Faux alibis pour vrais gangsters30/10/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Faux alibis pour vrais gangsters

Une fois de plus, de Gaulle a eu le « oui » qu' il désirait. Ce « oui » représente une fraction des suffrages moins importante qu'aux référendums précédents, mais de Gaulle était cette fois seul contre tous les partis, à l'exception de l'UNR Et, de toutes façons, le « oui » a remporté plus de 50 % de suffrages de plus que le « non ». Il est évident aussi, et Roger Frey, ministre de l'Intérieur, n'a pas manqué de le noter dans sa conférence du presse, qu'alors qu'aux dernières élections, l'ensemble des Partis préconisant le « non » à ce référendum avait totalisé près de dix-sept millions de voix, il n'y a eu que huit millions de « non ». C'est donc, a dit en substance Roger Frey qu'une grande partie des électeurs de ces partis ne les ont pas suivis contre de Gaulle. Et de Gaulle ne manquera pas d'en tirer argument si la Chambre qui sera élue fin novembre, s'oppose à lui. Il dira, avec quelque semblant de raison, que le corps électoral français représente un éventail très large d'opinions, mais qu'indépendamment de leurs idées politiques, dans les questions graves, c'est à lui, de Gaulle, que les Français font confiance.

C'était là, l'enjeu du référendum et son rôle. C'est en quoi il était, encore une fois, un plébiscite.

La « Gauche » toute entière, n'osant pas crier victoire, manipule en tous sens le fait que le nombre des « oui » a diminué. « Le régime issu de la crise du 13 mai a reçu un coup irréparable. C'est pour lui le commencement de la fin ... » (PSU). « Le fait dominant qui se dégage... c'est le recul très important que de Gaulle enregistre, au point de ne plus obtenir la majorité des inscrits. » (Waldeck-Rochet du PCF). « Le général de Gaulle n'a pas recueilli les suffrages de la majorité absolue des Français ... » (Cazelles - SFIO).

Tout cela est vrai. Mais tous ces gens l'avaient-ils dit en ces termes avant le référendum à leurs électeurs ? N'avaient-ils donc pas prévu la victoire des « oui » ? Avaient-ils dit que si de Gaulle n'avait pas la majorité absolue des électeurs inscrits, et non seulement des votants, ils considéreraient cela comme une défaite pour lui ? Bien sûr que non. Parce que s'ils l'avaient dit, cela serait revenu à proclamer à l'avance que la lettre du référendum, la majorité LÉGALE qui pouvait s'en dégager n'avait, pour eux, pas de valeur. Il aurait fallu alors dire ce qu'ils comptaient faire si de Gaulle voulait, lui, s'en tenir à la lettre. Et cela, bien entendu, ni le PSU ni le ni PCF ni la SFIO n'ont la moindre velléité de le dire ou de le faire. Il n'est pas question pour eux de sortir de la lettre de la loi, pour engager les masses dans les seules voies efficaces à l'heure où le pouvoir viole sans phrases et selon son bon plaisir, aussi bien les lois que la Constitution et ne reconnaît que sa force, celle que lui donne, selon le moment, sa radio et sa télévision, les triques de ses flics, les mitraillettes de ses paras, ou le plastic et le couteau des tueurs de l'OAS Maintenant, les partis de gauche disent que de Gaulle a essuyé une défaite, et qu'il devrait s'en aller ou « tenir compte » de l'opposition d'une grande partie du pays. Or, de Gaulle ne s'en va pas. Quant à tenir compte de l'opinion du pays, nul doute qu'il tiendra compte de la sienne propre, en disant que c'est celle du pays. Alors que faire suivant ces messieurs du PSU, du PCF et de la SFIO ? Voter pour eux aux prochaines élections ? Mais puisque la Chambre est bâillonnée et impuissante, qu'est-ce que cela changera ? Espérer que de Gaulle voudra bien laisser cette Chambre s'exprimer ? Pourquoi plus que la précédente ? Et que faire alors ? Attendre que de Gaulle prenne l'initiative d'un nouveau référendum pour voter tous massivement « non » ? C'est risible. Si de Gaulle prend l'initiative d'un référendum de cette sorte, c'est parce qu'il sait bien à chaque fois, comme tous les hommes politiques du pays, qu'ils soient de droite ou de gauche, qu'il obtiendra la majorité.

La « gauche » s'est laissé enfermer dans le cadre du plébiscite. Plus exactement elle s'y est enfermée volontairement car elle n'est pas capable, elle ne veut pas sortir des cadres, pas même légaux, fixés par de Gaulle. En sortir, cela signifierait engager la lutte contre la domination de la bourgeoisie. Et le PSU, le PCF et la S.F.I.O ne veulent qu'exercer cette domination à la place de de Gaulle. En aucun cas, ils ne prendront la tête du prolétariat pour mener l'assaut contre l'État bourgeois.

En votant « non » ce n'est pas une opposition fondamentale au régime gaulliste qu'ils voulaient manifester. Ils se cherchaient simplement un alibi : ce n'est pas leur faute si la majorité des électeurs a voté « oui ». Dans les rangs du Parti Communiste Français, on parle déjà, d'un air méprisant, de « tous ceux qui n'en ont pas assez bavé », de « tous ceux qui protestent tout le temps contre de Gaulle, mais finissent par voter « oui » ou de « tous ceux qui ne comprendront jamais. »

C'est sans doute dans leur contribution à l'enracinement dans les masses de préjugés électoraux et d'illusions, que réside la trahison principale des partis dits ouvriers.

Sont électeurs tous les citoyens français âgés de plus de vingt-et-un ans. Ils peuvent voter qu'ils soient pleutres ou téméraires, résignés ou combatifs, invalides ou entraînés physiquement. La jeunesse de dix-sept à vingt ans, aile marchante de la gauche, ne vote pas.

Par exemple, toute cette gauche justement attribue aux quarante ou cinquante mille manifestants qui sont descendus dans la rue en décembre 1961 et en février 1162, ou aux millions d'hommes et de femmes qui vinrent aux obsèques des huit victimes de la police, un rôle déterminant dans la fin du conflit algérien. Or, dans Paris et la Seine, il y a près de trois millions trois cent mille électeurs. Si l'on ajoute la Seine-et-Oise, cela en fait plus de quatre millions cinq cent mille. Et ce qui est le plus déterminant, les deux millions d'électeurs qui ont voté pour de Gaulle ou le million d'électeurs ou de non-électeurs qui a montré qu'il était prêt à descendre dans la rue ? Quels sont ceux qui comptent : les millions et demi qui votent ou ceux qui sont capables de manifester ? Accepter le référendum, c'est accepter que ce soient les premiers qui comptent plus que les seconds.

Il est flagrant que ce sont ceux qui sont prêts à se battre qui sont déterminants. C'est d'ailleurs pourquoi de Gaulle est venu au pouvoir grâce aux émeutiers d'Alger et qu'il ne s'y maintient que grâce à la crainte qu'inspirent au pays les tueurs de l'OAS, tout le monde étant bien persuadé que ce n'est pas la gauche impuissante et stérile qui serait capable de les combattre et de les vaincre.

Or, si les partis de la gauche ne sont pas capables de se battre, leurs troupes ont montré qu'elles l'étaient, lorsqu'on le leur demandait. Et tout le jeu électoral, tout le jeu des référendums n'a pour but que cela faire s'exprimer ces troupes de la façon la plus « honnête », la moins dangereuse qui soit, pour de Gaulle et la bourgeoisie : dans les isoloirs où un travailleur prêt à se battre n'a pas plus de pouvoir qu'un président de conseil d'administration à la retraite, et où un jeune prêt à donner sa vie pour ses idées n'a pas place.

Et c'est volontairement que PSU, PCF et SFIO dirigent les forces militantes et combattantes de la gauche vers ces pièges de la bourgeoisie que sont les urnes du référendum.

Cependant, malgré les préjugés électoraux que ces partis ont réussi à enraciner dans les masses la classe ouvrière a prouvé qu'elle ne se sent pas liée à ces votes, et demain en dépit des alliés hypocrites de la bourgeoisie que sont les partis dits de gauche, la jeunesse révolutionnaire et la classe ouvrière se retrouveront dans la rue criant aux partis traîtres : « De Gaulle ne s'en va pas, il ne tient compte de vous à l'Assemblée, alors que faites-vous ? » Et là, malgré tous les « alibis » possibles, ces partis montreront leur véritable visage.

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