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D'un pacte à un autre

Le 10 décembre 1944 était signé à Moscou un pacte d'alliance franco-soviétique entre Molotov et Bidault en présence de de Gaulle et de Staline.

Avec le recul du temps et le récent voyage de de Gaulle en Allemagne où il allait prêcher la guerre contre l'Est, cela fait sourire, mais à l'époque, le pacte avait été célébré dans toute la presse française comme un grand événement.

Dans son ensemble, de « l'Humanité » au « Monde », elle opposait ce pacte à celui conclu par les deux mêmes pays en mai 1935 et dont le signataire français était Laval.

« Le Monde » dans son premier numéro daté du mardi 19 décembre 1944 oppose ce pacte qui « contient 8 articles d'une concision lapidaire dont les termes frappent comme des balles » aux « clauses conditionnelles et vagues » du pacte de 1935 quand « au moment du mariage on songeait déjà au divorce », (l'échec de ce pacte est imputé à Laval, « le mauvais génie de la politique française » ). Rien de tel par contre ne peut être reproché à Monsieur Georges Bidault (démocrate bien connu) qui déclarait le 6 novembre 1944 (cité par l'Huma du 16 novembre 1944) : « Une séparation entre l'URSS et nous ne doit jamais se produire, car le progrès, la paix, et le bonheur de l'humanité en dépendent ».

De Gaulle et son gouvernement se paraient vis-à-vis des masses françaises d'une auréole « de gauche » et quatre mois après être rentré en France, il courait à Moscou.

Mais ce voyage à Moscou et la signature de ce pacte s'étaient faits avec l'accord des Anglo-américains. C'était l'époque où l'URSS participait aux conférences à trois et, en octobre, Churchill était allé se mettre d'accord avec Staline pour le partage de l'Europe Centrale suivant le rapport de forces. Le voyage de de Gaulle s'inscrivait dans cette série de consultations qui, non sans quelques tiraillements, a marqué la fin de la guerre. Ce n'était pas une quelconque orientation pro-soviétique de de Gaulle qui lui a fait choisir un pacte avec l'URSS. Il se plaçait dans le cadre des relations internationales de cette époque où l'URSS était l'alliée des impérialismes occidentaux. L'auréole de gauche fut la parure supplémentaire qui fut attribuée à de Gaulle par les staliniens français en particulier, ce qui facilita la remise en selle de la bourgeoisie avec l'aide directe du PCF.

Quelles étaient les clauses de ce pacte signé pour 20 ans ? Les clauses exprimées se rapportaient principalement à la lutte contre l'Allemagne nazie, le fait de se refuser à toutes négociations séparées avec le gouvernement hitlérien ou tout autre gouvernement allemand voulant « prolonger ou entretenir la politique d'agression allemande ». Par un autre article les deux pays s'engageaient à prendre à la fin du conflit « toutes mesures nécessaires pour éliminer toute nouvelle menace provenant de l'Allemagne et faire obstacle à toute initiative de nature à rendre possible une nouvelle tentative d'agression de sa part ».

Le tout basé sur un rappel historique de part et d'autre des différentes alliances franco-soviétiques ou franco-tsaristes toutes mises dans le même sac de la défense contre l'Allemagne : « pour la France et la Russie, être unies, c'est être fortes ; se trouver séparées, c'est se trouver en danger. En vérité, il y a là comme un impératif catégorique du bon sens » (discours de de Gaulle à l'Assemblée consultative du 21 décembre 1944).

Il est vrai que la question de l'Allemagne intéressait particulièrement la bourgeoisie française et la bureaucratie russe. Le problème des réparations de l'État allemand - agresseur puisque vaincu - à la France, de Gaulle le voyait comme l'utilisation des ressources de laRuhr - l'internationalisation du bassin - et l'annexion de la Sarre. L'armée française reconstituée avec différents débris ne pouvait pas demander plus lors d'un futur partage du monde se rapportant à des pays où elle ne se trouvait pas. La bureaucratie russe, elle, avait besoin d'une Allemagne neutralisée et « démilitarisée » qui augmenterait le glacis. A l'époque il y avait donc accord sur ce point. D'autant plus que l'URSS cherchait à se garantir - on a vu par la suite l'efficacité du procédé - d'un éventuel accord des « Alliés » avec l'Allemagne et d'un renversement des alliances contre elle.

Mais le grand bénéfice de ce pacte revint à de Gaulle qui, par sa simple signature, retrouve pour la France ce qu'il appelle son « rang ». Car dédaignée par les américains qui considèrent de Gaulle comme l'agent de l'impérialisme anglais, dédaignée par les Anglais qui disent en substance « nous, on voudrait bien mais ce sont les Américains qui décident », la France gaulliste allait se tourner vers l'URSS toujours prête à signer n'importe quel pacte avec n'importe quelle puissance occidentale. Et c'est ainsi que cette France gaulliste méprisée par les Anglo-américains va signer d'égale à égale un pacte avec la puissance qui s'affirme comme la seconde dans le monde.

C'est seulement après la signature de ce pacte que la bourgeoisie française sera parcimonieusement acceptée aux différentes conférences et comités et jouera de nouveau un rôle sur la scène internationale, bien qu'elle ne fût pas invitée à Yalta en février 1945.

Si le récent voyage de de Gaulle en Allemagne où il déclarait : « L'union, pourquoi l'union ? D'abord parce que nous sommes ensemble et directement menacés. Devant l'ambition dominatrice des Soviétiques la France sait quels périls immédiats couraient son corps et son âme si, en avant d'elle, l'Allemagne venait à fléchir, et l'Allemagne n'ignore pas que son destin serait scellé si, derrière elle, la France cessait de la soutenir », (réponse au discours de Luebke 5.9.1962 cité par « Le Monde » du 6.9.62) prouva la valeur des chiffons de papier que sont les pactes d'alliances, surtout ceux entre l'URSS et les États impérialistes, il s'inscrit aussi dans la ligne d'une certaine indépendance que de Gaulle veut donner à sa politique extérieure. Par une alliance plus étroite avec l'Allemagne, de Gaulle renforce l'indépendance de sa politique extérieure vis-à-vis des États-Unis.

C'était son but aussi en 1944, mais les limites de cette indépendance de la politique extérieure française et de son « rang » sont tout de suite apparentes : l'alliance a changé de côté. Une alliance franco-soviétique était concevable tant que les USA et l'URSS étaient encore « alliés ». Mais actuellement, un tel chantage vis-à-vis des USA ne peut se faire qu'au sein même du bloc occidental. Et c'est là tout le secret de la politique extérieure de de Gaulle.

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