Au pied de la lettre...13/11/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Au pied de la lettre...

La bataille - toute chrétienne - qui se livre actuellement à l'intérieur de la CFTC pour faire disparaître de ce sigle le dernier « C » est révélatrice des importants changements d'orientation de cette centrale syndicale depuis quelques années. Il est peu probable que le « C » disparaisse, car l'aile gauche de la CFTC, celle qui a le plus contribué ces derniers temps à faire apparaître la CFTC comme différente de ce qu'elle était dans le passé, est très minoritaire et n'est, involontairement, que l'otage radical qui permet à la CFTC de jouer efficacement son rôle réactionnaire.

La Confédération Française des Traviilleurs Chrétiens a vu officiellement le jour en 1920. Mais c'est en 1887 que s'est formé le premier syndicat chrétien important, le S.E.CI (Syndicat des Employés du Commerce et de l'Industrie). C'est ce syndicat qui sera à l'origine de la CFTC et son président Jules Zirnheld sera plus tard le président de la CFTC, puis de la CIS.C.

Les statuts du S.E.CI comportaient, entre autres, comme conditions d'adhésion « être employé catholique et de bonne réputation »... « être décidé à observer le repos dominnical »... « appartenance active à une oeuvreCatholique de Persévérance » etc...

Le S.E.CI, très lié aux milieux patronaux et à 1a hiérarchie catholique, avec l'aide de ceux-ci, verra son influence grandir. En 1901, il y a 2 000 syndiqués. Son journal « l'Employé » écrit à cette époque : « Le conseil syndical a foi dans l'énergique soutien qu'il a trouvé chez les patrons chrétiens ».

A cette époque, il exista, déjà plusieurs syndicats chrétiens, surtout dans le Nord et l'Est. Dans le Nord, les syndicats chrétiens soutiendront aux élections législatives un patron du Textile contre Jules Guesde.

Jusqu'en 1914, les syndicats chrétiens verront leur nombre augmenter, mais leur influence dans la classe ouvrière restera négligeable. Lors de la guerre impérialiste, ils participeront à l'« Union Sacrée » au même titre que la CGT

La création de la CFTC a lieu le 7 février 1920. Elle comprend 578 syndicats réunissant environ 140 000 membres, les Fédérations les plus importantes sont celles des employés, des cheminots et du textile. Les U.D. sont plus fortes dans le Nord et l'Alsace à tradition catholique.

Les statuts de la CFTC déclarent expressément : "La Confédération se réclame et s'inspire dans son action de la doctrine sociale définie dans l'Encyclique Rerum Novarum". L'un des premiers actes de la CFTC sera de saboter les grandes grèves d'après-guerre de 1919 et 1920, en particulier la grève générale du 1er mai 1920 décidée par la CGT A cette occasion le Comité National de la CFTC lance un appel :

"Résolument syndicalistes, nous entendons défendre énergiquement nos justes droits, améliorer notre sort, augmenter notre valeur professionnelle et du même coup, notre faculté de production : c'est une oeuvre assez vaste et assez belle pour que nous ne nous mêlions pas, comme la CGT nous y invite, de faire de la politique et de la diplomatie. Nous estimons que la meilleure manière de faire aboutir nos revendications. et de préparer les transformations sociales nécessaires est encore de permettre à notre pays de relever ses ruines et de reconquérir sa prospérité dans l'ordre et dans la paix. C'est à cette tâche que nous convions tous nos camarades travailleurs lassés de la tyrannie cégétiste, en leur demandant de rester au travail le 1er mai, comme les autres jours, et de s'opposer résolument à toute tentative nouvelle de grève générale et de chambardement."

Le programme et l'action permanents de la CFTC seront le refus de l'unité de classe, la collaboration avec la bourgeoisie et 1a soumission à la hiérarchie catholique. Millerand, alors président du Conseil se plait à reconnaître le patriotisme d'une organisation qui déclare-t-il « s'est révélée comme un point de cristallisation particulièrement précieux pour tous les travailleurs épris d'ordre et soucieux de la paix sociale ». En effet, les chevaux de bataille de la CFTC lors des grèves, seront les connmissions mixtes et les procédures d'arbitrage.

Les liens avec la hiérarchie catholique sont à 1'époque une constante. Le 24 février 1922, un meeting pour le repos dominical se tint sous la présidence du Cardinal Dubois. Un organisme appelé Conseil Théologique, composé de cardinaux et de religieux de l'Action Populaire, est chargé de donner un avis doctrinal sur les Statuts et les Déclarations de la CFTC Ceci est fait de même pour les Unions Locales. Le tout avec la bénédiction du Saint-Siège.

Mais la lutte de classes a d'autres exigences. La CFTC est obligée de participer à des grèves pour ne pas perdre son peu de crédit vis-à-vis des travailleurs et sa représentativité vis-à-vis du patronat qui ne tient guère compte d'elle. Ce qui fait dire au président de la CFTC que le patronat pratique une politique d'autruche.

C' est ainsi qu'en 1924, à la suite de grèves dans 1a région textile de Roubaix - Tourcoing, le président du syndicat patronal, Eugène Mathou porte devant le Saint-Siège ses griefs vis-à-vis de la CFTC Le Saint-Siège mettra quatre ans à publier sa sentence en faveur de la CFTC, la nécessité de syndicats chrétiens opposés aux syndicats CA.T. et C.C.T.U.. étant apparue bénéfique. En effet, c'est grâce à la CFTC qu'une grève générale de sept mois dans la même région fut torpillée par la création de commissions mixtes et d'Accords entre les syndicats chrétiens et le patronat.

Avec la crise économique de 1929, la CFTC élabore un Plan qui préconise des améliorations à la condition ouvrière, l'établissement de commissions mixtes d'arbitrage et de conciliation, des conventions collectives. Sur le plan économique, il revendique une représentation des travailleurs au sein des conseils d'administration des entreprises, la création pour les secteurs importants de l'économie de services d'intérêt public à gestion mixte, enfin un Conseil National Économique qui réglemente la production et surveille les marchés.

Mais en pratique elle continuera son rôle de collaboration de classe. en 1934, elle ne participe pas aux manifestations politiques, et, au lendemain du 6 février, elle refuse, de participer à l'arrêt de travail.

1936 verra la CFTC participer sous la pression populaire aux grèves et faire l'unité d'action tout en freinant le mouvenent. Cruelle injustice ! le Gouvernemcent et le patronat ne la feront pas participer aux Accords Matignon. Néanmoins, elle profitera de la montée ouvrière pour atteindre 500 000 adhérents contre 5 500 O00 à la CGT

La politique patronale de régression sociale amorcée après 1936 verra les protestations démagogiques de la CFTC qui refusera de s'associer à la grève générale de 1938. La CFTC « précise que ses groupements adhérents n'ont aucune responsabilité dans les récentes grèves d'occupation, et qu'elle n'entend pas davantage assumer la responsabilité d'entraîner la classe ouvrière organisée dans une action illégale, grosse de conséquences. » Elle ajoute « que le principe de la grève générale, qui constitue d'ailleurs une intolérable brimade pour la population, ne saurait être admis par les syndiqués chrétiens. » L'échec de la grève générale lui fera demander à Daladier une « amnistie morale » très large.

Depuis la fin de la guerre, la CFTC est apparemment devenue plus radicale, plus « gauche » qu'elle ne 1'était avant-guerre. Tout d'abord dans l'immédiat après-guerre, tout le monde se prétendait « de gauche » et révolutionnaire, y compris, sur le plan politique le très conservateur et clérical MRP La CFTC suivait le mouvement et ne le précédait pas. Mais c'est surtout depuis la scission de 1947, lorsque FO a ouvertement joué le rôle que la CFTC jouait avant-guerre, que celle-ci a pu renforcer son influence en se livrant, ou plus exactement en laissant se livrer les quelques militants de gauche qu'elle comptait dans ses rangs à une démagogie suffisante pour élargir son crédit, mais insuffisante pour être dangereuse pour l'ordre social. Que la CGT ait joué elle aussi un rôle conservateur dans cette période, ne rendit pas le jeu de la CFTC plus dangereux, car le poids de la CGT était largement suffisant pour contenir toutes les tentatives spontanées de la classe ouvrière. La CFTC pu, à bon compte, apparaître dans bien des circonstances, plus à gauche que la CGT

A l'heure actuelle, la CFTC sert de refuge à de nombreux militants du PSU C'est eux en particulier qui voudraient faire supprimer le « C ». Mais qu'ils y aboutissent ou pas, la CFTC restera ce qu'elle était : un frein pour les luttes ouvrières. De syndicat « jaune », d'appareil anti-ouvrier, d'instrument direct du patronat, l'histoire et la lutte de classes l'ont peu à peu tramformée en une bureaucratie syndicale s'appuyant sur les mêmes couches sociales que les syndicats réformistes. Elle n'est aujourd'hui guère plus aux mains du patronat ou de l'État que Force Ouvrière. Mais elle l'est autant. Pour ne donner qu'un exemple, c'est à elle que la direction de la Régie Renault s'est adressée, derrière le dos des travailleurs et des autres centrales, pour signer les accords maison, les premiers du genre, qui avaient pour objet de briser dans l'oef toute extension au prolétariat de la lutte engagée par les métallos de Nantes et de Saint-Nazaire.

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