Veillée d'armes électorale : Le PCF a-t-il des chances d'accéder au gouvernement ?01/10/19721972Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Veillée d'armes électorale : Le PCF a-t-il des chances d'accéder au gouvernement ?

La signature conjointe du Parti Socialiste, des Radicaux dissidents et du Parti Communiste Français, au bas d'un «programme commun de gouvernement», représente pour la direction du Parti Communiste Français un incontestable succès politique. Moins pour ses conséquences électorales directes, car les chances de la «gauche», même unie, aux prochaines élections législatives restent très faibles, que parce qu'elle semble illustrer la justesse de la ligne politique suivie par le PCF depuis son éviction du gouvernement en 1947. C'est en effet la fin d'un long isolement politique qui n'aura pas duré moins de 25 ans. Certes, des accords tactiques de désistement au second tour étaient déjà intervenus entre les partenaires actuels, mais c'est la première fois depuis 25 ans que d'autres formations politiques concluent, quelles que soient par ailleurs leurs motivations électorales, un accord politique avec lui.

L'Humanité a qualifié l'accord d'historique et les militants de base ont célébré comme il convenait la sortie du tunnel.

C'est que perdant des années et des années, le PCF avait patiemment et systématiquement expliqué à ses militants que les voies pacifiques vers le socialisme passent par un succès électoral et la formation d'un gouvernement de «gauche» ; pour remporter ce succès l'union de tous les «démocrates», de tous les «républicains sincères», autour d'un programme garantissant l'avenir était indispensable. Il ne fallait donc rien risquer qui puisse effrayer le petit bourgeois allié électoral en puissance. Il fallait éviter l'aventure, qu'elle prenne la forme d'une grève générale, d'un mouvement de rue ou, encore, d'une insurrection. Seuls des irresponsables pouvaient vouloir compromettre le succès électoral inéluctable. Des irresponsables ou des agents provocateurs qui pouvaient spéculer sur l'impatience légitime mais nuisible des militants. Il fallait donc faire confiance au Parti qui voyait loin, qui voyait juste et qui avait choisi la seule voie politique réaliste.

Malheureusement, durant ces longues années d'isolement, cette politique de la main tendue aux «démocrates et républicains sincères» n'avait porté aucun fruit. Pire même, le Parti Socialiste, alors SFIO, premier visé par cette stratégie de charme, était aussi le premier à dénoncer les accointances du PCF avec l'étranger « le PCF n'est pas à gauche, disait Mollet, il est à l'Est ». Quant aux radicaux, ils ne voulaient rien savoir, Mendès France était allé jusqu'à refuser de compter dans sa majorité les voix des élus communistes. Ni la guerre d'Algérie, ni la venue au pouvoir de de Gaulle, n'allaient sortir le PCF de son isolement sauf pour le temps d'une manifestation (28 mai 1958, Charonne). Et quand Mitterand, leader de la Convention, devint le candidat de la gauche aux présidentielles de 1965, ce fut sans la moindre contre-partie politique. En Mai 68 enfin, le PCF, qui n'avait pourtant aucune intention d'exploiter politiquement le mouvement de rue et la grève, se retrouva lâché par tous, y compris par Mitterand.

Bref, il était manifestement difficile pour le militant du rang de croire à la politique « d'union de la gauche », il s'y résignait faute d'autres perspectives mais l'attitude du Parti le mettait mal à l'aise, non seulement lors de certains désistements scandaleux (Toulouse aux dernières municipales) mais encore dans la vie quotidienne par l'opposition. de plus en plus manifeste du Parti à un certain nombre de mouvements grévistes.

La signature du programme commun vient aujourd'hui à point nommé rassurer, rasséréner les membres du Parti. Et si le militant du rang pense certes que la bataille électorale sera chaude, il pense aussi que la victoire peut être en vue et qu'un gouvernement de la gauche unie, à participation communiste bien entendu, ne fait plus partie des espoirs lointains mais peut devenir demain, très bientôt, une réalité.

En somme grâce à la signature du programme commun de gouvernement et aux illusions qu'elle engendre chez les militants, l'appareil du Parti aura au moins marqué un point important, il aura repris totalement la base en mains.

C'est certainement là l'acquis le plus positif pour la direction du PCF. Car pour le reste, pour son avenir «national», les choses ont finalement fort peu avancé. Le retour du PCF dans le giron de la bourgeoisie nationale, sa participation au gouvernement, restent des objectifs encore fort éloignés et fort aléatoires.

L'événement « historique » du programme commun se réduit, tous comptes faits, à ce qu'une équipe de la bourgeoisie ait reconnu le PCF comme un interlocuteur valable et lui ait décerné un brevet d'honorabilité qui n'engage d'ailleurs qu'elle-même.

C'est qu'en dépit de ses déclarations de loyauté, de ses efforts, et même en dépit des services rendus, le PCF reste pour la bourgeoisie un parti pas-comme-les-autres, un parti dont elle se méfie et qu'elle n'appellera à la direction de ses affaires qu'en des circonstances exceptionnelles, quand elle ne verra pas d'autres moyens de sauvegarder sa domination de classe. En attendant la politique de la bourgeoisie vise à le tenir rigoureusement à l'écart de la vie politique, malgré les cinq millions d'électeurs «communistes», malgré les milliers de maires, de conseillers municipaux, de conseillers généraux, de députés du Parti. Elle le tient à l'écart et le traite comme un corps suspect, ne ménageant contre lui ni les calomnies les plus démagogiques, ni les filouteries constitutionnelles. C'est ainsi que le PCF est sous-représenté au parlement et que le découpage des circonscriptions a été minutieusement calculé pour noyer les électeurs dits rouges dans les voix de droite au du centre. C'est ainsi que tout le personnel politique de la bourgeoisie, y compris les hommes qui se réclament de la gauche socialiste ou radicalsocialiste (quelles que soient les étiquettes), tiennent à se démarquer systématiquement du PCF, même et surtout quand, comme aujourd'hui, ils concluent un accord politique avec lui.

Les raisons de cet ostracisme sont nombreuses. Elles tiennent en grande partie à l'origine du PCF, à ses liens avoués et affichés avec le Kremlin.

Certes entre le petit Parti Communiste de 1924 parfaitement et officiellement stalinien, et le grand parti de masse de 1972 qui entend à l'occasion marquer ses distances il y a eu incontestablement évolution, mais cette évolution, pour aussi manifeste qu'elle soit, reste très lente, marquée de nombreux temps d'arrêt et elle est loin, très loin, d'être parvenue à son terme.

En fait à quoi se réduisent les symptômes actuels de cette évolution ? Publiquement à fort peu de choses. C'est l'affaire Tchécoslovaque qui a été l'occasion d'une démarcation incontestable vis-à-vis de la politique de Moscou. Les réserves d'Aragon sur la condamnation de Siniavsky et Daniels, pouvaient encore passer pour une de ces manifestations individuelles que le Parti tolère parfois chez certains de ses intellectuels. Mais le 21 août 1968, c'est le bureau politique du PCF lui-même qui prit position sur l'intervention russe en Tchécoslovaquie. L'événement provoqua un tel remous dans le Parti et à sa direction, qu'à la réunion du Comité Central d'octobre 1968, Jeannette Vermersch donnait sa démission du bureau politique et du C.C. Et ce fut tout pour quatre ans, quatre ans de normalisation de la part des Russes, et quatre ans de silence de la part du PCF Aujourd'hui le bureau politique vient à nouveau de prendre position sur les procès actuels en Tchécoslovaquie. Même si l'on considère que c'est là le prix, ou l'un des prix, qu'il a du payer pour obtenir la signature socialiste au bas du programme commun, il n'en reste pas moins que cette réprobation qui a «choqué» Husak a dû aussi «choquer» les dirigeants russes qui sont derrière lui.

Mais si le PCF a rompu publiquement la solidarité sans faille qui l'unissait depuis toujours à Moscou à propos de l'affaire Tchécoslovaque, cette rupture semble jusqu'ici se limiter précisément à l'affaire Tchécoslovaque. Dans tous les autres problèmes de la politique internationale, le PCF s'aligne fidèlement sur les positions de Moscou. Qu'il s'agisse de la Chine, du Vietnam, de l'Allemagne, du Moyen Orient, de la coexistence pacifique, ou même de la situation des Juifs en Union Soviétique, l'Humanité ne se laisse aller à aucune incartade.

Tout au plus, la sécheresse de certains communiqués ou l'absence de commentaires au bas de certaines informations marquent-elles ce que l'on peut considérer comme une réserve mais en aucun cas comme une condamnation.

C'est tout à fait insuffisant pour que la bourgeoisie puisse penser que le PCF au pouvoir défendrait sans difficultés ses intérêts nationaux à elle, principalement en matière de politique extérieure, et non plus les intérêts du Kremlin. C'est d'autant plus insuffisant que si la bourgeoisie française a pu avec de Gaulle pratiquer une politique de relative indépendance vis-à-vis de l'impérialisme US, elle n'en reste pas moins fondamentalement dans le camp des impérialistes. Et en cas d'une brusque et éventuelle aggravation de la tension internationale, si elle sait parfaitement où est sa place à elle, elle ne peut dire et nul ne peut dire à sa place, à quel camp choisira de se rallier le PCF Autant dire que, dans la voie qui mène à l'indépendance vis-à-vis de Moscou, le PC,F. n'a pas encore donné de gages décisifs ou qui puissent être considérés comme tels par la bourgeoisie française.

En fait les déclarations du PCF sur la Tchécoslovaquie en 1968 et de nos jours, concernent moins la bourgeoisie que l'équipe Mitterand et le Parti Socialiste Ceux-ci feignent de s'en contenter pour justifier auprès des électeurs mais surtout auprès de la bourgeoisie l'alliance «hors nature» qu'ils viennent de conclure avec le Parti, mais, ce faisant, ils préservent surtout leur propre avenir politique.

Et pourtant même si les manifestations d'indépendance du PCF se réduisent à peu de choses publiquement, même si elles obéissent à des considérations tactiques, faciliter l'union de la gauche par exemple, elles n'en sont pas moins l'indice de changements considérables survenus au sein du PCF.

Ces changements ne sont pas le fruit d'une politique délibérée, mais au contraire la conséquence de son développement national.

Car si la dépendance du PCF vis-à-vis de Moscou pouvait avoir un caractère absolu quand le PCF ne pouvait se passer de l'appui de la bureaucratie russe, de sa caution morale d'héritière de la révolution d'Octobre et - c'est loin d'être négligeable - de ses subsides matériels, elle ne pouvait que tendre à se relâcher au fur et à mesure que le PCF devenait un parti de masse, c'est-à-dire acquérait sa propre assise nationale.

Cette assise, il l'a acquise aux dépens de la social-démocratie, sur la base d'une même politique nationale et réformiste, et dans les mêmes couches sociales qu'elle. Cette assise très large (sans compter ses 5 millions d'électeurs le PCF compte plusieurs centaines de milliers de militants et de sympathisants actifs) se traduit aujourd'hui par toute une série de «places-fortes» et de structures bien intégrées dans la société bourgeoise. Le PCF tient en mains l'appareil syndical le plus puissant du pays, la CGT Par son intermédiaire, il dispose de postes, de subsides, par la gestion des budgets des comités d'entreprises, il dispose même d'un certain poids économique. Au travers des municipalités, des conseils, des gestions d'administrations locales ou nationales (Sécurité Sociale etc... ), il bénéficie des privilèges que la bourgeoisie réserve à l'aristocratie ouvrière. Il a en outre ses propres affaires, ses imprimeries, ses maisons d'éditions, de disques, ses coopératives d'achat, etc... Bref par mille liens, le PCF se trouve non seulement adapté à la société capitaliste mais intégré, partie prenante du système. Cette «installation» ne peut manquer de se traduire politiquement, et il est de fait que des couches nationales, des intérêts nationaux, ont trouvé en lui une expression politique. Il suffit de lire le fameux programme commun de gouvernement pour s'en convaincre. Ces intérêts nationaux qui s'expriment au travers de sa politique ce ne sont pas, bien évidemment, ceux du prolétariat. Sur le plan réformiste le PCF est d'une modestie telle que sa revendication, le salaire minimum à 1 000 F, est aujourd'hui reprise par le gouvernement qui en fait son objectif pour les tous prochains mois ! Ce sont les intérêts de la bourgeoisie française, rendue plus indépendante encore de l'impérialisme américain par des nationalisations nouvelles, que le PCF entend servir et il le dit explicitement quoiqu'en d'autres termes dans son programme.

Ce n'est pas nouveau, c'était déjà la politique du PCF en 1944-47, et c'est celle qu'il n'a pas cessé de proclamer depuis son éviction du gouvernement.. La seule différence c'est qu'en 1945 le PCF, par suite de la conjoncture internationale, pouvait être parfaitement fidèle à Moscou tout en se montrant serviteur zélé et efficace des intérêts bourgeois français. Aujourd'hui la situation est plus complexe. La conjoncture internationale n'est certes pas défavorable - à bien des égards la politique extérieure gaulliste et postgaulliste est vue d'un bon oeil par Moscou - mais la bourgeoisie française n'ayant pas besoin de lui au gouvernement, le PCF est, bon gré mal gré, dans l'opposition.

Car c'est là que se trouve la clé du destin national du PCF. Son intégration totale dans le giron de la bourgeoisie française vers laquelle le poussent toutes les forces de son assise nationale, ne dépend pas en fin de compte de lui. Une éventuelle rupture avec Moscou est certes une condition nécessaire mais non suffisante. En fait, tout dépend de la bourgeoisie française, c'est elle qui peut, en fonction de ses difficultés et de ses problèmes, accélérer au ralentir cette évolution.

Car les liens avec Moscou ne constituent pas le seul grief que la bourgeoisie formule à l'encontre du PCF, elle lui reproche aussi, et c'est loin d'être secondaire, de se montrer trop sensible aux réactions de la classe ouvrière, trop jaloux de son hégémonie au point parfois de rompre le pacte tacite qui l'unit à la bourgeoisie pour ne pas être débordé dans la lutte.

C'est pourquoi la bourgeoisie française n'a pas besoin du PCF au gouvernement. Globalement et à part des incartades limitées comme Mai 68, il lui rend, dans l'opposition, tous les services qu'elle peut attendre de lui. Dans les périodes de calme social, quand il ne doit pas s'attaquer de front à la classe ouvrière, il est le frein le plus puissant aux revendications ouvrières, le garant responsable de l'ordre social et des profits capitalistes. Aussi bien par ses méthodes d'action : grèves sectorielles, tournantes, limitées, que par ses objectifs revendicatifs tout à fait en deçà des besoins réels de la classe ouvrière (1 000 F par mois minimum, retour progressif aux quarante heures) le PCF, et son appendice syndical, la CGT, ne font rien qui puisse gêner la bonne marche de l'impérialisme français.

Mais sans conteste le PCF au gouvernement coûterait plus cher à la bourgeoisie que le PCF dans l'opposition. Or la bourgeoisie française ne peut pas se payer le luxe d'une social-démocratie puissante et intégrée avec tout ce que cela comporte. La bourgeoisie paie déjà le maximum pour avoir des appareils syndicaux qui contiennent et assagissent les revendications ouvrières, elle n'est pas prête à faire plus. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles, quand il s'agirait pour elle de lâcher une partie pour sauver l'essentiel, comme en Juin 36 par exemple, qu'elle pourrait avoir recours à la collaboration gouvernementale du PCF Ce n'est que face à une montée ouvrière menaçante qu'elle accepterait de rogner sur des profits que la porte de son empire colonial a déjà bien réduits, pour satisfaire en partie les revendications ouvrières et entretenir une armée supplémentaire de bureaucrates social-démocrates, à son service.

L'ère de la démocratie parlementaire assurant sa domination pas l'intégration dans ses rouages d'une organisation social-démocrate puissante est close. En asseyant son régime bonapartiste sur la faillite du parlementarisme, de Gaulle n'a pas ouvert un intermède, il a définitivement terminé une époque. Le PCF a beau vouloir être entièrement intégré, la bourgeoisie ne le veut plus. Elle veut bien le service, mais elle ne peut pas payer les gages, en tous cas pas assez pour intégrer complètement le PCF.

Dans ces conditions, il n'est pas dans l'intérêt du PCF de rompre intégralement avec la bureaucratie russe et avec les avantages que cette liaison lui procure. Car ces avantages, aujourd'hui encore, sont bien réels. Non seulement parce que le PCF peut s'appuyer sur l'autorité de l'Union Soviétique, deuxième puissance industrielle mondiale, et de son rayonnement politique international, mais aussi parce que les liens qui l'unissent à elle, lui fournissent encore aujourd'hui, des subsides matériels non négligeables. En particulier par l'intermédiaire des banques et du monopole des organismes commerciaux qui assurent le commerce extérieur entre la France et les pays de l'Est.

Toute perspective d'avenir gouvernemental lui étant provisoirement barrée par la bourgeoisie elle-même, le PCF, allant à contre-courant d'une évolution qui le pousse irrésistiblement à relâcher ses liens avec Moscou., limite donc ses manifestations d'indépendance à ce qui lui est tactiquement nécessaire pour sortir de son isolement politique et satisfaire ses alliés socialistes. Cette position est inconfortable, mais le PCF n'a pas le choix. En son sein et plus précisément au soin de sa direction, les deux tendances s'affrontent au travers d'individus représentatifs. C'est en octobre 1968 que la crise fut la plus visible de l'extérieur, avec la fracassante démission de Jeannette Vermersch, chef de file de la tendance moscoutaire, et le blâme non moins retentissant infligé à Garaudy considéré comme le chef de file de la tendance intégrationniste, qui devait quelques mois plus tard quitter définitivement le Parti.

Faute de perspective historique et pour sauver l'unité du Parti, faute de pouvoir l'emporter l'une sur l'autre, les deux tendances qui pèsent sur le PCF ont trouvé un provisoire point d'équilibre. Chargé de concilier l'inconciliable, chargé d'unir dans une même politique ceux qui vivent directement de Moscou, et ceux qui n'entendent vivre qu'au service de la bourgeoisie française, l'incolore Georges Marchais manoeuvre dangereusement. Entre la pression d'Abrassimov, ambassadeur d'URSS à Paris, qui accuse Mitterand d'anti-soviétisme, et l'attirance de l'union de la gauche, Georges Marchais louvoie tant bien que mal, en espérant tenir la barre égale au moins jusqu'aux législatives.

Gagner du temps en attendant l'ouverture (l'ouverture de la bourgeoisie), voilà à quoi se réduit la ligne politique du PCF. Quels que soient les grands mots dont il la pare, voies pacifiques vers le socialisme, union populaire, démocratie avancée, etc..., cette politique n'est qu'une politique d'attente destinée à ménager l'avenir en recherchant quelques appuis dans le personnel politique bourgeois, même si ces appuis sont intéressés, incertains, pour ne pas dire traîtres à coup sûr. Voilà la seule perspective que le PCF a à offrir à ses militants à travers de l'union de la gauche et du programme commun.

Cette attente peut-elle durer indéfiniment ?

Sur le plan politique le PCF qui a définitivement et depuis belle lurette basculé dans le réformisme, et qui a enfermé ses militants dans le carcan de l'union de la gauche et des voies pacifiques vers la socialisme , peut encore attendre longtemps.

Mais sur le plan revendicatif sa situation est plus instable. C'est que le réformisme ce n'est pas seulement la renonciation à la prise du pouvoir par des moyens révolutionnaires, c'est aussi sur le plan social l'obtention d'avantages économiques importants au moins pour une partie du prolétariat (l'aristocratie ouvrière), et de miettes pour les autres. Ce réformisme-là pour exister doit être efficace. Il doit être payant pour les ouvriers. Or la bourgeoisie française ne veut rien lâcher et le PCF, pour ne pas lui déplaire, pour lui montrer qu'il est responsable, soucieux des intérêts généraux de l'économie française, c'est-à-dire de l'économie capitaliste, n'engage pas la lutte nécessaire pour disputer au patronat des avantages quelque peu consistants. D'où ces tactiques dilatoires qui consistent à disperser les mouvements dans l'espace et dans le temps, ces rondes d'actions inutiles, ces coups d'arrêt face aux luttes plus dures, cette politique de négociations, de signatures de contrats et autres démarches autour du tapis vert. La plupart du temps ces actions correspondent grosso-modo à la conscience de la classe ouvrière qui n'a guère envie de se «battre» quand elle n'y est pas poussée par la nécessité. Mais en certaines occasions cela est tout à fait insuffisant. Et c'est dans ces circonstances que l'on peut mesurer l'étroitesse de la marge de manoeuvre dont dispose le PCF.

Car l'influence que le PCF possède sans conteste sur la classe ouvrière, influence étendue, multiple, relativement constante, est bien la seule monnaie d'échange dont il dispose vis-à-vis de la bourgeoisie. C'est elle et elle seule qui lui permettra peut-être demain d'être appelé au gouvernement afin de contenir avec le maximum d'efficacité la montée ouvrière et de la faire refluer. Cette influence qui est donc sa seule garantie pour l'avenir et qui est le fondement de sa puissance actuelle, il ne peut se permettre de la perdre ni même de risquer de la perdre, sans scier lui-même la planche sur laquelle il est assis. S'il lui est possible en temps ordinaire, de sauvegarder les apparences, de concilier les timides revendications ouvrières avec les intérêts économiques immédiats et lointains de la bourgeoisie, en période de conflit aigu il doit choisir son camp, au moins en apparence et tactiquement. Or en choisissant ouvertement le parti de la bourgeoisie, il s'expose à perdre son influence sur la classe ouvrière, son atout majeur dans la partie politique à long terme qu'il a engagée avec la bourgeoisie. Mais en choisissant le camp de la classe ouvrière, c'est vis-à-vis de la bourgeoisie qu'il se montre irresponsable. Il la confirme dans sa méfiance en lui prouvant qu'elle ne peut pas compter sur lui en toute circonstance. D'ailleurs, dans les occasions où un tel choix s'est posé, le PCF a toujours choisi le camp de la classe ouvrière, que ce soit en 1947 où il donna sa démission du gouvernement pour ne pas désavouer la grève Renault - après avoir tout fait pour l'arrêter - ou en 1968 quand il prit délibérément la tête du plus puissant mouvement de grève avec occupations que le pays ait connu depuis 1936. Et il l'a choisi en expliquant clairement ses raisons :«jamais le Parti ne se laissera déborder à gauche» a-t-il dit explicitement en 1947, face aux militants trotskistes de notre tendance qui étaient les initiateurs et les dirigeants de la grève Renault. Il l'a laissé clairement entendre en Mai 68 quand, balayé en quelques jours des universités, il a craint de subir le même sort dans les entreprises où se manifestait - déjà en plusieurs endroits une volonté de lutte toute nouvelle. Certes que ce soit en 1947 ou en 1968 le choix du PCF est resté tactique, il n'a pris la tête du mouvement ouvrier que pour mieux le circonvenir, pour mieux le stopper aux moindres frais pour la bourgeoisie. Mais ce faisant, et dans un premier temps, il a pris le risque de mécontenter la bourgeoisie plutôt que de voir son influence réduite en milieu ouvrier.

C'est dans la même perspective que l'on peut expliquer la haine du PCF pour les gauchistes. Ce n'est pas seulement la haine des réformistes pour les révolutionnaires, c'est un réflexe de défense de la part d'un parti, réformiste en actes, mais ambigu en paroles et qui ne peut tolérer de concurrent sur sa gauche susceptible, éventuellement, en certaines circonstances, d'exprimer la volonté de lutte de la classe ouvrière, de lui disputer son influence sur les travailleurs et donc de le frustrer, lui, d'années d'efforts en vue d'aboutir à la participation gouvernementale.

C'est ainsi que le complément nécessaire à la politique d'union populaire est bien la politique de violence systématique et d'ostracisme vis-à-vis des gauchistes. En effet, dans les deux cas, il s'agit pour le PCF de gagner du temps, en se préservant sur sa gauche, en se ménageant d'éventuels alliés sur sa droite. Écarté du pouvoir, et donc de la vie politique nationale à son plus haut niveau par la volonté de la bourgeoisie, le PCF, qui n'est pas maître de son évolution, en est réduit à tenir et, d'accord historique en défaite électorale il veille à conserver jalousement son atout majeur, c'est-à-dire son emprise sur la classe ouvrière de ce pays. Cela l'amène à tremper dans les combines électoralistes d'un aventurier politique comme Mitterrand ; cela l'amène aujourd'hui à aider, dans une certaine mesure, à la remise en selle d'un vieux parti comme le Parti Socialiste, que l'on croyait à tout jamais disqualifié en milieu ouvrier. Et finalement, l'étroitesse de la marge de manoeuvre du PCF, son manque de perspective historique, sont tels qu'avec la signature du programme commun il fabrique peut-être lui-même pour la bourgeoisie une solution politique centrée autour de Mitterrand, et qui serait moins coûteuse que celle qui consisterait à appeler le PCF au gouvernement pour conjurer une situation de grande tension sociale.

Autant dire que, loin de se rapprocher de ce qui demeure son objectif fondamental, il contribue peut-être paradoxalement à s'en éloigner. Mais le PCF qui représente une solution réformiste déjà complètement dépassée par l'histoire, a-t-il un autre choix ?

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