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Clauses-trappes maisons

La quatrième semaine de congés payés obtenue par les travailleurs de la Régie Renault a fait couler beaucoup d'encre depuis six semaines. Cet avantage a été étendu sous différentes formes à plusieurs autres entreprises, appartenant généralement à l'industrie automobile lorsqu'il s'est agi des de grandes entreprises, car c'est dans cette industrie saisonnière, qu'il peut gêner le moins le patronat. Mais il est surtout devenu la revendication principale des travailleurs dans la plupart deos branches commerciales ou industrielles, et il est flagrant qu'une telle orientation des revendications vers cet avantage agréable et important pour les travailleurs, mais peu coûteux pour le patronat, était l'un des principaux objectifs du Gouvernement quand il a pris cette mesure pour Renault. Les récriminations contre son extension obligatoire à tous les salariés venant de certains milieux patronaux, sont dues au fait que cette semaine supplémentaire de repos se traduirait par un manque à gagner pour le patronat dans pas mal d'industrie et, en particulier, dans les petites, mais sont inutiles, car le Gouvernement n'a probablement pas l'intention de rendre cette mesure obligatoire dans un avenir proche.

En effet, un autre objectif du Gouvernement, indépendamment de celui dont nous parlions plus haut, était de donner un nouveau souffle à la politique des « accords d'entreprise ». Ces accords innovés à Renault, justement, en 1955 (la grande entreprise nationalisée est en effet une usine « pilote » en ce sens qu'elle sert au patronat à « roder » les mesures sociales nouvelles, avant de les étendre à l'industrie privée) permettent dans une certaine mesure - celle où les travailleurs en sont dupes - de lier les ouvriers à leur entreprise par des avantages particuliers, qu'ils perdent en la quittant, mais surtout « contractuels », c'est-à-dire soumis à certaines conditions à observer de part et d'autre. Par exemple, dans le premier accord Renault, il y avait des clauses prévoyant certaines modalités à observer par les syndicats avant de déclencher une grève et dont le non-respect pouvait entraîner la dénonciation de l'accord par la Direction. La plupart des accords d'entreprise signés depuis un peu partout, contiennent des clauses semblables, de même, bien entendu, que le dernier accord Renault. Ainsi les « avantages » octroyés par un accord peuvent être supprimés en cas de grève subite, ou non conforme aux règles établies par les accords. C'est le cas de la quatrième semaine de congés payés des travailleurs de la RNUR.

Ces contrats d'entreprise apportent une nouveauté juridique dans le domaine des relations entre salariés et employeur. Depuis plusieurs décades, une augmentation de salaires, un avantage quelconque obtenu par les travailleurs d'une entreprise l'était définitivement (du moins légalement). Ici, ces avantages sont conditionnels. Les accords suppriment la notion d'avantages acquis, que le patronat ne peut pas reprendre.

Par ailleurs ils concourront à supprimer de fait les conventions collectives, introduites dans la législation depuis 1936. Tous les travailleurs ne sont pas, dans une branche ou une industrie donnée, également bien placés pour faire rendre gorge au patronat. La convention collective avait l'avantage, étant obtenue par les travailleurs les mieux placés ou les plus combatifs, de s'appliquer, avec force de loi à tous les travailleurs ...et à tous les employeurs. Elles permettaient aux travailleurs les moins bien placés (petites boîtes, femmes, jeunes, province, etc...) de n'avoir dans le pire des cas, à mener le combat que sur le plan légal - ce qui n'était bien sûr pas toujours suffisant, mais était un avantage considérable. Les accords d'entreprise permettent au patronat, de n'accorder d'avantages que là où ils sont contraints de le faire. Les conventions collectives, bien qu'existant toujours, ne sont dans la plupart des cas que des textes vides ne traitant que des salaires minima bien inférieurs aux salaires réels, du moins aux salaires réels des travailleurs les plus favorisés.

De fait jusqu'à présent les accords d'entreprise n'ont pas servi à grand chose à la bourgeoisie, sauf en ce qui concerne ce dernier point. Dans le domaine des restrictions au droit de grève, ils ont été inefficaces, en grande partie du fait de la combativité des travailleurs qui ne se sont pas embarrassés de ce que les syndicats avaient signé en leur nom, mais aussi à cause de la faiblesse même des avantages consentis par les accords. Le principal, en 1955, c'est à-dire la troisième semaine de congés payés, a été étendu à tous les salariés pour des raisons politiques (poursuite de la guerre d'Algérie) par Guy Mollet, désamorçant ainsi les accords et rendant quasi inexistants les avantages que les travailleurs pouvaient perdre en cas de non-respect des clauses anti-grève.

C'est sur ce point particulier de la limitation du droit de grève que va porter l'offensive patronale et gouvernementale visant à relancer cette politique des « arrangements-maison ». En échange d'avantages, intéressants pour les travailleurs mais les moins coûteux possible pour le patronat, les accords qui vont être proposés dans les semaines qui viennent vont tenter de ligoter le droit de grève, dans une foule de démarches, de conciliations, de délais, à respecter sous peine de perdre les avantages prévus au contrat.

La quatrième semaine de congés payés sera sûrement le principal de ces avantages-chausses-trappes. C'est pourquoi, il est vraisemblable que, sauf raisons politiques d'importance, le Gouvernement ne l'étendra pas légalement à tous les salariés. Tous les salariés en bénéficieront dans un délai rapproché mais, principalement par l'intermédiaire d'accords maison l'assortissant de dispositions restrictives. Cela permettra d'ailleurs de la donner sous des formes diverses, à des dates variées, selon les « impératifs de la production ».

Mais cela ne sera pas le seul, car beaucoup de salariés bénéficient depuis déjà longtemps d'un mois de vacances. Et justement, la Direction de l'EDF vient de proposer aux syndicats un accord de salaire dont les termes illustrent ce qui précède. En échange d'une majoration trimestrielle de 0,75 % des salaires, une clause prévoit qu'en cas de conflit les parties signataires « respecteront les dispositions conventionnelles tendant au règlement des conflits ET AU MAINTIEN DE LA CONTINUITÉ DE LA DISTRIBUTION DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ ». C'est dit en termes galants, mais c'est dit. Il est vrai que les syndicats n'ont pas encore signé, mais pour combien de temps ? Le Monde du 13.2.63 nous apprend (!) que cette convention pourrait jouer le rôle d'accord pilote pour l'ensemble du secteur nationalisé, et en particulier pour la SNCF et la RATP. On s'en doute.

C'est cet aspect des accords d'entreprise qui est le plus dangereux pour les travailleurs. C'est dans ce piège que les syndicats se précipitent tête baissée, malgré des hésitations de pure forme. Certains mettent même la revendication de la quatrième semaine avant toutes les autres, sans même attirer l'attention des travailleurs sur la façon de l'obtenir ou, plus exactement, sur les accords dont elle peut faire partie.

A l'époque du Marché Commun, il serait plus que nécessaire que les Centrales syndicales défendent de véritables contrats collectifs, des conventions collectives nationales et, même, entreprennent avec les syndicats des autres pays d'Europe l'élaboration de revendications et de contrats collectifs applicables à tous les travailleurs des pays soumis au Marché Commun. Mais autant demander du lait à un bouc, car cela fait déjà longtemps que les syndicats ne sont même plus réformistes, au sens que cela peut avoir aux USA par exemple. Ils sont même incapables, enchaînés qu'ils sont politiquement au char de la bourgeoisie de défendre, si peu que ce soit, les intérêts matériels des travailleurs, même lorsque la conjoncture économique le permettrait.

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