Aide-toi, le ciel t'aidera04/09/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Aide-toi, le ciel t'aidera

L'attentat de Clamart a donné l'occasion à de Gaulle, si l'on en croit les rumeurs rapportées par la presse, de présenter au pays la nécessité d'une révision de la Constitution. Révision qui consisterait à faire élire le Président de la République au suffrage universel, ce qui reviendrait à le rendre, ainsi que le gouvernement, encore un peu plus indépendant du Parlement. L'assassinat ou la disparition du Président de la République ne manquerait pas de plonger le pays dans le « chaos », il faut donc prévoir les modalités de son remplacement et même désigner à l'avance son successeur éventuel en créant par exemple ce qui existe aux États-Unis, une vice-présidence.

De Gaulle a déjà exploité et exploitera l'émotion causée par ce second attentat pour se faire plébisciter de nouveau et faire plébisciter par le même occasion l'évolution du régime vers un pouvoir encore plus présidentiel. Evidemment, la plupart des partis parlementaires sont opposés à cette réforme. Mais bien entendu opposés en parole. L'intention que l'on prête à de Gaulle ne serait pas constitutionnelle, pas légale. Il est cependant peu probable que cela l'arrête.

Le raisonnement de la gauche social-démocrate (parti socialiste, PSU) et de Paul Reynaud à qui l'Express a ouvert ses colonnes est, c'est parce que le pouvoir est présidentiel que l'OAS songe à assassiner de Gaulle et que cet assassinat pourrait avoir quelque résultat. Et qu'au contraire si les Assemblées comptaient plus que de Gaulle, l'assassiner ne servirait à rien. Que le Parlement « redresse notre Constitution, en montrant qu'il a une doctrine républicaine et qu'il est capable de se battre pour elle. Il conquerra alors le respect du peuple français, auquel il a droit. Et de Gaulle ne sera pas assassiné ». (Paul Reynaud, Express du 18 Août 1962).

Il est bien évident que si c'est là la seule voie, Madame de Gaulle peut d'ores et déjà commander du crêpe.

Compter voir le Parlement se battre même pour la République, ce n'est à tout prendre pas moins efficace que ce que fait de Gaulle : se fier à la grâce divine.

De Gaulle est le chef d'un régime bonapartiste. Il concilie des forces antagonistes, pour le plus grand bien de la bourgeoisie dans son ensemble, en s'imposant aux unes comme rempart contre les autres. En fait, c'est de leurs forces dont il se sert car lui ne dispose que de sa police, qui n'est qu'une force d'appoint. Mais dans la situation politique française actuelle, peu d'hommes seraient susceptibles de jouer le même rôle. Non pas que la bourgeoisie soit pauvre en hommes politiques compétents, mais parce que peu d'hommes disposent du crédit populaire nécessaire pour jouer le rôle. A l'immense majorité de la population française, de Gaulle apparaît le contraire d'un réactionnaire étant donné son rôle pendant la guerre et les illusions que la fin de celle-ci entretint tant sur le régime d'après la « libération » que sur sa personne. A la droite, il a donné les gages de son séjour à la tête de l'État de 1944 à 1946, de sa politique au sein du RPF... et de toutes les modifications constitutionnelles depuis 1958. Et vis-à-vis de la bourgeoisie, il a la référence de plusieurs décades de bons, fidèles et loyaux services. Son assassinat, provoquerait une crise de succession. Crise qui aboutirait peut-être à une aggravation du régime et au remplacement de de Gaulle par le maréchal Juin ou quelque autre de la même eau. Mais le régime ne serait pas fondamentalement changé car le rapport des forces en présence resterait le même La gauche disposerait toujours des forces considérables qu'elle possède, mais ses dirigeants ne trouveraient pas pour autant la détermination qui leur manque de rompre avec la bourgeoisie. Et la droite ne trouverait, pas plus qu'aujourd'hui la force de provoquer les masses populaires et de les vaincre en combat singulier. Le problème n'est donc pas lié au sort de de Gaulle. Il n'est pas non plus d'ordre constitutionnel. C'est là l'erreur, voulue d'ailleurs, de ces gens dits de gauche qui croient que les problèmes se résolvent au Parlement ou par lui, car il n'y a pas que Reynaud à l'affirmer.

Le réel danger venant de l'OAS n'est pas le risque qu'elle assassine le Président de la République. Le réel danger, c'est que l'OAS puisse dans les mois ou les années qui viennent se renforcer au point de modifier le rapport des forces entre la droite et la gauche.

Les Français d'Algérie sont maintenant pour plus de la moitié installés en Métropole. Il est peu probable, vu l'évolution de la situation en Algérie, qu'ils soient nombreux à repartir. L'OAS y trouve et y trouvera encore pour longtemps la base de masse, les appuis humains, moraux et matériels qui sont nécessaires à la vie d'une organisation. On sait par expérience qu'elle peut compter sur l'appui actif d'une partie importante de l'appareil d'État.

Et ce qui va changer dans les mois qui viennent, c'est l'attitude de l'ensemble de la bourgeoisie française vis-à-vis de l'OAS Jusqu'à présent, l'OAS s'opposait au règlement en Algérie. Elle s'opposait à la politique soutenue par de Gaulle. Mais l'appareil d'État était bien obligé pour appliquer la politique de de Gaulle, de contenir l'OAS, de l'empêcher en quelque sorte d'agir. Il ne pouvait pas la détruire car la bourgeoisie ne détruit jamais une arme inutile ou gênante dans l'instant, mais qui peut être indispensable dans l'avenir. Elle la met tout au plus au râtelier de Saint-Maurice l'Ardoise. Tandis qu'aujourd'hui la bourgeoisie et l'OAS n'ont plus de politique différente et dès que l'OAS aura quitté son cours actuel (attentats contre de Gaulle, hold-up, etc..) l'ensemble de la bourgeoisie verra alors d'un œil favorable son action dirigée contre la gauche.. C'est-à-dire qu'il n'y aura même plus le semblant de répression qu'il y a à l'heure actuelle. Et cela n'est pas pour dans dix ans.

En ce moment, l'OAS traverse une période de réadaptation. Elle n'a pas encore trouvé sa voie. Les hold-up la font mal voir des banques et des entreprises. Les attentats au galet contre les automobilistes, les incendies de forêts ou de voitures, et les heurts entre la population et les rapatriés pieds-noirs la rendent, avec ceux-ci, impopulaires. Et cela durera peut-être quelques temps, mais pas toujours. L'OAS apprendra vite à mieux diriger ses coups et si la gauche reste ce qu'elle est, c'est-à-dire piaillarde, bavarde et pleureuse, l'OAS craindra de moins à moins de s'y attaquer et retrouvera alors, et avec intérêts, l'affection et l'estime de l'ensemble de la bourgeoisie.

Mais aujourd'hui, l'OAS est aussi faible qu'au début de l'année. Les forces de la gauche sans même être réunies, pourraient la détruire dix fois. Il se trouverait facilement dans son sein les quelques milliers d'hommes nécessaires peur anéantir toute possibilité de création en France d'un parti fasciste. Il suffirait que les dirigeants de la gauche se décident. Mais l'expérience a prouvé là aussi, que l'attendre c'est s'en remettre à la protection divine. La seule chance est que dans les bureaux, dans les entreprises, à l'échelon local, du sein de la jeunesse et du prolétariat naissent les cadres décidés à diriger et à impulser cette lutte. Plus que jamais, le seul problème est un problème de conscience.

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