Congrès démocratique et camps de concentration08/10/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Congrès démocratique et camps de concentration

Du jeudi 25 au samedi 28 septembre ont eu lieu à Evian le Congrès du Rassemblement Démocratique et celui du Parti Radical. Certains auraient pu attendre d'un rassemblement de gens dont la raison d'être affirmée est la défense de la démocratie, la définition de cet idéal démocratique. Participation de la masse du peuple au pouvoir, à tout le moins contrôle de celui-ci par celle là, contrôle des élus par les électeurs, mode d'élection à la proportionnelle ou bien encore pouvoir réel à ces élus du peuple : rien de tout cela, n'a pourtant été au centre des débats d'Evian.

Mais il est vrai qu'il y a actuellement nécessité de « réinventer la démocratie ». C'est du moins ce qu'a affirmé l'un des rapporteurs du Congrès, le député du Jura Jacques Duhamel. Ce que serait cette réinvention, deux formules du même député tentent de nous l'expliciter : « Pouvoir personnalisé ne signifie pas pouvoir personnel. Nous vivons le temps de l'équipe » ou encore « Une démocratie personnalisée c'est un homme, Mais autour de cet homme une équipe ».

On eût aimé bien sûr que J. Duhamel explique davantage en quoi le pouvoir personnalisé était différent du pouvoir personnel. Peut-être comme monarchie diffère de royauté. Car la seule préoccupation essentielle qui transparaît dans les résolutions finales des deux congrès est celle relative à la future élection présidentielle.

Et c'est là la leçon essentielle de ces journées d'Evian. Radicaux et autres centre-gauche sont décidés à livrer bataille dans le système politique établi par le gaullisme et suivant les règles de ce système. Ils s'y adaptent, ne prétendent pas le changer mais au mieux en prendre la tête. Si un président de la République radical sortait des urnes lors des prochaines élections présidentielles, il n'y aurait certainement aucune modification majeure au système politique français. Seule menace à considérer : nous n'aurions plus affaire à un pouvoir personnel mais à un pouvoir personnalisé.

Quant à « vivre le temps de l'équipe », c'est effectivement une nécessité électorale pour l'opposition. La résolution finale du Congrès du Rassemblement Démocratique l'explicite bien : « Pour restaurer la démocratie il (le Congrès) propose aux autres formations démocratiques de se rencontrer aux fins suivantes :

1°) Examen en commun des programmes d'action qu'ils ont eux aussi établis, en vue d'arrêter une charte de la démocratie moderne.

2°) Constitution d'une équipe susceptible de la mettre en oeuvre pour une formation cohérente de l'opinion et avec une vocation majoritaire de gouvernement.

3°) Proposition, par cette équipe, à une convention démocrate, d'un candidat commun à l'élection présidentielle ».

La fameuse équipe découverte par J. Duhamel c'est tout simplement la réunion des états-majors des différentes formations politiques de l'opposition en vue de désigner un candidat unique et aussi - sans doute - de constituer un shadow-cabinet dans lequel ces états-majors se partageraient d'éventuelles places de ministres. Les masses n'ont pas plus de place dans ce système que dans celui de de Gaulle puisque les cadres en seraient exactement les mêmes.

Sur bien d'autres points d'ailleurs, la politique de nos démocrates n'est pas aussi « radicalement » différente de la politique gaulliste qu'ils veulent bien le dire. Ainsi ils mènent grand bruit et vitupèrent contre la force de frappe à la fois ruineuse et dangereuse pour le pays. Cependant le même Duhamel affirme par ailleurs : « Notre pays ne peut non plus abandonner un effort d'armement atonique. » La différence alors ? Ce sera que cet effort sera fait dans le cadre « d'une communauté à sept regroupant les six pays européens déjà associés et la Grande-Bretagne déjà nucléaire... la décision d'emploi étant égalitaire, les tâches de fabrication déléguées à la France et à la Grande-Bretagne ». En quoi ce sera moins ruineux et dangereux pour le pays ? Encore une fois Duhamel a oublié une explication.

En fait les seules véritables modifications qu'ils envisagent se situent au niveau de la politique vis-à-vis de la Communauté Européenne et du rapprochement Est-Ouest. (Les déclarations de Duhamel citées ci-dessus montrent d'ailleurs clairement que pour les hommes politiques bourgeois la ratification du traité de Moscou ne signifie nullement l'arrêt de la course aux armements).

Dans ce cadre général le rôle de tous ces pseudo-démocrates ou hommes de gauche se réduit donc à rechercher des thèmes capables de regrouper la plus large opposition possible en vue de la campagne présidentielle. Leurs déclarations les plus dures contre le gaulliste ne répondent pas à d'autres buts.

Ainsi la dénonciation par Monnerville des camps de concentration qui existeraient actuellement dans le pays a fait couler beaucoup d'encre. A la demande d'un sénateur UNR il l'a répétée devant le Sénat en l'adoucissant d'ailleurs, semble-t-il, puisqu'il a mis au passé ce que tous les observateurs du Congrès d'Evian prétendent l'avoir entendu dire au présent ; « Les Français se croient libres mais ils ne savent pas combien d'hommes ont été enfermés dans les camps de concentration. Ils ne savent pas que parmi ces hommes il y a beaucoup de jeunes qui ont pu commettre des erreurs »

Le Président radical du Sénat s'élève un peu tard contre les camps de concentration, c'est-à-dire suivant sa définition géniale « les endroits où le pouvoir met les gens qui s'opposent à sa politique, où il les concentre ». Durant la guerre d'Algérie, le pouvoir (celui de de Gaulle, mais aussi, avant celui-ci, celui des amis politiques de Monnerville) « concentra » effectivement dans les prisons des milliers de militants FLN ou dans les camps de regroupement des centaines de milliers d'Algériens. La voix de Monnerville ne s'éleva pas alors avec la force qu'il y met aujourd'hui. Cela eut été pourtant bien plus à propos. Plus dangereux aussi, sans doute, non seulement pour le pouvoir gaulliste mais aussi pour l'impérialisme français lui-même. Et Monnnerville connaît les choses auxquelles il ne faut pas toucher.

Aujourd'hui le problème n'a plus - et de loin - la même acuité. Monnerville en parle d'autant plus fort. Et il en parle suffisamment vaguement pour rallier les oppositions les plus diverses. Ceux que le pouvoir concentre et dont Monnerville se fait maintenant le défenseur sont-ils les partisans de l'OAS ou bien les quelques Français emprisonnés pour avoir aidé le FLN ? Le thème entrevu de l'amnistie peut rallier aussi bien l'extrême-droite que la gauche (dans la mesure, bien sûr, où la gauche se préoccupe de ceux qui croupissent en prison pour avoir aidé la lutte des Algériens, mais de quoi n'est-elle pas capable de s'occuper en période électorale !).

Le calcul de Monnerville paraît donc être le suivant : l'extrême-droite est trop faible pour songer à présenter un candidat à la présidence contre de Gaulle. Aussi n'est-il peut-être pas exclu que, par opposition au gaulliste, elle aille jusqu'à faire voter pour le candidat unique de l'opposition s'il porte une étiquette de gauche - surtout si elle peut en espérer une amnistie générale pour tous les opposants emprisonnés par de Gaulle - qu'ils soient de droite ou de gauche (ils sont pour l'instant beaucoup plus nombreux à droite). Que ce ne soit pas là un calcul absurde d'ailleurs « les vifs applaudissements à l'extrême-gauche, sur de nombreux bancs à gauche, et sur divers bancs au centre, à droite et à l'extrême-droite » (Le Monde du 5.10.63), qui ont suivi la réponse de Monnerville au Sénat, l'ont montré.

Les Congrès d'Evian, de même que les propos du Président du Sénat, nous tracent les perspectives des prochaines élections présidentielles. Une campagne électorale où tout sera bon pour rallier n'importe qui. Au bout du compte peut-être des hommes différents mais sûrement la même chose.

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