Du producteur au consommateur09/01/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Du producteur au consommateur

Périodiquement, la presse nous fait part de « crises » touchant les producteurs d'artichauts, de haricots verts, de choux-fleurs, de melons ou de tomates. En général, ces crises éclatent parce que les « intermédiaires » n'offrent pas des prix suffisants aux paysans producteurs, le plus souvent en pleine saison, alors que les consommateurs des grandes villes ne voient jamais baisser les produits en question dans la même mesure.

Dans ces circonstances, le gouvernement, les gouvernements plus exactement, car le problème est ancien, parlent de réformer la « distribution » c'est-à-dire le commerce et parfois les producteurs le réforment sans phrases en venant vendre eux-mêmes dans les grandes villes leurs fruits ou légumes directement aux consommateurs.

On l'a vu de nombreuses fois depuis 1952 où pour la première fois des camions normands venaient nous offrir sur les marchés parisiens des pommes à des prix défiant, et pour cause, toute concurrence.

Il semble donc qu'en parlant de réformer la distribution en « diminuant le nombre d'intermédiaires », l'État soit dans le vrai.

Or, il est remarquable que les paysans qui, en période de crise, savent fort bien trouver directement le consommateur, en temps ordinaire, c'est-à-dire 50 semaines sur 52, passent par la « distribution », c'est-à-dire par le commerce petit ou grand.

Il est remarquable aussi que lorsqu'on parle de réformer la distribution, (le commerce), on parle surtout des commerces de l'alimentation qui sont liés en majeure partie à la production agricole et non à la production industrielle. Lorsqu'il s'agit d'une production agricole semi ou complètement industrialisée : lait, sucre, farine, il n'est jamais question de réformes, tout au plus de subventions ! On ne peut comprendre cette question sans avoir ces deux faits constamment à l'esprit.

Pourquoi le paysan passe-t-il par le circuit de distribution ? C'est que la valeur de son bétail ou de ses légumes n'est réalisée que lorsque ceux-ci sont vendus et se trouvent sous forme de beefsteak ou de paquets d'ail dans le cabas de la ménagère. Ainsi entre la production des produits agricoles ou industriels et le niveau où ils se réalisent en tant que marchandises, le capital commercial intervient, le travail proprement dit étant effectué soit par des salariés, soit par le commerçant lui-même. Prenons par exemple, le problème de la viande. Le boef doit être amené à l'abattoir, de là réparti dans les différents points de vente, les boucheries, là découpé en multiples parties, beefsteak, rumsteck... en viande hachée. Le producteur ne peut tout faire et ne peut attendre que son boef soit vendu morceau par morceau pour en recouvrer le prix et continuer son élevage. Ainsi doit-il trouver un capital prêt à lui payer son boef avant que celui-ci ne soit au niveau de la consommation afin qu'il puisse renouveler son cheptel et recommencer le cycle. Ce rôle est d'ailleurs le rôle du capital commercial en général auprès du capital investi dans la production. Il faut aux producteurs l'avance du prix de production, ce qui permet de poursuivre la production d'une façon ininterrompue. Il est donc indispensable dans le système capitaliste.

La part de bénéfices qui revient à ces capitaux sera constituée par une part de la plus-value créée à la production. Ceci, le capital commercial le prendra en principe par le libre jeu des lois économiques. Mais de même que le salaire dépend aussi bien du marché que de la combativité des travailleurs, la part de valeur qui ira au producteur et, à l'intérieur du capital commercial, aux grands et aux petits commerçants, ne sera pas toujours proportionnelle au capital investi.

Nous avons déjà dit plus haut que le circuit de distribution que l'on parle de réformer touche celui des produite non industrialisés. En effet, on n'en entend pas parler dans les secteurs industriels, même agricoles, comme la betterave sucrière. C'est que là, les bénéfices sont tels que le capital commercial se voit attribuer des profits importants et qu'en conséquence le capital financier ne fait pas de difficultés à investir dans ces branches.

Pour la production agricole non industrialisée, il n'en est pas de même : le capital qui s'investit là et non dans les secteurs industriels ne s'y investit que s'il y trouve un profit sensiblement égal à celui des autres secteurs de l'activité économique. Il le fait en imposant aux paysans producteurs ses prix. Et à ce moment là, pour le petit paysan, c'est soit son travail qui se trouve impayé, soit le profit de son capital qui est diminué,

En ce sens les petits paysans sont-ils exploités par le capital concentré qu'il soit commercial ou financier (sans compter le loyer de la terre quand ils ne sont pas propriétaires.

Dans le rôle assumé par le circuit commercial, il est des tâches de « détail » au niveau de la vente qui ont été assurées dans le passé, et le sont encore en général par des petits commerçants car il s'agit de petites quantités de marchandises transportées

et à manipuler dans des points très épars. Dans ces cas là un important travail de manutention et de finition est nécessaire. Le capitaliste qui investissait là devait ou payer un salarié pour faire le travail nécessaire au faire le travail lui-même. Ce travail ne permettant pas les bénéfices équivalents à ceux tirés dans l'industrie ou dans les entreprises concentrées, le capital financier se gardait bien d'intervenir à ce niveau et seuls les petits capitaux qui ne trouvaient pas à s'investir ailleurs ont assuré ces tâches. Ce faisant il fallait que les possédants de ces petits capitaux assurent eux-mêmes le travail de la vente et par là acceptent ou que leur capital ne leur rapporte pas le profit moyen, ou que leur travail ne soit pas rémunéré, ou que les deux soient un peu diminués.

Il y a longtemps qu'est posé le problème de l'industrialisation du débit de la viande. Elle ne s'est jamais réalisée car dans l'état actuel de l'économie, la préparation est réalisée à prix réduits par les bouchers. Et les capitaux qui devraient s'investir dans des chaînes de production comme celles de Chicago ne sauraient être rentables aux prix actuels de la viande et entraîneraient immanquablement des augmentations de prix.

Depuis septembre 1960, on a assisté à la création de groupes économiques visant à la formation exclusive de « supermarchés » qui prétendent apporter une solution à la distribution, point faible de l'économie : les organismes officiels et officieux s'occupant des questions économiques faisant retomber la faiblesse du pouvoir d'achat de la population sur le circuit de distribution « pléthorique » et « suranné ». Or, l'apparition de ces super-marchés ne va probablement pas faire baisser les prix - au contraire - car si différents groupes financiers se décident à investir dans des installations commerciales, que leurs bénéfices vont pouvoir être suffisants. En effet, grâce à l'existence villes concentrées constituant des points de vente importants, les super-marchés peuvent avoir une clientèle suffisante pour assurer un débit suffisant, en supprimant une partie du travail qui revenait au commerçant (le libre-service fait travailler le client) le travail d'empaquetage et de détail étant fait industriellement. La création de ces supermarchés ne verra pas la disparition du petit commerce qui assurera encore la tâche de détail que le grand commerce ne peut assurer partout. D'autre part, financièrement, le petit commerce restera un volant important pour le grand capital qui, en temps de crise, a le temps de se modifier alors que le petit commerçant, touché le premier, fera faillite le premier.

Les gouvernements, l'État, dressent les consommateurs contre les petits commerçants et les petits paysans en les rendant responsables de la cherté des prix et de la faiblesse de leur pouvoir d'achat. Mais c'est détourner l'attention des consommateurs des problèmes réels. L'état fait pression sur les prix de consommation en s'attaquant aux petits producteurs car, tout comme il a bloqué les prix des loyers, entraînant la crise que l'on connaît, pour diminuer la valeur des objets de consommation des travailleurs afin d'éviter des revendications, il fait pression sur le petit commerce pour essayer de lui faire diminuer sa part du revenu social afin de permettre de super-bénéfices au capital industriel et financier.

Si le système de distribution est suranné, à notre époque de grande production, il est cependant très adapté au profit du capital financier et seule une économie socialiste qui ne produira plus pour le profit pourra industrialiser l'agriculture et rationaliser ce secteur.

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Société de « libre-service » existant déjà avant septembre 1960 :

- les établissements du Casino (Quichard-Perrachon) - le Cercle Bleu

- les établissements julien damoy - monoprix

- les magasins Prisunic-Uniprix - les Vins Nicolas

Certaines de ces sociétés ont créé des supermarchés.

Groupes nouvellement constitués :

16/9/60 - la Société Française des Supermarchés (capital 19 750 000 NF) : Docks Rémois, la Banque d'Indochine, la Monmouth Lee Corp. de New York et les compagnies d'Assurance Fraternelle-Vie et Paternelle IARD. Présidée par Monsieur Pierre Abelin, ancien ministre. - Société des supermarchés Docks (capitale 500 000 NF) : Docks de France et Docks du centre, Société financière de Suez.

12/10/60 - Société des Études de Centres Commerciaux et de Supermarchés du sud-est, créée à Lyon par l'Alobroge, Badin-Defforey, les Docks lyonnais, la Société Économique d'Alimentation, la Société Foncière Lyonnaise, Messieurs de Neuflize, Schlumberger et compagnie, l'Union Européenne et Financière.

25/11/1960 - supermarché Prisunic : le groupe Printemps- Prisunic et la Société commerciale de l'Ouest africain ont créé : - les supermarchés de l'Île-de-France (capital initial de 2 500 000 NF) - les supermarchés de la Méditerranée (1 000 000 NF) - les supermarchés de l'Atlantique (1 000 000 NF)

8/11/1960 - Société des Grandes Entreprises de Distribution Inno-France : - à l'Innovation (Grands magasins belges) - la Banque commerciale de Paris - la Banque de l'Union parisienne et Monsieur Edmond de Rothschild, conseil présidé par Monsieur Albin Chalandon. Direction assurée par Monsieur Henri Weil (administrateur de l'Innovation de Bruxelles) .

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