 » du 4 janvier, et faire croire aux lecteurs à une police « républicaine », aux problèmes de « l'ordre républicain » tels qu'ils se sont posés à un ministre « républicain'' de l'Intérieur pendant deux ans et trois mois. (La lecture en est encore plus savoureuse si l'on se rappelle comment ce ministre s'illustra en novembre 1948 dans la répression de la grève des mineurs). Il disserte sur « la conduite parfaite des CRS en 1947, 1948 et 1958 », sur « la première qualité nécessaire aux policiers qui est de rester de sang froid, du n'utiliser leurs moyens - matraquages et grenades lacrymogènes - que pour se dégager, s'ils ne peuvent faire autrement, et surtout ne jamais « cogner » sur des isolés, des hommes à terre, des femmes, des prisonniers. » Comme c'est doux et gentil un ministre de l'Intérieur qui n'est pas en fonction.

En province, le bruit a couru que la police parisienne n'avait pas marché le 19 décembre contre les manifestants. L'écho qu'a rencontré ce faux bruit est à la mesure des illusions qui règnent à propos de la police « gardienne de l'ordre républicain ».

Si un syndicat a pu manifester ouvertement son désir de ne pas avoir à assurer l'ordre vis à vis de manifestants protestant contre l'OAS, cela veut-il dire que l'on peut compter sur la police pour aider à cette lutte ? Certainement non. Trotsky écrivait en 1932 à propos des agents de police allemands recrutés en grande partie parmi ouvriers sociaux-démocrates : « l'ouvrier qui devient policier au service de l'État capitaliste est un policier bourgeois et non ouvrier. Pendant ces dernières années ces policiers ont eu beaucoup plus à lutter contre les ouvriers révolutionnaires que contre les étudiants nationaux-socialistes. Une telle école n'est pas sans laisser de traces ». Alors, que dire des agents de police français dont le recrutement n'a un général pas cette origine et qui sont entraînés depuis plusieurs années à la répression contre les Nord-Africains y compris aux tortures dans les commissariats de quartier. « Mais le plus important, ajoute L.Trotsky c'est que chaque policier sait que les gouvernements changent, la police reste ».

Et quand les affaires vont mal, il est certain que le policier pense surtout à sa situation en tant que fonctionnaire, au nouveau patron possible, et qu'il prend surtout des assurances auprès de qui lui apparaît comme un nouveau maître possible.

A l'approche de la « Libération », les, policiers se sentirent devenir « résistants » Plus l'OAS se développera dans le pays et plus les policiers seront les premiers à courber la tête et à se mettre à son service,

Contre le fascisme, le seul moyen de rallier une partie des forces de répression que ce soit la police ou l'armée, c'est pour la classe ouvrière de mener une lutte décidée et surtout efficace.

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