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Arme absolue

Avec les problèmes de la lutte anti-OAS et la perspective du cessez-le-feu en Algérie, à l'exception de la grève des mineurs de Decazeville, les problèmes revendicatifs sont passés au second plan de l'actualité. Mais, dans les entreprises, la CGT continue d'orchestrer des campagnes de grèves tournantes.

Cette fragmentation de la lutte revendicative en mouvements éparpillés correspond, sur le plan politique, à la dispersion des manifestations anti-fascistes, car en dehors de quelques manifestations centrales qui ont eu lieu, il ne se passe pratiquement pas de jour sans que « l'Humanité » nous signale 300 manifestants là, 500 ailleurs, etc...

Aux critiques que suscitent ces formes d'action, la CGT et le PCF répondent que Benoît Frachon ne peut pas déclencher la grève générale en appuyant sur un bouton, que tous les travailleurs ne sont pas « chauds » en même temps, que c'est la forme de lutte la plus économique, etc...

Or, le problème, dans la lutte économique comme dans la lutte politique, n'est pas de chercher une forme de lutte parfaite en soi, la panacée revendicative, qui, aux moindres frais pour les travailleurs contraindrait le patron ou l'État à céder. Si ces derniers cèdent, ce n'est pas devant l'emploi de telle ou telle forme de lutte qui les gênerait particulièrement, c'est devant la certitude que ne pas céder aujourd'hui certains avantages, risquerait de leur faire perdre beaucoup plus demain. Cela dépend finalement de la crainte que leur inspirent les masses par leur combativité.

L'appel à la grève générale, pas plus que les grèves tournantes, n'est une solution universelle. On ne peut rejeter à priori aucune forme d'action, pas même les pétitions. Ce qui compte, c'est de trouver et de proposer la forme de lutte qui correspond, au moment envisagé, au niveau de combativité des masses, et cela dans la perspective de leur mobilisation croissante.

Car le problème est un problème dynamique. Il l'est d'ailleurs quoi qu'on fasse, car on ne peut toujours répéter les mêmes actions en espérant qu'elles seront toujours également suivies. Il n'y a pas de solution moyenne, on n'a le choix qu'entre jouer un rôle mobilisateur et un rôle démobilisateur.

L'expérience des grèves tournantes montre que si les deux ou trois premiers débrayages peuvent être suivis dans une proportion croissante, les suivants rassemblent généralement de moins en moins de travailleurs.

Il est par ailleurs malheureusement devenu évident que ce ne sont pas quelques milliers de jeunes criant « OAS assassins », même quelques centaines de milliers de personnes enterrant leurs morts, qui empêcheront l'OAS de continuer son activité.

Aux problèmes économiques de la classe ouvrière, comme au danger fasciste, il n'y a qu'une seule « solution », la révolution socialiste, et toutes les autres revendications ne seraient qu'escroqueries si elles n'avaient une importance tactique dans la préparation révolutionnaire. a la vieille distinction entre programme minimum et programme maximum, il y a déjà longtemps que les révolutionnaires ont opposé la notion de programme de transition.

Mais les motifs qui déterminent l'action des appareils politiques et syndicaux sont tout autres. Leur problème est à la fois de démontrer leur utilité et d'offrir des voies de garage à ceux qui ressentent le besoin d'agir.

Autant les syndicats prêchent la prudence et la méfiance envers les « provocateurs » lorsque la combativité ouvrière s'accroît, autant ils « provoquent » des mouvements partiels lorsque celle-ci a diminué. C'est que dans le premier cas, ils manifestent leur soumission à l'ordre capitaliste, alors que dans le second, ils démontrent leur « utilité » à la fois à la bourgeoisie et à la classe ouvrière quoique pour des raisons diamétralement opposées. Face à un problème comme celui de la lutte anti-fasciste, les appareils réformistes ne peuvent organiser et mobiliser les masses qu'en deçà d'une certaine limite au-delà de laquelle se pose la question du pouvoir.

Mais face à leurs militants, ils ne peuvent pas rester inactifs. La politique de l'action pour l'action est connue depuis longtemps. Coller des affiches ou gribouiller sur les murs, peut quelquefois suffire à user les velléités d'action de leurs jeunes, mais dans les circonstances présentes, il leur faut faire plus. Mais ce qu'ils font, c'est seulement ce qu'ils sont contraints de faire. Loin de susciter de nouvelles formes d'action, ils ne font que suivre à regret, et c'est pourquoi toutes les ripostes de la gauche ont toujours eu un temps de retard sur ce qu'il fallait faire pour lutter efficacement contre l'OAS.

Avec le développement de la situation politique, il n'est sans doute rien, pas même des milices ouvrières, que les appareils bureaucratiques ne puissent faire un jour (en les sabotant plus ou moins, comme ils ont fait pour les manifestations centrales, et en leur donnant un tout autre contenu que celui que leur donneraient des révolutionnaires), mais ce sera toujours en retard sur les événements.

Le danger d'ailleurs, en répétant des manifestations qui ne font pas le moindre mal à l'OAS, c'est de décourager et de démobiliser ceux qui aujourd'hui sont prêts à la lutte. Dans l'état actuel des forces, ce sont en général les appareils traditionnels qui fixent les formes de la lutte des masses.

Aujourd'hui, les militants révolutionnaires n'ont que peu de moyens d'agir d'une façon déterminante dans la lutte de classes, mais ce qu'ils peuvent faire dès maintenant, c'est oeuvrer à montrer et à ouvrir les voies où pourra s'engager demain une éventuelle montée ouvrière. Et ce type de marée est heureusement, le plus souvent, indépendant du bon vouloir des appareils.

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