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Baudouin Pyrrhus

 

Une nouvelle importante, bien qu'elle n'ait pas, dans la presse, les gros titres accordés aux autres événements politiques, est la dissolution du Parlement belge.

En effet, les ministres libéraux, après avoir voté et défendu la loi unique aux côtés des sociaux-chrétiens, viennent de reculer devant les décrets d'application de cette même loi et de quitter le ministère, obligeant ainsi le roi Baudouin à dissoudre le Parlement pour procéder à de nouvelles élections, le cabinet Eyskens n'ayant plus de majorité à la Chambre et les sociaux-démocrates n'en ayant d'ailleurs pas non plus. Les nouvelles élections auraient lieu le 26 mars.

Ainsi, si les travailleurs belges n'ont pu, au cours de cinq semaines de grève contre cette loi d'austérité à sens unique, obtenir une victoire méritée, cela grâce à la trahison ouverte de leurs directions syndicales, la bourgeoisie elle, n'a pu conserver le fruit de sa victoire.

Il était en effet patent que les grévistes n'avaient pas été vaincus mais livrés, et une victoire obtenue dans ces conditions était d'une fragilité telle qu'il était impossible de s'y tenir.

Pas du point de vue de la justice, bien entendu. Cette notion est réservée par les hommes politiques à leurs discours et est étrangère à leurs actions. Uniquement du fait que l'explosion de colère des travailleurs belges a mis en danger la bourgeoisie belge. En danger de mort.

Si elle a pu se sauver, c'est parce que les appareils politiques et syndicaux de la classe ouvrière ont refusé de donner à la lutte les objectifs et les formes que les événements exigeaient : marche sur Bruxelles, et constitution d'un organisme central de grève capable de faire échec au Parlement bourgeois. Les travailleurs étaient prêts à mener la lutte jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes. Leurs dirigeants, eux, ont temporisé et l'ont laissé se dérouler sur le seul plan de la grève, sans issue, à moins de tenir indéfiniment. Là où il fallait une offensive, ils ont fait une guerre de positions qui, finalement, a permis la victoire de la bourgeoisie.

Mais cela, la bourgeoisie belge le sait. Elle sait que l'application de la loi unique, même votée, peut encore déclencher des troubles que les leaders sociaux-démocrates pourraient être alors bien incapables d'enrayer. Les prolétaires n'ont pas la mémoire si courte qu'on leur fasse jouer la même farce deux fois en peu de temps.

La bourgeoisie n'a pas pu profiter de sa victoire à la Pyrrhus. Le cabinet Eyskens a donc été sacrifié, d'autant plus facilement d'ailleurs qu'il s'était déjà aliéné l'opinion de l'extrême droite et d'une partie de la petite bourgeoisie avec l'affaire congolaise.

Les nouvelles élections du 26 mars donneront peut-être une majorité sociale-démocrate à la Chambre et, par conséquent, un cabinet de même couleur. C'est un risque que la bourgeoisie belge prend, persuadée qu'elle est que ces hommes, en « loyaux gérants du capitalisme », sauront imposer aux travailleurs, sous le couvert de cette « victoire », beaucoup plus de sacrifices qu'Eyskens n'aurait pu le faire après la défaite de janvier.

Il sera alors beaucoup plus difficile aux travailleurs belges de réagir, tant la prière de Voltaire : « mon Dieu protège les moins de mes amis, mes ennemis, je m'en charge ! » est valable en politique.

 

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