Nixon obligé de remplacer la politique de «containment» pour traiter au Vietnam01/01/19731973Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Nixon obligé de remplacer la politique de «containment» pour traiter au Vietnam

Plus de deux mois se sont écoulés depuis cette fin octobre où les négociations américano-vietnamiennes enlisées depuis quatre ans semblaient s'accélérer à l'approche des élections présidentielles américaines et où des bruits savamment distillés à partir de Washington laissaient entendre que la signature d'un accord de cessez-le-feu n'était plus qu'une question de jours. L'importance des concessions consenties par les Vietnamiens telles qu'elles ressortaient du texte de projet d'accord publié unilatéralement par Hanoï le 26 octobre, paraissait confirmer que les négociations avaient atteint leur phase ultime, que le projet était bel et bien définitif et qu'il ne restait plus qu'à parapher.

Or les élections passées, le nouveau mandat de Nixon assuré par la neutralisation de ceux qui s'opposaient à sa politique vietnamienne, la paix semble plus éloignée qu'en octobre. La guerre a repris d'intensité au sud du 17e parallèle, le Nord est noyé sous un déluge de bombes, et les rencontres sporadiques entre Kissinger et Le Duc Tho semblent d'une dérisoire inutilité.

Il n'est pas de mots pour exprimer toute l'indignation que l'on ressent face à la jonglerie ignoble à laquelle s'est livré Nixon avec l'espoir de paix des peuples, du sien bien sûr, mais aussi et surtout du peuple vietnamien, pour assurer sa réélection. Mais la politique qu'il a fait sienne dépasse le personnage, pour aussi hypocrite et sinistre qu'il soit.

De toute évidence, l'impérialisme américain a fait le choix de prolonger la guerre et, pour ce qui est du Nord-Vietnam, de l'intensifier.

Pour de nouvelles concessions au Vietnam ?

Pour obtenir davantage de concessions de la part des Vietnamiens ? Ce n'est certainement pas la raison déterminante. Certes, entre les exigences extrêmes telles qu'elles sont exprimées par Thieu, et le projet d'accord d'octobre, il y a de la place pour des concessions supplémentaires de la part de Hanoï et du GRP, notamment sur deux points essentiels.

En premier lieu, Thieu exige la reconnaissance de deux nations vietnamiennes souveraines et indépendantes, c'est-à-dire la consécration définitive et irréversible de deux États vietnamiens et, en corollaire, la déclaration de la ligne du 17e parallèle comme ligne de partage inviolable, alors que le projet d'accord stipule la reconnaissance par les États-Unis de «l'indépendance, la souveraineté, l'unité et l'intégrité territoriale du Vietnam, consacrées par les accords de Genève de 1954».

Mais Hanoï et le GRP ont déjà fait dans ce domaine des concessions majeures qui réduisent cette stipulation en une affirmation de principe dépourvue de contenu au moins pour la période à venir, en reconnaissant l'existence actuelle de deux États vietnamiens, en disjoignant le problème du rapport futur entre ces deux États du règlement de la guerre en cours, en ignorant la question de la réunification dans le projet d'accord. Dans ce domaine donc, les États-Unis ont obtenu l'essentiel.

La deuxième exigence de Thieu est la reconnaissance de la souveraineté de son gouvernement, de son administration et d'eux seuls, sur l'ensemble du territoire sud-vietnamien.

Le projet d'accord, lui, affirmait que «du cessez-le-feu jusqu'à la formation d'un gouvernement issu des élections générales libres et démocratiques, se maintiendront les deux administrations existant au Vietnam du Sud, avec leurs fonctions respectives en politique intérieure et en politique extérieure»...

Le projet d'accord implique déjà, là encore, des concessions importantes de la part du GRP, car ce dernier reconnaît en fait au régime de Saïgon toutes les prérogatives d'un gouvernement pendant la période transitoire comprise entre le cessez-le-feu et les élections et, de surcroît, il accepte la présence de Thieu à la tête de ce gouvernement.

Mais le GRP ne peut pas aller dans ce domaine au-delà de ces concessions. Accepter les exigences de Thieu, signifierait en clair le démantèlement de l'administration et des organismes étatiques que le GRP a mis en place dans une grande partie du territoire sud-vietnamien, autrement dit l'abandon de toutes les positions conquises depuis le début de la guerre. Ce serait, pour le GRP, la défaite. Si les États-Unis se sentaient capables de l'obtenir, ils ne négocieraient même pas. Mais depuis dix ans de guerre et malgré leur corps expéditionnaire d'un demi million de soldats, ils n'en ont pas été capables et c'est bien leur problème.

En conséquence, les concessions supplémentaires qui pourraient être arrachées aux Vietnamiens, ou bien ne sont pas des concessions, mais la reddition pure et simple, ou bien sont mineures.

Une autre politique à la place du containment

Le GRP et Hanoï iraient-ils jusqu'à la plus extrême limite des concessions, il n'en resterait pas moins que ce sont les États-Unis qui partiraient. Pour la première fois de son histoire, l'impérialisme américain serait obligé de décrocher à la suite, sinon d'une défaite, du moins d'une incapacité de vaincre sur le plan militaire.

Ce serait l'aveu que l'impérialisme américain, malgré les extraordinaires moyens dont il dispose, est incapable de garder dans sa sphère d'influence un petit peuple résolu. En comparaison de la portée politique d'un tel aveu, en comparaison des conséquences incalculables qui peuvent en découler sur le plan international, les quelques concessions supplémentaires qui peuvent être arrachées aux Vietnamiens sont dérisoires. La défaite politique que constituerait le départ des États-Unis du Vietnam sous la contrainte sera comprise comme telle à la fois par les peuples sous la coupe de l'impérialisme américain, à commencer par les peuples du Sud-Est asiatique et par les régimes fantoches dont l'assurance repose principalement sur la pérennité du soutien américain. Elle serait également comprise et interprétée comme telle par le bloc soviétique.

L'abandon du Vietnam après dix ans d'efforts militaires pour le garder, sonnerait le glas de la politique du «containment», politique à laquelle s'en sont tenus les États-Unis pendant un quart de siècle, depuis le début de la guerre froide, pour garantir l'équilibre des forces à l'échelle du monde.

Cette politique consiste pour l'essentiel en un vigilant et ferme maintien des zones d'influence, approximativement telles qu'elles avaient été établies à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Sur le plan stratégique, le «containment» était dirigé contre le bloc soviétique, il visait à contenir celui-ci dans les limites fixées, et par conséquent, aussi bien à empêcher toute initiative militaire directe des pays du bloc soviétique pour repousser les limites de leur zone, qu'à prévenir tout mouvement d'émancipation susceptible de faire basculer un pays dans le camp adverse. Mais ce deuxième objectif impliquait également que les États-Unis devaient, seuls, assumer la responsabilité ultime de tout maintien de l'ordre dans leur propre zone. Tout mouvement d'émancipation nationale, toute tentative d'un État de desserrer ses liens avec Washington, se situaient dans le contexte de la rivalité USA-URSS, étaient attisés par cette rivalité, et donnaient à tout conflit qui opposait les États-Unis à un des pays sous sa tutelle une dimension internationale, dans la mesure où il pouvait déboucher sur une modification du statu quo entre les deux blocs.

Au-delà du problème du Vietnam - dont l'importance pour l'impérialisme américain est en lui-même mineur - Nixon a la charge du maintien de l'ordre dans la partie du monde sous le contrôle de l'impérialisme, et celui du maintien du statu quo face au bloc soviétique.

Il ne peut pas assumer la responsabilité d'une défaite patente, susceptible de déclencher une réaction en chaîne, d'encourager des mouvements d'émancipation dans les autres pays de la péninsule indochinoise, à Ceylan, au Pakistan, en Inde ou ailleurs.

Il ne peut, et il le veut d'autant moins qu'il n'y est pas contraint de façon impérative et absolue. Si les États-Unis sont incapables de vaincre la résistance du peuple vietnamien, ils ne sont pas et ils ne peuvent pas non plus être vaincus militairement. Ils ont parfaitement la force et la possibilité de maintenir leur présence au Vietnam aussi longtemps qu'ils le veulent.

Aussi, l'impérialisme américain n'a-t-il l'intention de s'engager dans la voie du dégagement au Vietnam que s'il a la garantie de ne pas mettre la main dans un engrenage risquant de l'amener, un jour ou l'autre, devant la même situation dans tous les pays du Sud-Est asiatique. La fin de la guerre du Vietnam n'est donc possible, pour l'impérialisme américain, que dans le cadre d'un règlement global des problèmes qui se posent en Extrême-Orient.

La politique du «containment» vaut ce qu'elle vaut, mais il n'est pas question pour Washington de l'abandonner tant que le statu quo international n'est pas garanti par d'autres moyens et d'une autre manière.

Et c'est précisément la raison pour laquelle les États-Unis ont amorcé le grand tournant de politique internationale que l'on sait, concrétisé notamment par la réconciliation avec la Chine. Cette nouvelle politique vise en substance à régler le contentieux avec la Chine et éventuellement avec l'Union Soviétique, et à les associer, ensemble ou séparément, à la garantie du statu quo international.

Ce qui implique non seulement que chacune des puissances laissera aux autres les mains libres pour assurer la protection des régimes qu'elles soutiennent dans leurs propres zones, non seulement qu'elles s'abstiendront d'attiser ou même simplement d'aider des mouvements susceptibles de bouleverser l'ordre, même si ce bouleversement peut leur être favorable, mais encore qu'elles se soutiendront mutuellement dans ces tâches de gendarme.

L'unanimité avec laquelle les USA, l'URSS et la Chine ont condamné le mouvement de révolte récent à Ceylan, constitue comme une sorte de prototype de ce que pourrait être l'association des trois grandes puissances pour maintenir l'ordre international établi.

Par ailleurs, les limites rigidement fixées et sauvegardées entre sphères d'influence par la politique de «containment», pourraient être assouplies. Les États-Unis pourraient par exemple accepter qu'un pays puisse quitter leur zone d'influence, à charge de réciprocité de la part des deux autres puissances, ailleurs.

Cette orientation nouvelle, cette tentative de substituer au «containment» une autre politique, est de toute évidence déjà entamée par les États-Unis. Jusqu'où les négociations secrètes entre les trois puissances en sont-elles arrivées, on l'ignore, et on l'ignorera peut-être toujours. Ce qui est certain, c'est que l'attitude des États-Unis au Vietnam est conditionnée par les engagements qu'ils pourront obtenir de la part de la Chine et de l'Union Soviétique. Le cessez-le-feu sera la preuve que les États-Unis auront obtenu ces garanties.

L'accord avec le GRP et la RDV, même s'il est fin prêt, même si aucune modification n'y est plus portée, ne sera paraphé que le jour où les États-Unis auront la certitude que l'Union Soviétique et surtout la Chine, dont le rôle est déterminant dans cette région du monde, pèseront de tout leur poids pour éviter que le départ définitif des Américains du Vietnam ne se traduise par une flambée de mouvements dans le Sud-Est asiatique.

Enfin, il est encore une autre raison pour laquelle les États-Unis ne sont pas pressés de quitter le Vietnam, en dehors des répercussions prévisibles d'un tel départ sur les pays voisins. C'est qu'il est évident que l'impérialisme américain n'a pas intérêt à se présenter dans la partie diplomatique qui s'engage entre les trois grandes puissances, avec une défaite derrière lui. Il n'a pas intérêt à donner la preuve qu'il abandonne la politique de «containment», avant que les autres aient pris des engagements pour pouvoir assurer une autre politique susceptible de garantir l'équilibre des forces.

L'incapacité de l'impérialisme US à imposer sa loi au peuple vietnamien est dans une large mesure à l'origine du bouleversement de la politique internationale des ÉtatsUnis, mais la conclusion de la guerre du Vietnam est elle-même conditionnée aujourd'hui par les engagements réciproques qui seront conclus entre les trois grandes puissances. Et en attendant que les États-Unis obtiennent les garanties qu'ils souhaitent, leurs bombardiers continuent à déverser la mort et la désolation sur le peuple vietnamien.

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