À chacun son métier...21/08/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

À chacun son métier...

Il peut être curieux de remarquer comment le Parti communiste algérien et, en son nom, le PCF, défend auprès du FLN son existence indépendante. En deux mots PCA et PCF disent : à plus ou moins longue échéance l'avenir de l'Algérie sera socialiste, on ne peut aller au socialisme que sous la direction du prolétariat, donc il est nécessaire que le PCA soit associé à la direction du pays. L'identification du prolétariat au Parti communiste qu'il soit algérien ou français n'est pas pour nous étonner, mais voir des partis staliniens « sous-estimer » ainsi le rôle de la paysannerie dans les pays sous-développés mériterait que l'on s'y arrête s'ils n'avaient pas pour habitude de ne pas être gênés par le choix des arguments.

Car le plus intéressant n'est pas ce que dit le PCA mais la façon dont le FLN le réfute et, en particulier, la façon dont Ben Bella l'a réfuté dans l'interview qu'il a accordé récemment à « l'Unita », organe du Parti communiste italien. Pour lui le prolétariat n'a joué, dans la révolution algérienne, aucun rôle particulier et surtout n'en a aucun à y jouer. La révolution algérienne s'appuie et doit s'appuyer principalement sur la paysannerie.

Si l'on prend cette affirmation de Ben Bella comme une constatation de ce qui s'est passé, elle est certainement juste. D'autant plus qu'il est bien placé pour savoir si le prolétariat a joué ou non un rôle particulier.

Mais si l'on considère cela comme une prise de position pour l'avenir, c'est beaucoup plus intéressant. La notion de socialisme étant plus galvaudée que jamais, il n'est peut-être pas inutile de préciser tout d'abord que, par société socialiste, les marxistes, au temps où il y en avait, entendaient un société sans classe, sans État, sans commerce, sans argent, où l'abondance serait telle que chacun produirait selon ses capacités et recevrait selon ses besoins. Une telle société nécessite un développement considérable des forces productives, tel qu'il n'existe que dans les pays les plus industrialisés. Le socialisme ne peut s'entendre qu'à l'échelle mondiale, mais certains pays peuvent se placer sous son drapeau, et oeuvrer à sa réalisation.

La paysannerie des pays coloniaux est une classe révolutionnaire certes. Elle peut renverser les gouvernements à la solde de l'impérialisme, elle peut, vu sa force, la détermination et le courage dont elle a fait preuve dans bien des pays depuis vingt ans, porter au pouvoir des révolutionnaires. Elle l'a d'ailleurs fait. Mais une fois là, que peut-elle faire de plus ? Bien des choses dont, par exemple, augmenter la production de subsistances du pays et le niveau de vie de ses habitants. Mais pas le socialisme.

Dans tous ces pays le chômage d'une grande partie de la population une grande partie de l'année a été l'un des principaux apports de la domination impérialiste. L'utilisation rationnelle, et parfois coopérative, de la main-d'oeuvre disponible dans les campagnes et dans les villes, surpeuplées par l'afflux de cette main-d'oeuvre agricole qui vient inutilement y chercher du travail, peut permettre d°élever considérablement la production de produits alimentaires. L'U.N.E.S.C.O. a récemment estimé que la mise au travail de tous les bras disponibles dans l'ensemble des pays sous-développés équivaudrait au triple de l'ensemble de l'aide apportée par les pays « avancés ». C'est énorme parce que cela veut souvent dire la disparition de la famine, mais ce n'est pas le socialisme.

Le socialisme nécessiterait obligatoirement la destruction du capitalisme aux États-Unis et en Europe occidentale. Et cela ne peut pas se faire autrement que par l'intermédiaire du prolétariat de ces pays. C'est justement le fait que le prolétariat algérien n'ait joué aucun rôle particulier dans la révolution algérienne qui implique que cette révolution n'est pas socialiste. Car seul le prolétariat révolutionnaire aurait considéré comme vital de s'appuyer sur le prolétariat des pays impérialistes, au besoin en militant pour le sortir de l'apathie que Ben Bella lui reproche.

Mais, pour Ben Bella et son équipe, cela fait aussi une différence . En effet, les paysans sont par définition dispersés dans les campagnes contrairement au prolétariat industriel qui, lui, est concentré dans les centres urbains. S'appuyer sur le prolétariat révolutionnaire cela veut dire être sous son contrôle constant, ou tout au moins risquer de l'être. S'appuyer sur la paysannerie cela suppose obligatoirement une certaine distance vis-à-vis de l'appui. L'ALN a beau être constituée en majeure partie de paysans, les officiers ne sont pas élus, ni révocables par les hommes de troupe. Et ce type d'appui sur la paysannerie, l'État français le connaît bien, ne serait-ce qu'au point de vue électoral, en accordant plus de représentativité aux circonscriptions rurales qu'aux circonscriptions urbaines.

Dire qu'on s'appuie sur les paysans et non sur le prolétariat (entendons la population des villes) c'est simplement une façon comme une autre de dire qu'aucune classe populaire n'exercera directement le pouvoir.

Et ce n'est pas vrai que pour les dirigeants algériens...

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