Interventions des groupes invités (extraits)16/12/20182018Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2018/12/196.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Interventions des groupes invités (extraits)

Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)

Il n’y a pas eu aux Antilles de mouvement type gilets jaunes comme dans l’Hexagone ou à La Réunion. Cela ne nous a pas empêchés de dire qu’il serait bon qu’aux Antilles aussi les travailleurs s’engouffrent dans la brèche ouverte pour exiger l’augmentation générale des salaires, des pensions, des allocations et leur indexation sur le coût réel de la vie. Nous avons organisé une conférence de presse et distribué largement un tract spécial à ce sujet dans les deux îles et organisé une réunion publique là-dessus en Guadeloupe.

Pluie de subventions pour la bourgeoisie

En Martinique, Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, c’est le dernier voyage de Macron du 26 au 30 septembre dernier qui a donné le ton de sa politique antillaise. Comme dans l’Hexagone, il y a les menaces voilées, un peu de pommade, mais toujours le cap : celui de faire payer aux classes populaires la dette et les profits des classes riches et aisées. Et tout cela derrière une gestuelle hypocrite d’embrassades et autres selfies. Et derrière aussi de nouvelles appellations. Pour définir la France et l’Outre-mer on devrait parler maintenant d’« archipel de France ». Saviez-vous que vous habitiez un archipel avec des îles situées entre 7 000 et 17 000 kilomètres de vous ? Voilà le nouveau décor macroniste pour masquer sa véritable politique outre-mer.

Depuis 2009 c’était la ­Lodéom, la « loi pour le développement économique de l’Outre-mer », qui tenait lieu de politique outre-mer. Son axe principal était la poursuite d’une large défiscalisation des entreprises et des milieux riches et aisés. Cela n’a pas changé. Seulement Macron, pour donner le change, dit vouloir abandonner la Lodéom pour s’appuyer sur deux nouveaux projets qui sont le livre bleu outremer issu des assises de l’Outre-mer, une imitation de ce que Sarkozy avait déjà fait, à la suite des grèves générales de 2009. Le deuxième projet est la loi dite hypocritement d’égalité réelle, préparée et votée sous Hollande et ses amis, dont le Guadeloupéen Victorin Lurel, ex-ministre des Outre-mer.

C’est toujours le patronat qui est choyé. Sur les centaines d’aides aux entreprises d’outre-mer, qui s’ajoutent aux aides nationales, citons : l’aide à l’investissement outre-mer, les exonérations d’impôts en zone franche d’activité, la réduction d’impôt pour souscription au capital de certaines sociétés, l’avance sur les dettes dues par les collectivités locales. Outre les multiples avantages dont bénéficient les plus grandes entreprises, le secteur du BTP et les entreprises de moins de onze salariés bénéficieront de 100 % d’exonération fiscale jusqu’à 1,3 smic, 20 % d’exonération jusqu’à 2,3 smic et même 1,8 % jusqu’à 3,5 smic. Et il se trouve des sénateurs et les milieux patronaux d’outre-mer, comme la Fedom (Fédération des entreprises d’outre-mer) pour réclamer à cor et à cri l’augmentation des ces exonérations !

La vie chère, une réalité

D’un autre côté, Macron déclarait récemment aux Antilles à propos de la prime de vie chère des fonctionnaires : « Ayons cette lucidité collective de dire que nous avons organisé la vie chère par une politique de surrémunération. Je ne propose pas, à ce stade, d’y revenir, mais, à un moment donné, nous devrons collectivement, et ça devra venir de vous, proposer d’en sortir. Parce que c’est la surrémunération des uns qui crée la pauvreté des autres. »

Ce qu’il appelle surrémunération est la prime gagnée à l’issue d’une grève historique par les travailleurs en 1953. Elle n’était accordée jusque-là qu’aux fonctionnaires métropolitains venus travailler ou mutés aux Antilles. Depuis, cette prime a été élargie à d’autres catégories de travailleurs du parapublic et parfois du privé qui touchent entre 20 % et 35 % de plus sur leur salaire. Évidemment, le gouvernement veut la supprimer. Ce fut aussi le grand désir des gouvernements Sarkozy et Hollande et des précédents. Mais aucun ne s’est décidé à le faire, de peur d’une explosion sociale aux Antilles et en outre-mer.

L’argument de Macron n’est pas seulement une menace, c’est une bêtise. Loin de créer la pauvreté des autres, la surrémunération permet au contraire à bien des familles d’aider un tant soit peu les enfants et les autres proches qui sont chômeurs.

Selon l’Insee, « les prix sont plus élevés en Martinique et en Guadeloupe qu’en France métropolitaine de 12,5 %. Les écarts de prix s’expliquent en grande partie par la cherté des produits alimentaires outre-mer », plus chers de 33 %. La prime de vie chère est donc pleinement justifiée.

De plus, des taxes supplémentaires sur le rhum sont imminentes. Les députés les ont déjà votées. Prétendre qu’il s’agit de lutter contre l’alcoolisme est une fable. Ces nouvelles taxes seront imposées pour faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État et ne feront qu’augmenter le coût de la vie.

Le chlordécone et les sargasses

À propos du chlordécone, ce pesticide répandu sur les plantations de banane qui empoisonne 90 % de la population aux Antilles françaises et au premier chef les ouvriers agricoles, Macron a été obligé de reconnaître la responsabilité de l’État. Il ne pouvait pas faire autrement. En effet, deux ministres de deux gouvernements précédents avaient autorisé l’utilisation de ce pesticide sous la pression des gros planteurs békés, alors qu’il était interdit en métropole et, depuis bien plus longtemps, aux États-Unis.

Aujourd’hui, pour le gouvernement français, il n’est pas question de reconnaître la responsabilité du chlordécone dans certains cancers, en particulier celui de la prostate. Macron avait tout juste déclaré vouloir « avancer sur le chemin de la réparation » et « avancer davantage sur la question des maladies professionnelles pour les personnes particulièrement exposées à la molécule ».

Mais on n’avance pas, on recule. Le 9 novembre dernier, la majorité de l’Assemblée nationale a rejeté l’amendement du député de Fort-de-France, Letchimy, allié aux socialistes. Il proposait de porter de 2 à 4 millions les crédits qui devraient permettre de mieux dépolluer les sols contaminés. Eh bien, la majorité a rejeté cet amendement.

Pendant ce temps, des ouvriers agricoles sont gravement atteints et depuis des dizaines d’années les décès par cancers de la prostate sont innombrables parmi eux et au sein de la population. Les ouvriers agricoles et des membres de la population se battent afin d’obtenir la responsabilité officielle du chlordécone dans les cancers, en particulier de la prostate. Le 24 mars, en Martinique, plusieurs centaines de personnes ont défilé en protestation contre le chlordécone.

À propos des sargasses, ces algues polluantes qui dégagent du sulfure d’hydrogène et de l’ammoniac lorsqu’elles parviennent sur les côtes, la population habitant le littoral a dû se mobiliser et manifester pour se faire entendre car la cohabitation avec les sargasses pourrissantes est invivable. Voilà un phénomène relativement nouveau qui touche gravement toutes les îles de la Caraïbe et détruit certaines plages ainsi que la faune marine. Les communes et les assemblées locales sont financièrement complètement dépassées par le phénomène. Elles ne peuvent faire face sans l’aide de l’État. Mais comme partout, aux Antilles, comme dans l’Hexagone, les crédits de l’État aux collectivités locales sont de plus en plus réduits. Et c’est la population qui en fait les frais. Macron a certes proposé une aide de l’État mais c’est une peccadille eu égard aux moyens urgents et radicaux et pérennes qu’il aurait fallu prendre.

Le scandale de l’eau

Mais cela encore n’est rien à côté du scandale du manque d’eau aux robinets qui touche plus particulièrement la Guadeloupe. Nous ne sommes pas au Sahel, mais en Caraïbe, dans une région du monde particulièrement pluvieuse, même trop arrosée. Avec ses dizaines de rivières bien remplies, les Amérindiens de Guadeloupe l’appelaient Karukéra, ce qui signifie l’île aux belles eaux. C’est tout dire. Alors la raison de cette pénurie d’eau au robinet n’est évidemment pas le manque d’eau. C’est l’extrême vétusté du réseau. Il fuit 60 % de l’eau en pure perte en raison du pourrissement de la tuyauterie sur l’ensemble du réseau d’adduction. Les élus locaux ont laissé cette situation se détériorer d’année en année. Les multinationales de l’eau comme Veolia ont empoché des millions pendant des années avant de quitter la Guadeloupe et après avoir distribué des pots-de-vin.

Le changement institutionnel utilisé comme diversion

Et les dirigeants de ses assemblées locales voudraient nous faire croire qu’un changement institutionnel pourrait changer les choses ! Ils proposent de suivre l’exemple de la Martinique en prônant une assemblée unique, remplaçant conseil régional et assemblée départementale (l’ancien conseil général).

L’exemple de la nouvelle collectivité territoriale de Martinique (CTM), après trois années d’existence, montre que rien n’a changé, sinon en pire pour les travailleurs et les classes populaires. Les dirigeants indépendantistes de la CTM montrent leur mépris total pour les travailleurs contractuels de cette même CTM lorsqu’ils font grève périodiquement pour améliorer leur statut. La CTM, dirigée par des indépendantistes alliés à la droite (Les Républicains), après trois ans d’existence n’a prouvé que deux choses : premièrement, qu’elle était aux ordres de la bourgeoisie et des puissances d’argent locales ainsi qu’aux ordres des serviteurs politiques de cette classe, le gouvernement français, celui-là même qu’elle qualifie de colonialiste. Et deuxièmement, son mépris total pour les travailleurs. On l’a particulièrement remarqué au cours des grèves de travailleurs contractuels de la CTM.

Ces changements institutionnels ne sont que des artifices politiciens, une supercherie pour illusionner la population en lui faisant croire que cela améliorera son sort. Rien n’est plus faux. Quant aux parlementaires, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité actuelle, leur rôle de serviteurs des classes aisées et de serviteurs zélés aux ordres des gouvernements ne change pas. Dernièrement, la loi pour la suppression de l’abattement de 30 % des impôts sur le revenu aux Antilles a été votée malgré l’amendement de plusieurs députés antillais. Mais on sait que certains députés macronistes des Antilles, qui avaient signé l’amendement contre la suppression de cet abattement fiscal, avaient déjà donné leur accord au gouvernement. De plus, il faut savoir que cette proposition de suppression de l’abattement fiscal avait déjà été proposée par le gouvernement Hollande dans la loi sur l’égalité réelle. C’est Victorin Lurel, ex-ministre guadeloupéen et socialiste des Outre-mer, qui avait préparé cette loi. Il y avait même proposé la suppression de la prime de vie chère. On le voit, c’est donc comme toujours avec l’appui des parlementaires locaux que les gouvernements de Paris font passer leur politique outre-mer contre les intérêts des travailleurs, et c’est bien le gouvernement Hollande qui a préparé ce terrain-là à Macron.

Certains secteurs toujours mobilisés

Il n’y a pas eu cependant cette année de luttes particulièrement marquantes ou offensives dans les entreprises, contrairement à l’année dernière, qui avait été marquée par la grève des ouvriers agricoles de la banane en Guadeloupe et la manifestation importante contre la suppression des CDD en Martinique. Cette année, la mobilisation est en baisse chez les CDD, mais malgré tout certains ne baissent pas les bras, en particulier les travailleurs contractuels de la CTM qui ont mené déjà plusieurs grèves.

Il faut noter toutefois la grève illimitée des travailleurs du groupe Carrefour Milenis qui se poursuit actuellement en Guadeloupe, contre la suppression de toutes leurs primes ; celle des ouvriers agricoles de la plantation Assier en Martinique, qui vient de se terminer avec des avantages pour les ouvriers, et la grève des entreprises de transports en commun de Fort-de-France contre un licenciement.

En Guadeloupe, après leur grève victorieuse de l’année dernière, les ouvriers de la banane ont à faire face, aujourd’hui, à la vengeance de quelques patrons qui licencient les travailleurs les plus combatifs. Cependant, on constate que malgré la répression patronale, les tracasseries diverses, les convocations à la gendarmerie, les travailleurs, en particulier tous ceux de l’ancien comité de grève, continuent de se battre. Ils se battent pour faire respecter les accords issus de la grève et pour les réembauches. Ils sont un peu le dos au mur. Mais il est quand même réconfortant de constater que tous ceux qui étaient en pointe pendant la grève se retrouvent encore nombreux dans les réunions et les manifestations sur le terrain.

En Martinique, les 11, 12, 13 juin les salariés du centre hospitalo-universitaire ont fait grève et manifesté contre les restrictions budgétaires et les suppressions de postes annoncées. Lors de l’arrivée de Macron en Martinique, une manifestation de rue contre la politique antiouvrière de Macron a rassemblé 300 travailleurs à l’appel de plusieurs syndicats. Il y eut aussi plusieurs petites mobilisations populaires, limitées, dispersées mais fréquentes à partir de problèmes subis au quotidien par la population.

En Martinique, une partie de la population s’est associée à la grève des hospitaliers contre les restrictions dans la santé publique en organisant des manifestations de mécontentement, ici et là dans les rues. Face aux problèmes causés par les algues sargasses, les ministres Girardin et Hulot, ce dernier étant encore ministre de l’Écologie, ont dû faire face au mécontentement populaire tout au long de leur visite. De même, plusieurs petits comités de quartier et de communes ont exprimé leur colère face à la pénurie de l’eau en Guadeloupe.

États-Unis

Agissant un jour comme un voyou, le lendemain comme un turbulent enfant de trois ans, cela fait deux ans que Trump domine la vie politique des États-Unis. Au cours des mois qui ont précédé les élections de novembre dernier, il s’est montré dans pratiquement tous les États, a tenu presque un meeting par jour, faisant campagne autant pour lui-même que pour les candidats républicains qu’il était censé soutenir. L’axe de ses discours, répété sur tous les tons, était qu’il avait besoin des républicains pour le protéger d’une destitution, même s’il n’a pas utilisé ce terme.

En fait, les élections ont amené une majorité de démocrates à la Chambre des représentants, qui est renouvelée tous les deux ans. Les trois États industriels du Midwest, qui étaient passés aux républicains lors des élections de 2016, assurant ainsi la victoire de Trump, sont repassés cette fois aux démocrates. Le Sénat, dont le tiers seulement a été renouvelé, est certes resté aux mains des républicains, mais ces élections n’ont pas donné à Trump ce dont il avait besoin. En réalité, c’est un feu vert donné à ceux qui enquêtent sur les malversations financières et politiques de Trump, et à une partie de l’appareil d’État, en particulier dans les services de renseignement et parmi les militaires, qui voudrait bien, sinon se débarrasser de Trump, du moins le contrôler.

Il est évident que sa base d’extrême droite, reposant sur des religieux fondamentalistes, lui est restée fidèle. Il a aussi gardé une bonne partie des travailleurs ruraux blancs qu’il avait attirés en 2016 en partie par sa démagogie raciste et en partie par ses pieds de nez à l’establishment. Mais il a perdu une grosse partie des classes moyennes aisées qui votent d’habitude républicain. Choquées par ses manières brutales et son manque de « décorum présidentiel », elles ont voté démocrate. Et les démocrates ont réussi à accroitre la participation en leur faveur d’une bien plus grande partie des travailleurs des villes qui votent habituellement démocrate, quand ils prennent la peine de voter. Depuis des années, ils ne votaient plus. Une grande partie des gains supplémentaires des démocrates est certainement due à la peur qu’inspire Trump, en particulier parmi les travailleurs noirs. De plus, contrairement aux républicains, dont les candidats sont presque exclusivement des hommes blancs, les démocrates avaient bien plus de femmes candidates, un peu plus de Noirs, un peu plus d’Hispaniques et deux musulmanes, bien que l’une d’elles ait obtenu l’investiture démocrate pour un siège tenu auparavant par un démocrate noir, grâce à une manœuvre politicienne de la plus belle eau. Les démocrates se vantent de cette « diversité » mais, en réalité, l’identification ethnique sert simplement à cacher les positions politiques. Et le fait que les démocrates ont mis en avant des femmes n’implique pas, par exemple, que toutes leurs candidates voient d’un bon œil la caravane de migrants qui a traversé le Mexique vers la frontière avec les États-Unis. En fait, certaines de leurs candidates ont utilisé des termes aussi méprisants que Trump quand il a dit que les migrants étaient une menace pour « la prospérité de l’Amérique » ou pour « les emplois américains ».

Dans ces élections, la classe ouvrière ne pouvait ni se reconnaître, ni reconnaître ses propres intérêts de classe. Elles ne concernaient pas la situation politique et sociale à laquelle les travailleurs sont confrontés quotidiennement.

Et, comme pour souligner ce fait, dans la foulée des élections General Motors a annoncé qu’il arrêtait la production de cinq usines aux États-Unis et au Canada, supprimant 14 700 emplois, ainsi que la fermeture de deux autres usines dans d’autres pays. C’est un avertissement aux travailleurs de l’automobile, dont le contrat doit être renégocié cette année avec le syndicat, sur les sacrifices supplémentaires qui leur seront demandés. Au-delà, c’est l’affirmation que GM est prêt à démanteler son appareil de production pour satisfaire les grands fonds d’investissement qui possèdent une bonne partie de ses actions. Cette annonce signifie que, comme les deux autres constructeurs américains, GM va presque complètement abandonner le marché des voitures particulières et donc se consacrer entièrement à la production de SUV (Sport Utility Vehicle, des monospaces 4x4) et de camionnettes pickup, beaucoup plus rentables que les voitures. GM a osé dire qu’il lui faut accumuler du capital pour de futurs investissements dans des véhicules électriques et autonomes. En réalité, il a besoin de plus de profits pour satisfaire ses actionnaires qui veulent davantage que les 20 milliards de dollars que GM leur a donnés depuis trois ans et demi. GM n’est pas seul à se livrer à une telle activité destructrice. En 2018, en une seule année, les grandes entreprises ont racheté leurs propres actions pour un montant de mille milliards de dollars, alors même que leur appareil de production se dégrade et que leurs travailleurs sont jetés à la rue.

Le Working Class Party dans les élections

Voilà le monde dans lequel nous vivons et dans lequel nous avons été impliqués à l’occasion de trois campagnes électorales cette année, une à Los Angeles, une dans le Michigan et une dans le Maryland.

Je commence par le Michigan. Nous nous étions investis dans la campagne du Working Class Party en 2016, quand il avait présenté trois candidats. Cette année il en présentait onze. Six d’entre eux avaient fait campagne pour les candidats en 2016, mais ne s’étaient jamais eux-mêmes présentés.

Vous savez sans doute que la classe ouvrière américaine n’a pas son propre parti de masse, et n’en a jamais eu. Les moments où elle s’en est le plus approchée, ce fut lors des cinq campagnes électorales menées par Eugene Debs, il y a un siècle.Il s’était servi de sa candidature à la présidence pour expliquer la nécessité pour les travailleurs d’organiser leur propre parti, la nécessité de s’opposer à la Première Guerre mondiale, pour exhorter les travailleurs américains à s’identifier à la révolution russe, pour parler des possibilités du socialisme, pour parler aux travailleurs de leur capacité de gérer une société conforme à leurs intérêts de classe et de satisfaire ainsi les besoins de l’humanité.

Bien sûr, en ayant présenté le Working Class Party, le Parti de la classe ouvrière, nous ne prétendons pas avoir comblé cet énorme vide. Mais cela nous a permis au moins de poser le problème : la classe ouvrière doit construire son propre parti. Aussi bien en 2016 qu’en 2018, nous avons eu une réponse rapide.

En 2016, toute la situation politique était instable : Trump lui-même en est la preuve, de même que la campagne de Bernie Sanders pour l’investiture des démocrates. La réponse que nous avons obtenue montre de bien des façons que les gens cherchaient quelque chose de différent. Y en avait-il plus ? Nous l’avons pensé car les gens nous répondaient mais seulement après avoir entendu « Working Class Party ». Environ 20 000 personnes ont voté simplement en bloc pour ce parti, plutôt que pour chacun de ses candidats[1]. C’était possible en 2016. Et, peut-être plus significatif encore, plus d’un quart de nos voix provenaient d’endroits de l’État où nous n’avons jamais fait campagne et où, autant que nous le sachions, le candidat ne connaissait personne. C’est dire que les gens votaient sur les simples mots qu’ils découvraient en ouvrant leur bulletin de vote : Working Class Party.

En 2018, la situation était sensiblement différente. Trump avait pesé d’une façon qui inquiétait bien des gens avec qui nous discutions. Nous l’avons bien ressenti. Nous avons pu avoir de bonnes discussions avec des gens qui, au fur et à mesure de l’échange, étaient d’une façon ou d’une autre d’accord avec nous, mais pour dire à la fin : « Je suis d’accord avec vous, mais vous voyez, cette année, il faut que je vote démocrate pour empêcher Trump de faire encore pire qu’il n’a déjà fait. » Puis ils disaient : « Continuez à faire du bon travail » !

Les résultats correspondirent à ce que nous avions entendu dans la rue. Ce n’est pas facile de comparer une élection présidentielle comme celle d’il y a deux ans, qui comprend aussi l’élection du Congrès, avec une élection à mi-mandat, qui comprend les élections au Congrès mais aussi à tous les postes de l’État. Mais il y a des choses marquantes en ce qui concerne le Michigan, où nous avons fait campagne. Le nombre de votes républicains a un peu baissé, mais le nombre de votes démocrates a grimpé beaucoup plus. Une partie de cette augmentation en faveur des démocrates est venue des petits partis qui se présentaient, y compris Working Class Party. Les résultats de tous les petits partis se sont réduits proportionnellement, mais là où nous étions aussi présents nous sommes passés devant eux. De même, en ce qui concerne le seul vote à l’échelle de tout l’État, celui pour le conseil de l’Éducation, nous sommes arrivés en tête des petits partis, mais pas avec autant d’avance que la dernière fois. Finalement, encore une fois, on a eu assez de voix pour conserver le droit de se présenter en tant que Working Class Party aux élections suivantes.

Le fait d’avoir onze candidats a été important. Cela nous a permis de présenter un candidat dans un tiers des circonscriptions du Michigan pour les élections à la Chambre des représentants du Congrès fédéral, des candidats au Sénat du Michigan, et deux candidats pour le conseil de l’Éducation de l’État, une enseignante et un étudiant.

Nous avons eu peu accès aux grands médias, mais comme nous avions plus de candidats, la plupart très enthousiastes, nous avons eu davantage d’interviews qu’en 2016. Beaucoup ont eu lieu à des heures impossibles. Parfois nous ne sommes apparus que sur une petite station câblée, ou seulement sur Internet, ou dans un journal étudiant. Mais nous avons incontestablement été entendus plus largement. En général, les journalistes qui ont interviewé nos candidats étaient amicaux et sympathisaient avec ce que nous faisions. Nous avons participé à plus de débats, avons eu plus de questionnaires à remplir, dont certains ont été largement diffusés. Bien sûr, il y a eu des problèmes et certaines réponses ont été surprenantes. Mais de nouveaux camarades ont gagné de l’expérience.

À part cela, notre campagne a reposé sur les mêmes activités que la dernière fois. Nous sommes allés aux parades et aux foires, là où les gens avaient le temps de s’arrêter et de discuter. Nous sommes allés à une fête d’Halloween pour les enfants, avec leurs parents qui stationnaient autour et étaient disponibles pour parler. Nous sommes venus devant des bâtiments administratifs où les gens viennent renouveler leur permis de conduire et autres autorisations officielles. La queue y est très longue, et non seulement les gens ont le temps de parler, mais ils sont en colère d’avoir à attendre si longtemps. Nous avons été invités à parler dans un club d’anciens soldats noirs par une personne qui connaissait quelqu’un, ainsi que dans un club de motards, et aussi chez des gens qui invitaient leurs amis et leur famille pour nous rencontrer. Nous avons été invités par quelques pasteurs à venir à la porte de leur église à la sortie du service religieux. Nous sommes allés à une fête polonaise, à des événements artistiques et à des fêtes de rue.

Les gens qui connaissaient nos candidats ont pris quantité de tracts pour les donner autour d’eux. D’autres ont acheté le badge qui disait juste « Working Class Party », ou la casquette, ou le teeshirt, et les portaient au travail. Certains des candidats ont tenu des tables dans des établissements scolaires où ils connaissaient des gens. Nous avons distribué des tracts et présenté nos candidats aux portes des entreprises où Spark a des bulletins.

Notre plus bas score est de 1,2 % mais la plupart des candidats ont aux environs de 2 %. Dans la circonscription qui comprend la ville de Flint, Kathy Goodwin a obtenu 12 643 voix soit 4,57 % et, dans la circonscription qui comprend le cœur de Detroit, Sam Johnson a obtenu 21 978 voix soit 11,35 %. Dans ces deux circonscriptions, nous étions contre le courant général qui consistait à céder des voix aux démocrates. Cela s’explique par des raisons particulières dans les deux cas.

Dans la circonscription de Flint, il y a aussi des petites villes où les usines General Motors ont presque toutes fermé. Quant au réseau d’eau courante géré par l’État, il a fourni une eau ayant une forte teneur en plomb qui a empoisonné des enfants, et sans doute qu’une partie de la population n’a plus aucune confiance dans l’un quelconque des partis, démocrate ou républicain. Nous avions encore un autre avantage dans cette circonscription : c’est un des seuls endroits où notre candidate avait réellement des racines. Kathy a grandi là, y a fait sa scolarité ; elle y a des amis et de la famille. Ses sœurs, frères, belles-sœurs, neveux, nièces, etc., tous ont fait campagne. Et les gens qu’ils connaissaient ont fait campagne pour elle, l’ont invitée à parler dans leur école. Elle a été interviewée par des journalistes de quatre journaux différents, et elle a été invitée à la radio pendant 40 minutes au début de la campagne.

Enfin, dans la circonscription de Sam Johnson, le bon résultat est en partie dû au rayonnement de Sam et aux innombrables liens qu’il conserve avec les travailleurs de l’automobile du temps où il travaillait chez Chrysler ; et grâce aussi à une très grande famille qui le lie à beaucoup d’autres personnes, et à des gens dans les quartiers de Détroit qui le connaissent depuis des années. Mais il y a eu un autre problème dans cette circonscription constituée du quartier noir traditionnel de Détroit, la première circonscription à avoir un député noir : la candidate qui a remporté les primaires démocrates en août avait été parachutée grâce à une énorme quantité d’argent venant du Parti, alors que le vote noir était divisé entre quatre candidats. Cette candidate est l’une des stars du Parti démocrate nouveau style, une femme qui se dit elle-même « personne de couleur » parce qu’elle est musulmane, mais qui a pu apparaître simplement comme une femme blanche, dans une ville où les Blancs aisés poussent les Noirs dehors. Il y avait un fort ressentiment. En réalité, les gens pouvaient exprimer leur colère de différentes manières, et plusieurs l’ont fait, les uns en votant blanc ou nul, ou pour la candidate du parti Vert, une femme noire, qui n’a cependant récolté que 4 %. Il n’y avait pas de candidat républicain dans cette circonscription qui vote d’habitude à 90 % pour les démocrates. Mais la candidature de Sam a donné aux gens la possibilité d’exprimer non seulement leur colère, mais aussi leurs intérêts de classe.

Comme je l’ai dit, nous avons mené une campagne électorale cette année à Los Angeles. Un de nos camarades a été candidat à la Chambre des représentants, en tant que candidat indépendant. Nous avons récolté 4 000 signatures en huit semaines pour qu’il puisse se présenter. Lors du premier tour qui a eu lieu en juin, alors qu’il y avait peu d’intérêt pour les élections et peu de couverture par les médias, et que la participation au vote se limite à ceux qui sont liés aux partis traditionnels, il a quand même réussi à obtenir 1,4 % des suffrages. Il n’y a aucune chance en Californie de faire reconnaître le Working Class Party comme un parti électoral, à moins de récolter un million de signatures. Mais les gens étaient contents de discuter quand on disait « un ouvrier au Congrès ».

La loi du Maryland nous donne au contraire la possibilité de présenter un nouveau parti aux élections, et les camarades ont commencé à récolter des signatures pour cela. Ils auront encore un an après cet été pour obtenir le nombre de signatures voulu. Le plus intéressant, dans le Maryland, est ce que nous avons aussi connu à Détroit : les gens étaient bien plus prêts à donner leur signature pour qu’un Working Class Party puisse se présenter que pour un candidat indépendant. Quels que soient les problèmes rencontrés, ce travail nous a permis de nous déployer plus largement qu’avant, mais aussi de faire participer nos contacts. Et cela nous a permis, au moins à Détroit, de rapprocher plusieurs jeunes travailleurs qui furent candidats, et dont les vies sont caractéristiques : petits boulots sans horaires garantis et petits salaires avec peu d’espoir de trouver mieux. Ils parlent de leurs espoirs dans les capacités de la classe ouvrière, ils regardent tout d’un œil neuf, sans illusions sur ce que la société leur réserve, à eux et à ceux qui sont autour d’eux. C’est revigorant.

Workers’ Fight (Grande-Bretagne)

Évidemment, c’est le Brexit qui domine entièrement la scène politique britannique. Et, alors que tout le monde en a probablement plus qu’assez d’en entendre parler, il suscite bien des inquiétudes parmi les travailleurs concernant leur emploi et leur avenir. Déjà, des dizaines de milliers d’emplois ont disparu depuis le référendum de 2016 sur le Brexit et les patrons s’en servent comme prétexte pour aggraver l’exploitation et s’attaquer aux conditions de travail.

Quant au coût de la vie, il a augmenté du fait de la baisse du taux de change de la livre sterling, qui est aujourd’hui 14 % plus bas qu’à la veille du référendum. Quant aux salaires, ils traînent loin derrière.

Au-delà de ses conséquences économiques, le processus du Brexit nous pose un autre problème dans la mesure où il alimente les divisions dans les rangs des travailleurs. Le Brexit lui-même avait été la conséquence de la surenchère xénophobe à laquelle se livraient les politiciens. Puis son déroulement n’a fait que renforcer les préjugés envers les étrangers et alimenter le racisme pur et simple. Et tout cela a été renforcé par la politique systématique du gouvernement contre les immigrés.

Pour mémoire : bien que nous ayons pris position contre le Brexit en 2016, nous n’avions pas soutenu la campagne pour le maintien dans l’Union européenne (UE) non plus. Cela en partie parce que l’UE est essentiellement un instrument destiné à servir les intérêts des bourgeoisies européennes les plus riches. Et aussi parce que le gouvernement conservateur d’alors défendait l’idée de rester dans l’UE sur la base de sévères mesures discriminatoires à l’encontre des travailleurs européens, en particulier en les privant d’une partie de leur couverture sociale. Nous avions donc défendu l’idée que ce vote ne présentait aucun enjeu pour les travailleurs. Cela dit, bien des travailleurs ont cru qu’il y avait un enjeu pour eux et certains ont certainement vu dans ce référendum une occasion d’exprimer leur colère face aux coupes drastiques qu’avait faites le gouvernement tant dans la protection sociale que dans les services publics.

Aujourd’hui, plus de deux ans après le référendum, bien des travailleurs regrettent de s’être laissé prendre au piège des mensonges de la campagne en faveur du Brexit, en particulier celui selon lequel la santé publique bénéficierait de l’argent qui allait jusqu’alors à l’UE. Cela dit, les partisans du Brexit n’ont eu qu’une majorité de 3,8 % à l’époque, et aujourd’hui, ils n’ont probablement plus la majorité. En tout cas, en 2016, ils ne représentaient qu’un peu plus d’un tiers des électeurs inscrits.

Mais cela n’a jamais empêché la plupart des politiciens et commentateurs de parler du Brexit comme de la « volonté populaire ». Theresa May ne peut pas prononcer une phrase sans y inclure ce qu’elle appelle son respect pour la volonté populaire. Elle aime aussi ajouter qu’elle sert les intérêts de la « nation » en s’efforçant d’obtenir un bon accord, alors qu’en réalité, elle ne fait que servir les intérêts de son parti et ceux du grand capital, même si ces intérêts sont souvent contradictoires.

L’une des questions les plus épineuses à laquelle May doit faire face est celle de l’Irlande du Nord. Cela tient en partie aux objections virulentes du DUP (Parti démocratique unioniste), un petit parti d’extrême droite basé en Irlande du Nord dont le soutien est indispensable à May pour avoir une majorité au Parlement. Mais cela tient surtout au fait que la situation de l’Irlande du Nord est de toute façon une absurdité.

Voilà un territoire, couvrant environ un septième du territoire irlandais, dont l’annexion à la Grande-Bretagne, en 1921, a entraîné une guerre civile larvée qui dura 77 ans. Finalement, un accord de paix mit fin à cette guerre en 1998, dont l’une des principales clauses est que la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, au sud, restera toujours totalement libre.

Tant que la Grande-Bretagne et l’Irlande étaient membres de l’UE, cela marchait. Mais le Brexit est venu s’en mêler. Pour éviter une résurgence nationaliste en Irlande du Nord, il fallait que sa frontière avec la République d’Irlande reste ouverte. Mais, pour réaliser les objectifs nationalistes des partisans du Brexit, il fallait fermer cette frontière, pour permettre à la Grande-Bretagne de « reprendre le contrôle de ses frontières », comme ils le réclament. Bien sûr, tout cela ne fait que souligner le caractère aberrant de la situation dans laquelle se trouve l’Irlande du Nord. Mais comme les partis politiques britanniques sont si fiers de ce qu’ils appellent le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et que, pour eux, la réunification de l’Irlande n’est pas une option, May s’est évertuée à résoudre la quadrature du cercle depuis le début des négociations du Brexit.

La situation sociale en Grande-Bretagne

Quelques mots maintenant sur la situation sociale. À quel point s’est-elle dégradée ? Une commission d’enquête des Nations unies sur la pauvreté a publié le mois dernier un rapport qui décrit très bien les choses.

Rappelant que la Grande-Bretagne est au cinquième rang mondial par la richesse, ce rapport dit : « 14 millions d’individus, soit un cinquième de la population, vivent au seuil de pauvreté ou en-dessous, dont 1,5 million sont en état de pauvreté extrême, sans pouvoir se permettre de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. Ce fait n’est pas seulement un scandale, c’est une calamité sociale et un désastre économique ». Ce qui a poussé un grand nombre vers cette pauvreté extrême, c’est un système d’aides sociales punitif à l’égard des chômeurs, qui les prive d’allocation s’ils ne trouvent pas d’emploi. Aujourd’hui, ce système est en train d’être remplacé par un autre, supposé plus simple, mais en fait encore plus restrictif. Ce nouveau système est particulièrement brutal envers les travailleurs handicapés. Il leur impose un régime de sanctions drastiques qui a déjà été à l’origine du suicide de plusieurs d’entre eux.

Le rapport déjà mentionné fait ainsi le lien entre la montée de la pauvreté et le Brexit. Il dit : « Pour la population pauvre, la chute de la valeur de la livre sterling a déjà entraîné une hausse du coût de la vie de 460 euros par an. Et si le gouvernement n’augmente pas les allocations sociales en tenant compte de l’inflation causée par le Brexit, 900 000 personnes pourraient se retrouver sous le seuil de pauvreté. »

Le manque de logements et leur coût élevé, particulièrement à Londres, a été la cause d’une augmentation sans précédent des sans-logis. Il est fréquent que trois quarts du salaire d’un travailleur passent dans son loyer, avant même qu’il paie ses factures. Cela ne peut pas continuer ainsi. Et pourtant, malgré un boom de la construction qui se poursuit, le nombre de logements sociaux construits est dérisoire.

Je ne vais pas vous donner les chiffres du chômage car aujourd’hui les chiffres officiels n’ont rien à voir avec la réalité. Il est probablement vrai que le nombre des travailleurs qui ont un emploi a augmenté, mais c’est uniquement dû à la montée des emplois précaires. Ce sont ceux que l’on appelle aujourd’hui les travailleurs pauvres.

Il y a néanmoins quelques lueurs d’espoir. Il y a quinze jours, les ouvriers d’une usine de Vauxhall ont exprimé leur colère par une grève sauvage lorsque PSA, qui a racheté l’entreprise l’année dernière, a annoncé 421 suppressions d’emplois en plus des 650 déjà supprimés depuis octobre 2017. Une telle réaction contre des suppressions d’emplois est nouvelle. Les travailleurs de ­Vauxhall semblent avoir été encouragés par une grève que leur syndicat dirigeait à Cammell Laird, un chantier naval voisin, également contre des suppressions d’emplois. Mais ceux de Vauxhall n’ont pas attendu les consignes syndicales pour passer à l’acte. Et ils ont eu raison, d’autant qu’au chantier naval voisin, leur syndicat, Unite, se borne à revendiquer que les licenciements soient repoussés dans le temps ! Et à Vauxhall, Unite demande à PSA de bien vouloir investir dans l’usine en disant que le syndicat pourra alors aider PSA à faire des bénéfices !

Lutte ouvrière/Arbeidersstrijd (Belgique)

Le mouvement des gilets jaunes a été contagieux, surtout en Wallonie, où aucune barrière de langue n’empêche la contagion. Cependant il y a moins de monde mobilisé qu’en France. Bien que très minoritaire et limité dans ses revendications, ce mouvement a changé un peu le climat. Le fait d’oser hurler sa rage, ça fait la différence par rapport à se taire. Ce mouvement intervient entre deux élections. Il y aura les élections législatives en mai 2019. Et nous sortons des élections communales en octobre dernier.

Les élections communales d’octobre 2018

Le fait marquant de ces élections est le résultat du Parti du travail de Belgique (PTB/PVDA), ce parti d’origine maoïste et stalinienne qui poursuit une ascension depuis quelques années déjà. Le PTB a progressé en Flandre, plus encore à Bruxelles et nettement plus en Wallonie. Dans plusieurs communes des anciens bassins industriels de Wallonie, le PTB arrive en seconde position derrière le PS. À La Louvière par exemple, il passe de un à sept élus. Pour l’ensemble de la Belgique, le PTB passe de cinquante à cent-cinquante-huit élus. Le PTB avait fait une campagne très réformiste, en proposant des programmes de gestion communale, sur les logements sociaux, les transports publics gratuits… Il proposait aussi de baisser les salaires des bourgmestres. Un argument qui touche après les nombreux scandales qui ont frappé le PS en 2017. Le PTB mettait en avant que ses candidats et ses cadres ont des salaires de travailleurs, qu’ils sont proches des problèmes des gens et ne briguent pas de mandat pour s’enrichir.

Les propos lutte de classe passent de plus en plus en arrière-plan de la communication du PTB, pour laisser la place à la dénonciation des politiciens seulement : « Les vrais privilégiés sont les parlementaires », disait ainsi le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, dénonçant ces parlementaires qui gagnent 10 000 à 12 000 euros par mois et décident de baisser les pensions de ceux qui doivent vivre avec 1 300 euros. Et quand le PTB parle de rupture nécessaire, il entend moins rompre avec le dictat patronal, que « rompre avec le dictat de l’Europe ».

Dans sept villes, le PS a invité le PTB à des négociations en vue d’une coalition pour gérer la commune. La campagne du PTB entretenait l’espoir qu’un score assez important du PTB allait pousser le PS et Ecolo (parti écologiste francophone et germanophone) à changer de politique et accepter au moins une partie de leurs propositions en vue de former des coalitions. Cela n’a pas été le cas. Le PS a essayé de les attirer dans des majorités communales où les élus du PTB auraient été amenés à gérer avec le PS l’austérité dans ces villes très sinistrées par le chômage et pour la plupart sous tutelle financière. Le PTB n’a pas accepté. Ce qui n’était pas évident, car une bonne partie des électeurs déçus du PS qui se sont tournés vers le PTB auraient bien voulu qu’il accepte. Et la FGTB wallonne, le syndicat lié au PS, faisait pression pour que le PTB et Ecolo concluent avec le PS des « coalitions de gauche ». Le PTB n’est finalement entré que dans une coalition communale en Flandre, à Zelzate, une commune ouvrière de 12 000 habitants, entre Gand et Anvers. Mais en Flandre, le Sp.a (Parti socialiste flamand) n’a pas du tout la même hégémonie que le PS en Wallonie. Lors des dernières élections régionales de 2014, le Sp.a pesait moins de 14 % et il a encore diminué.

Le paysage politique est donc très divergent entre la Wallonie et la Flandre. En Flandre, la droite nationaliste (N-VA), premier parti, et l’extrême droite (Vlaams Belang) réunissent près de 40 % des voix. La N-VA avait participé pour la première fois au gouvernement national. Dans la surenchère entre le Vlaams Belang et la N-VA, la N-VA a adopté un ton et une politique anti-migrants de plus en plus virulents. Ses ministres viennent de quitter le gouvernement, refusant de cautionner la signature par la Belgique du « pacte sur les migrations » de l’ONU. Le ton de la campagne pour les élections législatives est donné.

En Wallonie, le PS, malgré un recul important, est toujours dominant et le PTB monte. Pour les nationalistes flamands c’est une preuve de plus qu’il y a deux pays qui doivent avoir le plus d’autonomie possible. « Si les Wallons veulent être gouvernés par des marxistes… c’est leur affaire. Mais les Flamands ne vont pas se laisser imposer cela », dit en substance la N-VA. Du côté wallon, cela contribue à maintenir l’idée fausse que la Wallonie serait immunisée contre l’extrême droite ! C’est vrai que l’extrême droite en Wallonie reste éclatée entre petites formations et qu’il n’y a toujours pas de parti suffisamment organisé pour être capable de recueillir massivement les voix des déçus des partis traditionnels. Mais cela peut vite changer et les propos très anti-migrants de certaines personnalités de la N-VA plaisent aussi en Wallonie. De plus, les dirigeants syndicaux wallons, notamment FGTB et souvent ceux qui paraissent les plus combatifs, entretiennent un ton anti-flamand. À les entendre, les Flamands sont en général racistes, catholiques et ils votent à droite ! Alors pourquoi les travailleurs en Wallonie devraient s’adresser à eux ? Le gros de la classe ouvrière belge se trouve pourtant en Flandre aujourd’hui.

En tout cas, la guerre de classe du patronat contre les travailleurs continue, dans toutes les langues. Le gouvernement fédéral a déjà annoncé qu’après les élections législatives, il faudra « déshabiller les syndicats » c’est-à-dire leur enlever une bonne partie de leurs moyens financiers et bureaucratiques, notamment en les écartant de la gestion du versement des indemnités de chômage. La FGTB, et ses milliers de permanents et d’employés, espèrent qu’un gouvernement de gauche, avec le PS, Ecolo et le PTB, serait moins enclin à réduire les moyens financiers des appareils syndicaux. En tout cas, les dirigeants FGTB militent à fond pour un tel gouvernement de gauche. Pour le PTB, qui pourrait avoir plus d’une dizaine de députés si ses scores se maintiennent, la participation à un gouvernement bourgeois est un piège dont ses dirigeants sont conscients. Ils ont vu notamment ce qui est arrivé en Grèce à Syriza qu’ils avaient applaudi au début. On verra s’ils résisteront aux pressions de leurs électeurs et de la FGTB. Et d’ici là, la situation peut avoir beaucoup changé.

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

La montée de l’extrême droite

Merkel vient d’abandonner ce vendredi 7 décembre la présidence de son parti, la CDU, un poste qu’elle occupe depuis dix-huit ans. Elle reste cependant chancelière, en tout cas pour le moment.

Que Merkel doive céder la présidence de son parti n’est pas simplement un événement politicien. Dans l’opinion publique, Merkel n’est pas la représentante de la politique de la CDU ni même du gouvernement. Son nom est synonyme de politique d’accueil des réfugiés. Dans les discussions, ceux qui se disent contre Merkel sont contre l’accueil des réfugiés, et vice-versa. Que Merkel doive quitter la tête de son parti est l’expression d’une évolution à droite dans la CDU et dans le climat général.

Et il est significatif que les trois candidats qui voulaient prendre sa succession ont chacun tout fait pour se démarquer de ce que Merkel représentait d’humain et de social. Tous les trois postulaient à une politique plus ouvertement pro-patronale, plus conservatrice, plus chrétienne... et plus anti-immigrés. La situation politique se dégrade à une vitesse impressionnante. Le parti d’extrême droite AfD continue non seulement à avoir du succès dans quasiment toutes les élections, mais il évolue lui-même encore plus à droite. Un nombre croissant de députés de l’AfD ne cachent plus leur proximité avec les courants néonazis.

Les succès et les provocations répétés de l’AfD ont bien dégradé le climat général. Les événements de Chemnitz cet été, où plusieurs milliers de néonazis ou de hooligans se sont retrouvés et ont organisé plusieurs manifestations musclées et des chasses aux immigrés, ont brutalement mis en lumière cette détérioration.

Ce qui est intéressant pour nous, c’est que quasiment toute l’extrême gauche n’y a vu qu’une manifestation néonazie de plus, choquante certes, mais comme il en a existé d’autres dans le passé. Nous étions un peu les seuls à considérer qu’il s’agit d’un phénomène nouveau, car pour la première fois, ces nervis d’extrême droite n’étaient plus isolés et au ban de la société. Il y a maintenant un parti d’extrême droite avec 12,6 % des voix et 92 députés au Parlement. Et ce parti a franchi l’étape d’accueillir ouvertement ces néonazis dans ses manifestations. Autre fait nouveau, tout cela fut indirectement cautionné par le ministre de l’Intérieur et le chef des services secrets qui niaient les chasses à l’homme et exprimaient de la compréhension pour ces manifestations qui prétendaient représenter une colère légitime de la population.

Depuis des décennies, l’extrême gauche a crié au danger fasciste face à chaque groupuscule d’extrême droite. Elle a si souvent crié qu’elle n’a pas vu cette fois-ci que s’esquissait le mécanisme pouvant réellement conduire à un parti fasciste, avec des troupes prêtes à en découdre et un soutien dans l’appareil d’État.

Ce qui a été marquant, c’était le silence dans le monde du travail. Dans quasiment toutes les entreprises où on a pu avoir un écho, les travailleurs n’ont pas parlé du tout de Chemnitz. Personne ne voulait afficher ouvertement son opinion dans l’atmosphère tendue, ni ceux qui éprouvaient de la sympathie pour l’extrême droite, ni ceux qui en étaient choqués. Et la plupart ne voulaient pas choisir un des deux camps.

Même si, en apparence, l’AfD se distancie un peu en ce moment des courants néonazis, sur le fond, l’AfD et son aile la plus à droite sont à l’offensive. Dans les parlements régionaux dans lesquels elle a des élus, l’AfD a demandé par exemple une enquête officielle sur les militants des partis communiste, maoïste ou encore d’extrême gauche organisés dans Die Linke, qui d’après l’AfD essayeraient d’infiltrer le syndicat des services publics. Pour faire pression, elle a publié nom et photo de quelques-uns de ces militants. S’appuyant sur le préjugé souvent répété qu’extrême droite et extrême gauche seraient les mêmes, l’AfD essaye ainsi de faire taire les critiques concernant ses liens avec les néonazis.

Leurs adeptes aussi s’affichent de plus en plus ouvertement. Dans une grosse entreprise internationale de la Ruhr, le nouveau syndicaliste à la tête du CE ose répandre sur sa page publique Facebook de la publicité pour l’AfD, pour un club de motards d’extrême droite, contenant des délires abominables sur les réfugiés qui seraient tous assassins et violeurs… sans que cela ait jusque-là des conséquences pour lui. Pareilles choses restent jusqu’à présent la grande exception dans le milieu syndical. Mais l’exemple montre leur assurance croissante dans un climat général qui ne les arrête plus.

La grève au CHU d’Essen de l’été 2018

Sur un tout autre plan et en positif maintenant, la grève de trente-cinq jours au CHU d’Essen a été un petit événement marquant la région de la Ruhr. C’était une grève pour plus de personnel et pour une réduction des charges de travail qui s’insérait dans un mouvement impulsé par le syndicat ­Verdi dans plusieurs hôpitaux du pays.

Cette grève a su se donner une direction démocratique, avec un comité de grève régulièrement élu par tous les grévistes et des assemblées générales quotidiennes où les décisions étaient prises par l’ensemble des grévistes. D’habitude, chaque aspect d’une grève est réglementé par la loi et les syndicats. C’est la direction du syndicat à Berlin qui doit autoriser chaque journée de grève pour qu’elle soit légale, c’est elle qui décide des revendications, des négociations et aussi de la fin d’une grève. Mais dans la grève du CHU, c’étaient les grévistes eux-mêmes qui décidaient de leurs revendications, de leurs actions, décidaient qui allait pour eux aux négociations, s’il fallait ou non interrompre la grève pendant la négociation, comme le voulait la direction du syndicat, etc.

Pourquoi les bureaucrates syndicaux ont-ils laissé faire ? Au début ils ont dû penser que cette structure bizarre appelée comité de grève était un simple comité d’organisation. Quand ils ont compris que c’était une vraie direction de la grève, il était trop tard.

Plus d’une fois les grévistes les plus conscients ont dû s’affronter aux bureaucrates syndicaux qui voulaient reprendre en main la direction de la grève. Dans une assemblée générale, un bureaucrate a par exemple arraché le micro à une dirigeante de la grève pour empêcher qu’une question qui les dérangeait soit mise au vote. Mais, plus la grève durait, plus le comité de grève et tous les grévistes prenaient de l’assurance. Les assemblées générales étaient sérieuses et vivantes, beaucoup de travailleurs y intervenaient. Pour les grévistes, dont la majorité faisaient grève pour la première fois de leur vie, c’était rapidement devenu évident qu’eux-mêmes décidaient de chaque étape de leur mouvement. Et les bureaucrates syndicaux ne se sentaient pas de se mettre à dos tous les grévistes.

Une trentaine de travailleurs ont participé au comité de grève, et au fil du temps, les militants syndicaux ont eu tendance à s’en éloigner tandis que les simples travailleurs – et surtout travailleuses – y étaient majoritaires. Elles s’engageaient pour la première fois de leur vie et pendant des semaines ont réfléchi à tous les aspects politiques et matériels de la grève. C’étaient justement les « simples travailleurs » qui avaient les meilleures idées sur comment s’adresser aux non-grévistes dans cette grève malgré tout très minoritaire, avec 300 grévistes.

Le caractère non corporatiste était un aspect important de la grève. Différents métiers participaient. Dès le début, la direction a essayé de diviser les grévistes là-dessus, en proposant des améliorations uniquement pour les infirmières. La direction nationale du syndicat faisait pression dans le même sens, pensant qu’une grève des infirmières, personnel recherché et bénéficiant d’une reconnaissance sociale, aurait plus de chance de réussir. Le comité de grève, composé de travailleurs de différents métiers, a milité contre cette menace de division. Dans ce milieu traditionnellement très hiérarchisé et catégoriel, une équipe soudée de grévistes se formait, avec une conscience de leurs intérêts communs et de leur force collective.

Cette idée d’appartenir à une même classe ouvrière, au-delà de la profession et de la branche d’activité, a progressé dans la conscience des grévistes, à travers des discussions, et aussi par des actions des grévistes devant des entreprises ou sur les marchés de quartiers populaires. Beaucoup de soignants réalisaient pour la première fois que le stress, le manque d’effectif et les externalisations n’étaient pas un problème des hôpitaux, mais de quasiment tous les travailleurs.

Après trente-cinq jours de grève, les grévistes ont décidé de mettre fin au mouvement sur une proposition de la direction de créer 140 postes d’infirmières, 40 postes pour les autres métiers et de fermer des lits en cas de manque d’effectif répété. Pour le personnel chargé du nettoyage, l’une de leurs revendications importantes a également été satisfaite, puisque leur temps de travail quotidien est modifié de façon à ce qu’elles aient désormais huit et non plus seulement cinq jours de repos par mois. Et toutes les aides-cuisinières ont la possibilité de passer de temps partiel à plein temps en CDI, ce qui fera une belle différence de salaire.

Évidemment, maintenant que la grève est terminée, la direction essaye de saboter l’application de ses promesses. Ce n’est donc pas fini, et d’ailleurs une petite vingtaine de militants de la grève, qui n’étaient pas actifs auparavant, continuent à se retrouver régulièrement pour surveiller la réalisation des acquis de la grève et plus généralement pour militer auprès de leurs collègues. […]

Voz Obrera (Espagne)

Montée électorale de l’extrême droite et des nationalismes

Les élections régionales viennent de se tenir. Comme vous le savez, en Espagne, en plus du Parlement central de Madrid, nous avons des parlements régionaux dotés d’une certaine marge de manœuvre politique et de pouvoirs de gestion étendus. La crise économique est devenue chronique et l’un des aspects du pourrissement de notre société est apparu au grand jour en Andalousie dans ces élections. Beaucoup pensaient qu’une histoire récente marquée par le franquisme nous protégeait de l’extrême droite. C’est une erreur. L’extrême droite a commencé sa progression par l’Andalousie, avec 12 députés sur 109, soit 400 000 voix, et il ne fait aucun doute que dans tout le pays, cela va continuer et s’amplifier. Nous ne sommes pas une oasis au milieu de l’Europe.

Vox est né du Parti populaire (PP), de la droite. La rupture s’est faite quand la politique du PP s’est embourbée dans la corruption. Le « procés » catalan a radicalisé une partie de l’électorat de droite qui réclame plus de fermeté contre les indépendantistes. Vox attire aussi un électorat catholique réactionnaire et misogyne. Ils s’appuient sur la xénophobie et le rejet des migrants. Mais dans les quartiers populaires également, Vox a progressé parmi les personnes précaires qui ne voient aucune issue avec Podemos ou le Parti socialiste.

L’abstention a été très élevée : 2 600 000 Andalous ne sont pas allés voter. C’est un échec cuisant pour la gauche qui a perdu beaucoup de voix, aussi bien les socialistes que le Podemos local, Adelante Andalucía, qui a perdu trois députés.

À présent tous, de Susana Díaz (socialiste) à Pablo Iglesias (Podemos), se mettent à réclamer un front démocratique contre l’extrême droite. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que l’extrême droite apparaît quand la prétendue gauche ne résout pas la crise sociale, le chômage, la précarité, les coupes budgétaires, les expulsions de locataires… et quand les travailleurs sont déboussolés. C’est là qu’apparaissent l’abstention, le désenchantement, la déception.

À gauche, Podemos et IU (Gauche unie, venant du PC) n’ont fait que s’intégrer aux institutions, au parlementarisme, et entrer dans une logique démobilisatrice. Voilà le résultat du réformisme dans un contexte de crise : la dépolitisation, le découragement et la défaite de la classe ouvrière.

Cependant, la montée de Vox en Andalousie a provoqué la réaction immédiate et pratiquement spontanée de milliers de jeunes qui, au lendemain des élections, sont descendus dans la rue contre l’extrême droite. À Séville, Malaga, Grenade, Cadix, les manifestants ont crié : « L’Andalousie sera la tombe du fascisme », mais aussi parfois : « La seule voie c’est la lutte des travailleurs ». Il semble que les mobilisations soient en train de s’étendre à d’autres provinces. Quant à nous, nous défendons l’idée que, pour arrêter l’extrême droite, il est vital de retrouver la voie des luttes ouvrières et d’avancer un programme de revendications pour protéger les travailleurs de la crise.

Par ailleurs, à Madrid, le chef du gouvernement central depuis cet été est le socialiste Pedro Sánchez, qui a gagné une motion de censure avec l’aide de Podemos et IU ainsi que des nationalistes basques, catalans et canariens. Il a donc chassé Mariano Rajoy, chef du Parti populaire (droite), alors au pouvoir.

Pedro Sánchez ne présentait pas un programme de gouvernement précis. Il s’est contenté d’un plan d’urgence pour stabiliser le pays et préparer de prochaines élections générales. Il ne s’attendait pas à la raclée qu’ont subie les socialistes en Andalousie, l’un de leurs fiefs historiques. D’autre part, Podemos, qui recueille les espoirs des classes populaires, a soutenu les socialistes contre Rajoy, sans conditions. C’est tout juste si Pablo Iglesias n’a pas supplié Sánchez de le prendre au gouvernement, ce qui finalement ne s’est pas fait.

Et pourtant, la stabilisation promise n’arrive pas ; seule la crise est stabilisée en quelque sorte. La précarité, la pauvreté s’installent dans de larges couches de la population tandis que les profits du grand patronat et des riches ne cessent de croître. Cela faisait plaisir de voir Rajoy défait par Sánchez mais le soulagement n’a pas duré plus de cinq minutes. Aucune promesse n’a été tenue, ni l’abrogation de la réforme du Code du travail ou de la loi bâillon[2], ni l’augmentation du salaire minimum à 900 euros. Tout est reporté après l’adoption du budget de l’État, pour laquelle les socialistes ont besoin des nationalistes catalans qui, avec leurs chefs emprisonnés et en grève de la faim, pourraient vouloir marchander leur soutien au budget contre la liberté, l’acquittement ou un jugement favorable.

À la montée de l’indépendantisme a répondu celle du nationalisme espagnoliste. Dans tout le pays, Ciudadanos aussi s’est renforcé. Ce parti de la droite espagnoliste, catalan à l’origine, est maintenant présent au niveau national, avec de bons scores également en Andalousie.

La droite catalaniste continue d’utiliser l’indépendantisme comme outil de diversion face à la crise économique, qui n’est pas moins présente en Catalogne qu’ailleurs. Cette façon de gouverner en cachant les problèmes sociaux n’est certes pas nouvelle. En ce moment, les médecins et les services publics de Catalogne se mobilisent contre la dégradation générale des services de santé et autres. Jusqu’à présent, il était facile de rejeter la faute des coupes budgétaires sur Madrid bien que ce soit la droite indépendantiste, tout aussi corrompue que le PP, qui ait réalisé les pires saignées en Catalogne.

La situation sociale

Cette année n’a pas été marquée par de grandes mobilisations. C’est plutôt l’apathie dans le monde du travail, à part les manifestations féministes et le mouvement des retraités.

La journée de grève du 8 mars a été un succès. Les manifestations ont donné à voir l’indignation de centaines de milliers de femmes qui, aux côtés de bien des hommes, refusent le machisme, la violence sexiste et l’inégalité au travail et dans les salaires, qui sont de mise dans la société. Appelée par plusieurs organisations féministes et soutenue par les partis politiques de gauche et les syndicats, la grève n’a eu d’opposants qu’à droite : Ciudadanos et le PP. Le slogan de ce 8 mars était : « Si les femmes s’arrêtent de bosser, le monde s’arrête de tourner. »

À plusieurs reprises cette année, les retraités, la « marée grise », sont descendus dans la rue à travers le pays, dans de grandes manifestations qui ont reçu la sympathie et le soutien actif d’une partie de la population. La situation des retraités en général est difficile. En Espagne, les retraites sont basses ; elles subissent des baisses régulières et c’est d’autant plus dur que bien des retraités sont le seul soutien de la famille, avec des enfants et petits-enfants sans ressources. Si les retraités ont fait siffler les oreilles de Rajoy, à présent, avec Pedro Sánchez, le mouvement s’est un peu calmé.

À Séville, ce mois-ci nous avons connu une grève de tous les employés de la mairie (aux mains des socialistes) où nous avons un bulletin depuis des années. Depuis la crise de 2008, la mairie embauche à peine. Il manque plus de 1 100 postes ; le ménage des écoles, l’entretien des parcs et jardins et les services sociaux sont si dégradés que les agents doivent combler le vide et faire le travail des collègues manquants. La quasi-totalité des 3 500 travailleurs municipaux se sont mis en grève pour réclamer des embauches publiques. Depuis 18 ans, les syndicats municipaux n’ont rien fait, pas même un appel à la protestation. […]

C’est aussi bon pour le moral de voir les mobilisations récentes de la jeunesse contre l’extrême droite. […] Après le premier choc du résultat électoral désolant, nos camarades les plus proches ont vite compris la nécessité de diffuser nos idées, comme disait Trotsky, avec une énergie décuplée. Nous ne savons pas si ces mobilisations seront éphémères ou durables, mais nous serons dans la rue pour le vérifier ; car les premières réactions nous ont rappelé les débuts dans la rue du mouvement des Indignés, du 15M, qui a tant fait parler de lui.

Ce dont nous sommes sûrs, c’est que des courants comme le nôtre, Lutte ouvrière, Spark, etc., sont plus nécessaires que jamais car l’extrême droite ne peut se combattre que par la lutte de classe du prolétariat.

Lutte ouvrière (La Réunion)

Nous rapportons ici année après année des chiffres sur le chômage et la pauvreté à La Réunion. Brusquement, en deux semaines, avec le mouvement des gilets jaunes, c’est la réalité concrète de toutes les difficultés quotidiennes des classes populaires qui a éclaté au grand jour. […]

Les cahiers de doléances

Sur les barrages, dans les manifestations où était recueillie l’expression des souffrances et des humiliations, on a parlé de cahiers de doléances. Cette fois, on peut dire que ce terme, qui évoque la Révolution française, n’est pas usurpé.

Je vais énumérer, en vrac, une partie de ce qu’on y trouve : la vie chère, la fiscalité injuste, la corruption des élus, les enfants diplômés des classes populaires sans emploi parce que sans réseau, le frigo vide le 20 voire le 15 du mois, les agios bancaires, les batailles perdues du pot de terre contre le pot de fer dans tous les domaines du foncier, devant les tribunaux, la relégation dans les quartiers et les hauts de l’île faute de transports en commun, les loyers exorbitants et l’habitat indigne, les prix à la consommation plus élevés qu’en métropole, l’autonomie alimentaire, les places de cadres y compris dans les services publics occupées par des métropolitains, l’obligation de s’expatrier, la difficulté à revenir, vivant ou mort, pour trouver du travail ou avoir une place au cimetière tant le rapatriement des corps est cher, comme sont chers les transports et accompagnements sanitaires, en particulier des enfants malades, les coûts délirants des pièces détachées et des réparations sur les voitures, au prix d’achat déjà largement supérieur à celui de métropole, le contrôle technique, les cotisations d’assurances et de mutuelles, la malbouffe, le diabète de la pauvreté... J’arrête là.

Parmi ceux qui prenaient la parole, il était étonnant d’entendre des travailleurs payés au smic, 1 200 euros par mois ou 1 300, dire qu’ils appartiennent à la classe moyenne, celle qui est surtaxée et qui doit tout payer plein pot : aucune aide pour la cantine des enfants, pas de bourses suffisantes pour les étudiants, pas de gratuité des transports, etc. C’est que, effectivement, un travailleur à La Réunion, c’est déjà le dessus du panier quand pratiquement la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté fixé à 977 euros, que ce soit avec le RSA, le minimum vieillesse, les allocations chômage ou les petites retraites.

Sur un espace réduit se côtoient la grande pauvreté et la grande richesse. Entre ces deux pôles toutes les couches sociales : travailleurs, autoentrepreneurs, petits patrons, artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs. La plupart disent vouloir arrêter d’être taxés pour payer les plus pauvres et enrichir les plus riches.

En fait, la mainmise des petits patrons sur les revendications n’a jamais été démentie dans ce mouvement, ce qui est bien normal vu sa composition, et l’expression des intérêts des travailleurs n’a pas – pas encore ? – été entendue. Naturellement la colère s’est focalisée sur les élus et le gouvernement d’un côté et sur deux ou trois grandes familles de la distribution de l’autre.

Le 9 novembre, le président du conseil régional, le même qui venait d’augmenter la taxe régionale sur les carburants, s’octroyait, sans gêne aucune la présidence des musées régionaux et le salaire qui va avec, 6 800 euros par mois. Cette façon de rouler carrosse, signe extérieur de mépris envers la population, a fini par provoquer l’indignation et le rejet des politiciens comme rarement vu depuis des décennies. Tous les élus sont mis dans le même sac et sont la cible de la plupart des récriminations : favoritisme, achat de voix, impunité devant la justice, incompétence.

En ce qui concerne la cherté de la vie, si les gros importateurs et quelques grandes familles capitalistes du grand commerce sont dénoncés avec colère, c’est vers l’État que les gilets jaunes se tournent pour faire baisser les taxes et l’octroi de mer, que le Conseil constitutionnel vient de décider de maintenir ce vendredi 7 décembre.

Le mouvement des Gilets jaunes

Sa composition est sans doute semblable à celle de la métropole : un mélange assez populaire de gens aux fins de mois difficiles et d’une petite bourgeoisie qui ne s’en sort plus. Des centaines ont occupé des barrages, des milliers ont soutenu et manifesté occasionnellement, tous ont voulu crier leur colère, échanger, discuter, s’engueuler, affirmer leur révolte. Les gilets jaunes voulaient s’exprimer eux-mêmes et que toute discussion avec les pouvoirs publics se tienne publiquement. C’est un acquis à préserver dans les luttes à venir.

La classe politique réunionnaise et le préfet ont été sidérés dans un premier temps. En quelques jours, l’économie a été quasiment à l’arrêt : transports scolaires, écoles, lycées, universités, transport routier de marchandises, blocage du port et perturbation du transport aérien avec la fermeture avancée de 23 h à 16 h de l’aéroport. Chaque jour, une trentaine de barrages plus ou moins filtrants se tenaient de l’aube au crépuscule. Pendant une petite semaine, à la nuit tombée le relais était pris dans différents quartiers populaires par de petites bandes désœuvrées qui mettaient le feu aux poubelles, aux voitures et saccageaient des magasins.

Ce fut le prétexte pris par le préfet pour faire venir de Mayotte et de métropole plusieurs escadrons de gendarmerie et pour promulguer un couvre-feu de 21 h à 6 h. Les sorties nocturnes de ces jeunes ont été éradiquées. Curieusement, l’opinion se disait soulagée mais en même temps il y eut des interventions d’enseignants, de représentants d’associations, de mères de famille et d’autres, pour dire leur indignation d’être traités comme des sauvages contre lesquels on envoie des forces armées et pour proclamer qu’on ne naît pas cagnards (voyous en réunionnais) mais que c’est la société qui les fabrique en créant le chômage de masse.

Les gilets jaunes et les manifestants ont d’emblée demandé la démission du préfet. En fait, il est en place depuis 18 mois et a focalisé toutes sortes de rancunes, à commencer par sa gestion de la tempête tropicale Fakir au mois de mai. Il n’avait pas voulu décréter les phases d’alerte pour protéger la population, en particulier l’alerte rouge qui interdit toute activité économique. Résultat : deux morts, en plus des nombreuses cultures dévastées, des maisons inondées voire en partie détruites, des kilomètres de routes et chemins endommagés, des centaines de foyers privés d’eau et des milliers d’électricité.

En outre, réfugié en son palais préfectoral, monsieur Amaury de Saint-Quentin n’avait pas condescendu depuis tout ce temps à rencontrer les fameux corps intermédiaires que sont les syndicats.

Quand il leur a demandé de venir l’aider à trouver des interlocuteurs chez les gilets jaunes, les syndicats lui ont ri au nez. C’est de bonne guerre…

L’annonce du gel de la hausse sur les taxes régionales du carburant, en accord avec le président de région, n’a eu aucun effet apaisant. L’appel à la ministre de l’Outre-mer, Annick Girardin, s’est fait de plus en plus pressant et elle a annoncé sa visite pour le mercredi 28. Elle a débarqué en proclamant qu’elle allait prendre tout le temps qu’il faut pour écouter tout le monde, qu’elle avait un billet open, sans date de retour, qu’elle aussi est îlienne (de Saint-Pierre-et-Miquelon), fille de marin pêcheur et même de gauche, pour avoir appartenu à un gouvernement sous Hollande. Girardin a agi en serviteur zélé du système et des puissants. Comme elle l’a fait durant la crise à Mayotte au début de l’année, elle a joué au bateleur de foire, usant de son sourire et de son bagout inépuisable pour enfumer les gens. « Je vous ai écoutés, on va surveiller les prix, je vais vous envoyer des commissaires contrôleurs, faites-moi confiance, je fais ce que je dis. » Bref, beaucoup de blabla alors que les gilets jaunes voulaient du concret. Comme le disait un gilet jaune lucide : « Les promesses font gonfler les oreilles mais pas les joues. »

Dans toutes ses rencontres avec les gilets jaunes et aussi lors de son entretien avec eux par visioconférence une fois de retour à Paris, Girardin n’a eu de cesse de répéter qu’il fallait lever les barrages. Au bout de la deuxième semaine, une certaine fatigue était ressentie tant par les gilets jaunes que par la population, qui souhaitait une trêve pour remplir à nouveau les frigos et les réservoirs des voitures ! De fait, ce fut la fin des blocages. En trois jours, Girardin a tordu le bras du préfet, des maires, des présidents des conseils départemental et régional, en leur enjoignant de se remuer les fesses. Du coup, depuis son départ, certains se sont mis à recevoir des délégations de gilets jaunes et à proposer la mise en place d’assemblées citoyennes ou autre « conseil consultatif citoyen », des machins qui, bien sûr, ne rempliront pas les caddies des classes populaires. Comme ne les rempliront pas non plus tous les allègements promis aux capitalistes sur les cotisations sociales et autres taxes sur les sociétés. Le plus fort étant sans doute la volonté du président de la région de financer, avec l’État et l’Europe, les surcoûts du fret pour les produits et les marchandises entre la métropole et La Réunion, autrement dit, des aides massives aux capitalistes de l’import-export.

Dans cette crise, les grands patrons, qui en sont fondamentalement responsables, n’ont pas été la cible de la colère populaire. Et pas la cible non plus du Parti Communiste Réunionnais (PCR). Le PCR a été gêné par la revendication d’abolir la taxe prétendument écologique, car lui-même a fait de la lutte contre le réchauffement climatique son principal cheval de bataille, sans en rendre aucunement responsable le capitalisme. Au contraire, il propose aux Réunionnaises et Réunionnais de gérer de façon responsable l’économie de leur île, dans le cadre de ce système, patrons et ouvriers, riches et pauvres confondus. La division de la société en classes ne fait pas partie du capital politique du PCR. Pour références, il cite les écrits nationalistes, tels Les damnés de la terre de Frantz Fanon (1961), qui concluait : « Il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf. »

Selon le PCR, cet homme neuf réunionnais doit changer radicalement de mentalité, il doit arrêter de copier le modèle absurde de consommation de la métropole, il doit se sentir responsable des mesures à prendre pour lutter contre le réchauffement climatique et adapter les institutions locales, puisque celles calquées sur la métropole n’ont pas pu répondre aux besoins de justice sociale.

Trois semaines après le début du mouvement des gilets jaunes, c’est par un communiqué du comité central que le PCR se félicite que « la parole se soit libérée », il « salue cette prise de responsabilité venant de toutes les couches de la population ». Il prend acte que « les élus de tout bord sont fustigés » et y voit « la confirmation d’une crise du système de représentation du peuple réunionnais, et la perception de plus en plus grande dans l’opinion que les élus-es de La Réunion ne disposent pas de pouvoirs suffisants pour régler les problèmes essentiels du pays ». En conséquence il appelle à la convocation d’une conférence territoriale élargie à toutes les forces vives de La Réunion afin de travailler sur un projet pour sortir La Réunion de la crise.

Les interventions de Lutte ouvrière

Je vais maintenant vous dire en quelques mots comment nous avons tenté d’agir, à notre petite échelle, dans cette situation. Le 17 novembre, à notre banquet annuel, notre camarade dans son allocution disait notamment :

« Pour défendre leur pouvoir d’achat et leurs conditions d’existence, les travailleurs ne doivent pas se contenter de mots d’ordre vagues contre les taxes. Si nous laissons faire, les seuls bénéficiaires du mouvement de protestation seront les patrons du transport et autres. »

« Face à ces attaques qui touchent les couches populaires, les travailleurs doivent se mobiliser et brandir leurs revendications, à commencer par l’indexation des salaires et des retraites sur les prix.

Pour l’imposer, il faudra plus que des barrages.

Il faut que les travailleurs utilisent leur force collective et l’arme de la grève. »

Dès le lendemain, dimanche 18, nous avons tenté de défendre cet axe en allant sur des barrages où les politiques et les syndicalistes n’étaient pas les bienvenus. En un jour ou deux la question n’a plus été seulement la taxe sur le carburant mais la cherté de la vie. Dès lors, nous avons pu commencer à parler directement des salaires, des allocations et des retraites.

Mais, sur les barrages où nous avons pu nous rendre, si les gilets jaunes parlaient de la cherté de la vie, ça voulait dire faire baisser les taxes et pas du tout augmenter les salaires, les retraites et les allocations. C’est dans un climat qui nous était assez hostile qu’il a fallu mener bataille, défendre nos arguments. Malgré la position de la CGTR calquée sur celle de la CGT de métropole, des militants se rendaient par instinct sur les barrages, avant d’aller au boulot ou en rentrant, pour en être en quelque sorte, mais n’osant pas y avancer les revendications ouvrières. Certains parmi nos proches, travailleurs que nous touchons au travers du syndicat, ont pu le faire quand leur présence régulière sur un barrage leur donnait une légitimité aux yeux de tous. Nous ne nous sommes pas laissé ligoter par l’attitude du syndicat et n’avons cessé, avec nos proches, de défendre nos arguments auprès des travailleurs.

Mais je n’en dis pas plus, vous savez de quoi je parle car vous l’avez tous vécu pareillement. Je terminerai en disant que, si les travailleurs rentrent en lutte, les capitalistes verront « kel koté brinzel i charge » (ils verront de quel bois les travailleurs se chauffent).

Organisation des travailleurs révolutionnaires (Haïti)

Haïti va de mal en pis pour les travailleurs et les classes pauvres en général. La situation s’aggrave à tous les points de vue : social, politique et économique. Les affairistes qui contrôlent l’économie, leurs valets au gouvernement, au Parlement et aussi dans l’opposition enfoncent le pays chaque jour davantage dans le chaos. Pour comprendre le fonctionnement actuel du pays, il suffit de se rappeler les westerns spaghetti des années 1980. Une bande de hors-la-loi campe dans une ville. Ils font la loi. Ils rançonnent tout. Le shérif est à leurs ordres, et la justice bien sûr. Jusqu’au jour où le héros vient tout remettre en ordre. Mais en Haïti, le héros ne vient que pour remplacer le chef des hors-la-loi. Et le scénario continue.

Terreur des bandes armées contre la population

Je vais commencer par vous parler de la prolifération des bandes armées et de la flambée de violences qui affecte beaucoup les travailleurs ainsi que nos activités. Je vous dirai également deux mots sur la mobilisation des travailleurs et les manifestations actuelles contre la corruption (l’affaire PetroCaribe), un mouvement initialement virtuel, au travers des réseaux sociaux, qui est devenu réel par des manifestations de rue. Enfin, j’évoquerai en quelques phrases le soulèvement populaire du mois de juillet contre l’augmentation des prix du carburant et contre la cherté de la vie.

Les quartiers populaires de Port-au-Prince, la capitale, et de certaines villes de province viennent de connaître un mois de novembre tragique. Exécutions sommaires, massacres, immolation d’individus, vols, viols, etc. Les luttes politiques opposant le gouvernement de Jovenel Moïse et les politiciens de l’opposition ont pris la forme de violences meurtrières gratuites. Les gangs armés se sont multipliés ces derniers mois. Ils font la loi et contrôlent le pays. Cite-moi le nom d’un gang et je te dirai à quel secteur il est attaché : au gouvernement, au Parlement, à la police, à un groupe d’hommes d’affaires ou à l’opposition. La prolifération de ces bandes armées redevient une plaie pour les habitants des quartiers qui en font les frais au quotidien. La semaine écoulée, dans un débat au Parlement entre les sénateurs et le directeur général de la police, il a été révélé qu’il y a en circulation dix fois plus d’armes illégales (300 000) que de légales. 80 % des sénateurs possèdent des armes de guerre illégales, a déclaré le directeur général de la police au cours de cette rencontre. Les chefs de gang ont des protecteurs qui les sortent de prison et les transportent d’un point à un autre en voiture officielle. Toujours selon ce même directeur général, la police elle-même regorge de policiers membres de ces différents gangs.

Le 13 novembre dernier, à la Saline, un grand quartier populaire de Port-au-Prince, bastion du parti politique Fanmi Lavalas d’Aristide, épine dorsale de l’opposition, des gangs armés à la solde du pouvoir ont massacré des centaines d’habitants. Le principal organisme de droits humains du pays a rapporté ce qui suit après une enquête : « En plein jour, des hommes armés assoiffés de sang, des membres de gangs connus, appuyés par un blindé d’une unité de la police, ont tué hommes, femmes, enfants, charcuté et brûlé des cadavres non abandonnés aux porcs. » Les images de ces scènes tragiques ont fait le tour des réseaux sociaux.

Dans d’autres quartiers de Port-au-Prince comme Canaan, immense terrain où s’étaient réfugiés des milliers de sans-abri après le séisme du 12 janvier 2010, les morts et les blessés se comptent par dizaines. À Martissant, grand quartier populaire au sud de Port-au-Prince, les bandits débarquent : ils pillent les maisons, violent les femmes, bastonnent les hommes. Malgré de nombreux appels au secours adressés à la police dans toutes les stations de radio, rien n’a été fait. La population est abandonnée à elle-même. Des milliers de familles avec des enfants en bas âge ont dû fuir la terreur instaurée dans ces quartiers pour aller dormir à la belle étoile dans des zones moins exposées. Au micro des journalistes, ces réfugiés en danger ont rapporté n’avoir reçu aucune assistance. Cette situation a prévalu dans une moindre mesure dans beaucoup de quartiers des villes de province. Nos camarades et nos contacts ont rapporté que le pouvoir a procédé à une distribution massive d’armes à feu dans les quartiers de la fin du mois d’octobre à la mi-novembre.

Le scandale Petrocaribe

Soulignons que cette campagne de terreur a eu lieu avant le 18 novembre dernier, date à laquelle des petrochallengers (manifestants qui demandent des comptes concernant l’affaire Petrocaribe) devaient gagner les rues par dizaines de milliers dans tout le pays, comme ce fut le cas le 17 octobre dernier, pour réclamer le départ du président Jovenel Moïse et la tenue du procès PetroCaribe. Rappelons que PetroCaribe est le nom du programme lancé en 2006 par l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez, qui a permis à plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes d’acquérir des produits pétroliers à un prix avantageux et de payer leurs factures sur 25 ans à un taux d’intérêt de 1 %.

En Haïti, ce fonds était censé financer des projets sociaux, mais les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir pendant ces huit ans (de 2008 à 2016) se sont rués sur cette manne pour remplir leurs comptes en banque, en lançant quelques semblants de projets sociaux, pour la plupart inachevés, alors que tous les décaissements avaient été effectués. Lancé par des artistes sur des réseaux sociaux, l’appel a été relayé très vite et la mobilisation est passée des réseaux sociaux aux manifestations de rue, en Haïti mais aussi aux États-Unis, au Canada et ici en France. Les petrochallengers, mouvement hétéroclite composé en majorité de jeunes de toutes catégories sociales, exigent la reddition des comptes pour savoir où sont passés les fonds, estimés à 3,8 milliards de dollars.

Le 17 octobre dernier, c’était une marée humaine, notamment dans les rues de la capitale, pour réclamer l’arrestation des personnes compromises dans ce scandale et aussi le départ du président Jovenel Moïse, lui aussi cité. Le prochain rendez-vous était fixé le 18 novembre. Le pouvoir a eu peur et voulait à tout prix éviter l’intensification de la mobilisation. Le chef de l’État a lâché du lest en s’empressant de limoger ses conseillers les plus trempés dans l’affaire, mais a choisi de jouer également sur un autre tableau, en ayant recours à la terreur pour dissuader la population de gagner les rues et casser ainsi la mobilisation.

Le pouvoir a en effet obtenu les résultats escomptés en terrorisant la population : les petrochallengers, dans leur grande majorité, ont fait marche arrière ce 18 novembre. Mais l’opposition politique avec ses troupes de choc (les chômeurs et lumpen des quartiers) ont foulé le macadam ce jour-là. Plusieurs manifestants furent tués par balles ce jour-là à Port-au-Prince et dans des villes de province. On a dénombré plus d’une dizaine de morts.

Contrairement au 17 octobre, beaucoup de petrochallengers ont brillé par leur absence sur le béton le 18 novembre, non seulement à cause du climat de terreur orchestré par le pouvoir mais aussi parce qu’ils ne voulaient pas se mélanger avec l’opposition politique qui, à leur avis, cherchait à récupérer la mobilisation PetroCaribe pour renverser le président Jovenel Moïse. C’est-à-dire qu’une fraction importante des petrochallengers ne revendiquait que la reddition des comptes par la tenue d’un procès, et non le renversement du chef de l’État. Alors que l’opposition politique, impatiente de se goinfrer des caisses publiques, ne jurait que par la destitution du président, condition sine qua non, selon elle, pour la tenue du procès PetroCaribe.

Précisons que l’opposition avait appelé à deux journées de grève consécutives à la manifestation du 18 novembre. Les politiciens de l’opposition, pour faire respecter ces deux journées de grève, ont recours à la même méthode que le chef de l’État, en renforçant la terreur déjà instaurée par le gouvernement. Le commerce, le transport et l’école ont été complètement paralysés à l’échelle du pays, à Port-au-Prince particulièrement. Les rues étaient désertes.

Deux des rares chauffeurs de transport public qui avaient tenté de briser la grève ont été abattus par balles, probablement par les bras armés de l’opposition. Selon nos camarades et nos contacts sur la zone industrielle, plus d’une douzaine d’ouvriers ont été aussi assassinés en se rendant à pied au travail tôt le matin. Des centaines d’autres ont été malmenés par les partisans de l’opposition. La terreur était telle que la grève s’est étendue au troisième jour sans appel officiel. Le pouvoir et l’opposition utilisent donc la même méthode pour satisfaire leurs ambitions politiques : la terreur contre la population dont ils prétendent être les défenseurs.

Flambée des prix et pauvreté grandissante

Faisant allusion à ce déchaînement de violences qui vient se greffer sur la pauvreté grandissante dans les quartiers populaires, un camarade travailleur s’époumona : « Mais on a déjà touché le fond, pourquoi les bourgeois et leurs valets politiciens persistent-ils à creuser encore ? Ils veulent décimer toute la population pauvre par les armes et la misère. »

Soulignons que ce mouvement PetroCaribe a pris naissance dans un contexte de léthargie complète des classes pauvres, sonnées par la flambée générale des prix, l’augmentation générale des taxes et le chômage qui frappe plus de 85 % de la population vivant de la débrouillardise et/ou des transferts des proches de la diaspora. En moins d’un an, de mars 2018 à décembre 2018, la gourde a perdu 15 % de sa valeur par rapport au dollar, passant de 66 à 76 gourdes pour un dollar. Les prix des produits de première nécessité se sont envolés, le pouvoir d’achat a chuté de façon brutale et la misère s’est aggravée, gagnant des couches de plus en plus importantes de la population.

C’est dans ce contexte de renchérissement du coût de la vie et d’aggravation brutale des conditions de vie de la population que le président avait choisi d’augmenter les prix des produits pétroliers un vendredi 6 juillet vers 16 h 30. Le kérosène (pétrole lampant) par exemple, très utilisé par les couches pauvres du pays, augmenterait de 51 %.

En l’espace d’un cillement, des barricades enflammées et des barrages routiers s’érigèrent partout à Port-au-Prince et le mouvement ne tardait pas à s’étendre à travers les grandes villes du pays. Cette réaction des jeunes des quartiers, des chômeurs, des conducteurs de moto, et aussi des bandes de voyous, a paralysé la circulation. Le lendemain, le Premier ministre flanqué de quelques ministres annonçait dans une conférence de presse que le chef de l’État n’entendait nullement revenir sur sa décision et a ajouté que cette mesure allait avoir des retombées positives pour la population.

Il a mis de l’huile sur le feu et a déclenché, quelques heures après cette conférence de presse, le soulèvement populaire qui allait mettre la capitale à feu et à sang. Les manifestants, dont certains étaient armés, ciblaient les hôtels internationaux luxueux, s’introduisaient dans leur parking et brûlaient tous les véhicules qui s’y trouvaient.

Les supermarchés d’une grande chaîne appartenant à une des familles riches du pays, connue comme celle qui tire les ficelles du président, ont été pillés et incendiés. Environ 80 entreprises de toutes tailles ont été sévèrement endommagées. Des compagnies aériennes internationales annulèrent leurs vols vers Haïti, tandis que des riches s’enfuyaient du pays à bord d’hélicoptères ou de jets privés. L’ancien président Martelly et sa famille ont été exfiltrés de leur maison et amenés dans l’île voisine à bord d’un hélicoptère. C’était la panique généralisée dans le camp des riches et de leurs valets au pouvoir.

Le chef de l’État, dont on pensait qu’il allait démissionner, a attendu plus de 48 heures pour sortir de son silence et annoncer le retrait de la mesure sur l’augmentation des prix du carburant. « Le peuple a parlé et j’ai compris », disait-il, lui dont on connaît l’arrogance et la condescendance à l’endroit des classes pauvres. Le Premier ministre, auquel tenait beaucoup le chef de l’État, fut contraint de démissionner quelques jours après. Il a donc servi de fusible au président, qui en est sorti très secoué et affaibli. Conspué partout où il passe, le président est devenu la risée de la population et des réseaux sociaux. Les dernières manifestations contre la corruption l’ont rendu encore plus impopulaire. Il tient donc par un fil. Sentant sa chute imminente, il a récemment créé un corps d’élite, en clair une milice, pour renforcer sa sécurité. Ces miliciens portant des armes de guerre ont déjà abattu, par balles directement à la tête, plus d’une douzaine de manifestants lors des manifestations de l’opposition.

Nos interventions

Quelle a été notre position par rapport à ces différents mouvements sociaux ?

En juillet, lors du soulèvement contre l’augmentation des prix du carburant, nous n’avons eu aucune prise sur des événements qui n’ont duré que quelques jours et dans lesquels les travailleurs ne sont pas intervenus. Au lendemain des émeutes, nous avons distribué un tract dans les usines où nous militons, disant que le soulèvement populaire avait fait peur aux puissants et empêché la hausse des prix, et que maintenant il faudrait un soulèvement des travailleurs pour les 1 000 gourdes. Nous avons été bien reçus mais avons pu mesurer que les travailleurs avaient peur d’une réaction très violente du pouvoir s’ils sortaient maintenant dans les rues, et n’étaient pas prêts à la lutte.

Cet automne, pendant les deux jours de grève à haut risque lancée par l’opposition, nos camarades ont reçu la consigne de ne pas s’exposer dans les rues. Mais tout de suite après, avec la reprise graduelle des activités, on a procédé à une diffusion massive de tracts, notamment sur les places publiques, sur la zone industrielle et dans certains quartiers, pour appeler les travailleurs et les habitants des quartiers populaires en général à protéger leur vie et celle de leur famille, en contrant cette terreur imposée par le pouvoir et l’opposition via leurs bandes armées respectives.

L’affaire PetroCaribe fait causer les travailleurs, mais pas autant que le soulèvement populaire du mois de juillet, pour lequel les travailleurs exprimaient ouvertement leur sympathie. Vu notre taille, notre position se résumait à demander à notre milieu, aux travailleurs, de se battre eux aussi, de mettre en avant leurs revendications. Quand on ne se bat pas, on est sûr de perdre, on ne gagnera rien du tout, mais quand on se bat, il y a une chance de gagner, donc tentons cette chance : battons-nous !

Eh bien, ce raisonnement, une fraction des travailleurs sur la zone commencent à le comprendre et à se l’approprier. Depuis les cinq dernières années, tous les ans, ils se mobilisent, ils manifestent pour réclamer un ajustement salarial. Cette année encore, ils se sont battus. Bien avant le soulèvement populaire de juillet, bien avant le mouvement PetroCaribe. Leur mobilisation du printemps a duré moins que les années antérieures, mais ils ont quand même arraché 20 % d’augmentation, faisant passer le salaire minimum de 350 à 420 gourdes. Les patrons ont recours à toutes sortes de subterfuges pour ne pas appliquer l’augmentation, mais les travailleurs ne se laissent pas faire. Ils déclenchent des bagarres d’usine en usine pour obtenir l’ajustement sur leur feuille de paie.

Voilà brièvement le contexte dans lequel nous militons en Haïti.

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (Côte d’Ivoire)

La situation politique

Je ne m’attarderai pas sur la situation politique en Côte d’Ivoire, car il n’y a rien de particulier, en dehors du branle-bas actuel au sein des partis politiques pour se positionner en vue de l’élection présidentielle prévue pour 2020. On assiste à des marchandages, des alliances, des scissions, des combinaisons de toute sorte pour être dans le bon wagon afin d’accéder à la mangeoire. […]

Les vieux crocodiles sont toujours là, à commencer par l’ancien président Konan Bédié, qui a déjà dépassé les 84 ans. Mais il veut encore se représenter. Du coup, l’actuel président Ouattara laisse aussi planer son intention de rempiler pour un troisième mandat. Il y a aussi Laurent Gbagbo, le précédent président, qui est en train de se démener avec la CPI (Cour pénale internationale), pour négocier sa libération définitive. S’il est libéré d’ici là, il pourrait compléter le tableau pour un remake de l’élection de 2010.

Le spectre de la guerre civile, qui a suivi l’élection de 2010 et a occasionné plus de 3 000 morts et des dizaines de milliers de réfugiés, est encore présent dans la mémoire collective. Les politiciens, les uns pour conserver leur pouvoir, les autres pour y parvenir, n’ont pas hésité à semer le poison de l’ethnisme, de la xénophobie, comme ils ont mis de l’huile sur le feu des conflits fonciers à caractère ethnique.

On voit à nouveau resurgir çà et là des affrontements violents à caractère ethnique, notamment depuis les dernières élections régionales et municipales qui ont eu lieu il y a trois mois environ. On risque de voir cela en plus grand lors de la prochaine élection présidentielle, les enjeux étant plus grands.

Grèves dans la fonction publique

Sur le plan social, nous avons assisté à deux grèves qui sortent de l’ordinaire dans la fonction publique. Cela a commencé, il y a juste quelques semaines, au mois de novembre. La première grève a été celle des agents de la santé des hôpitaux publics. Les revendications tournent autour de la question des salaires, des primes, des conditions de travail et de la titularisation des employés pour un statut de fonctionnaires. Plusieurs centaines de personnes travaillent dans les hôpitaux publics avec un statut d’auxiliaires. Ils veulent être embauchés et bénéficier des mêmes droits que les fonctionnaires. Ils ont participé activement à la grève. Les médecins n’ont pas pris part à la grève. Néanmoins, les hôpitaux publics furent paralysés durant sept jours sur l’ensemble du territoire.

Le gouvernement a tenté dans un premier temps de casser le mouvement, en procédant à l’arrestation de deux grévistes. Mais cela n’a fait que renforcer la combativité des travailleurs. Il a fait ensuite marche arrière et prôné le dialogue. Il a libéré les deux grévistes et tendu la carotte de la négociation aux syndicats représentant les diverses branches du secteur de la santé qui s’étaient constitués en coordination. Ceux-ci se sont précipités à la table de négociation. Ils n’attendaient que cela. Ils ont immédiatement appelé à mettre fin à la grève, sans même avoir obtenu un centime d’augmentation de salaire, ni même une simple promesse sur quoi que ce soit. Une grande partie des grévistes étaient favorables à la poursuite de la grève. Mais les dirigeants syndicaux en ont décidé autrement. Cependant, ils ont eu du mal à faire reprendre le travail.

Quelques jours après, ce sont les enseignants du secondaire public qui ont déclenché une grève de 48 heures sur l’ensemble du territoire. Là aussi, les revendications tournent autour de la question des salaires, des conditions de travail et de la prime de logement. D’autres catégories de fonctionnaires sont également en conflit ouvert. On ne sait pas si le gouvernement réussira à circonscrire le mécontentement ou s’il continuera à s’étendre à d’autres secteurs.

La grève est considérée comme illégale dans la fonction publique depuis que les dirigeants des centrales syndicales ont signé le protocole dit de la trêve sociale en août 2017, à la suite de la grande grève des fonctionnaires qui a duré plusieurs semaines ; trêve selon laquelle ils s’engagent à ne pas faire grève durant une période de cinq ans. On le voit, cela n’a pas empêché que des grèves aient lieu. Le gouvernement brandit la menace de l’illégalité. Mais ce n’est pas cela qui empêche les mécontentements de la base de s’exprimer, y compris par la grève quand la colère est assez forte.

Quelques luttes dans le secteur privé

Mibem est une entreprise de fabrication et de mise en bouteille de liqueurs et de vin d’environ 150 travailleurs. Ils sont répartis en deux équipes effectuant 12 heures de travail par jour ou par nuit et travaillent 6 jours sur 7. Ça bosse d’autant plus que c’est en ce moment la période de la grande production, à l’approche des fêtes de fin d’année. Les travailleurs sont en colère contre les conditions de travail, les bas salaires et les contrats de journaliers. Il y avait 93 présents lors de la première rencontre. Ces réunions se tenaient en plein air dans un quartier ouvrier.

Le patron est futé, comme celui de l’huilerie d’à côté. Voyant le mécontentement monter, il a aussitôt augmenté les salaires. Mais, comme ça n’a pas suffi à désarmer la colère, il a sciemment provoqué les travailleurs, dans l’objectif de déclencher précipitamment la grève. C’est ce qui s’est passé. Et comme le préavis de grève n’avait pas été encore déposé, cette grève devenait illégale. Il a fait venir les corps habillés [la police – NDLR] et licencié une vingtaine de grévistes. Pour neutraliser les autres travailleurs, dans cette période particulièrement propice pour ses affaires, il leur a promis de régulariser leur situation. C’était là la principale revendication des travailleurs. Finalement, c’est lui qui sort pour l’instant gagnant de ce conflit, puisque les travailleurs n’ont eu qu’une promesse d’embauche.

Une autre usine, Darling, est située à une trentaine de kilomètres de la précédente, dans une autre zone industrielle. Il s’agit d’une fabrique de mèches de cheveux synthétiques d’environ 600 ouvriers. Les travailleurs sont des vraies bêtes de somme. Depuis des années, le patron fait la pluie et le beau temps comme il n’est pas permis, sans que les travailleurs aient trouvé jusque-là la force de réagir ou même de relever la tête. Mais voilà que la colère a fini par s’exprimer, venant particulièrement des ouvrières, toutes des journalières, donc parmi les plus exploitées. Voyant le mécontentement monter, quelques délégués se sont réunis pour discuter de l’organisation et de la nécessité de préparer la lutte. Ils sont conscients que « si nous voulons tirer sur la queue du lion, il faut que nous soyons plus forts que le lion, sinon c’est lui qui va vous manger ». Lors de la seconde réunion, ils étaient au nombre de 25, dont 8 ouvrières très révoltées par les conditions de travail qu’elles ont elles-mêmes qualifiées de conditions d’esclavage. L’idée qui est sortie de cette réunion, c’est qu’il fallait commencer par vérifier la mobilisation des travailleurs dans les ateliers, en leur faisant signer une pétition. Finalement 300 travailleurs ont signé la pétition.

Nous en sommes là à ce jour. Les travailleurs sont prêts à déposer le préavis de grève. Tout le monde sait que c’est maintenant qu’il faut aller à la bagarre car le patron a un impératif de production. Après les fêtes, l’usine va tourner au ralenti et les travailleurs auront moins de poids à mettre dans la balance.

Je voudrais aussi vous parler des travailleurs d’un chantier de construction d’autoroute à Toumody, Tiebissou, qui se trouve à plusieurs centaines de kilomètre à l’intérieur du pays. Certains connaissent le syndicat du bâtiment car ils vont de chantier en chantier, à travers le pays, là où ils trouvent un contrat. Ils ont donc invité la direction du syndicat pour les organiser et les aider à formuler et à poser leurs revendications. Cinquante-deux travailleurs ont pris sur-le-champ leurs cartes d’adhésion. Ce type d’interventions du syndicat est courant, pour ne pas dire quotidien dans le secteur du BTP. J’ai parlé de ceux-là parce que c’est d’actualité et ça se passe en dehors de la ville d’Abidjan.

Sinif Mücadelesi (Turquie)

Une crise économique et politique

En Turquie, la crise économique, mais aussi politique, s’est fortement aggravée ces derniers mois. En fait, depuis le début de l’année 2018, les milieux économiques s’attendaient à une grave crise financière.

Ce n’est pas par hasard qu’Erdogan s’est dépêché d’avancer les élections législatives et présidentielles qui étaient prévues en octobre 2019. Bien qu’il ait déclaré à maintes reprises qu’anticiper ces élections aurait été « trahir la patrie », il les a organisées le 24 juin de cette année. Il a eu du flair puisque dès le début du mois d’août la monnaie, qui perdait déjà de la valeur depuis le mois de janvier, a accéléré sa chute. Le 10 août a été surnommé le « vendredi noir », car la livre turque a perdu 12 % de sa valeur en quelques minutes. Au total, elle a perdu 20 % en une semaine et 40 % depuis janvier 2018.

Cette crise est engendrée par la fuite des capitaux, en grande partie occidentaux, qui s’étaient investis en Turquie dans la période de prospérité du gouvernement d’Erdogan et de son parti l’AKP. Maintenant ces capitaux quittent massivement le pays car ils n’ont plus confiance et ils espèrent de meilleurs profits ailleurs. La Turquie s’est fortement endettée auprès des banques occidentales, mais cela a servi en grande partie à des dépenses de prestige pour Erdogan, plus que pour développer l’industrie ou l’agriculture.

Ainsi Erdogan a fait construire un palais présidentiel pharaonique à Ankara, en dépensant des milliards de dollars pour pouvoir faire des parades évoquant le passé glorieux des onze empires turcs ! Autres exemples de sa folie des grandeurs, la grande mosquée sur la colline de Çamlica à Istanbul, qui va coûter également des milliards de dollars, ou les deux grands ponts et le tunnel à Istanbul sous le Bosphore, sans oublier les centaines de chantiers du bâtiment, dont beaucoup destinés à des mosquées.

Il est vrai que cet afflux de dollars a permis de créer des emplois et a augmenté le pouvoir d’achat de la population. Le salaire minimum était tombé à l’équivalent de 100 dollars lors de la précédente crise, en 2001, et il était arrivé à l’équivalent de 425 dollars en janvier 2018. Mais aujourd’hui, avec l’écroulement de la livre, il est déjà retombé à l’équivalent de 246 dollars. Mais surtout cette période de relative prospérité a rapporté des bénéfices énormes aux capitalistes turcs et étrangers, des bénéfices qu’ils remportent avec eux en même temps que leurs capitaux.

Quant à la dette extérieure, qui était de 130 milliards de dollars en 2002, elle atteint maintenant 465 milliards de dollars, multipliée par quatre. La Turquie doit rembourser 240 milliards de dollars de dettes dans les 12 mois qui viennent, essentiellement aux banques européennes. Les banques espagnoles sont les premières sur la liste, puis viennent les banques françaises et ensuite les banques italiennes en troisième. D’où la crainte que la crise financière turque ne devienne contagieuse en Europe.

Un accélérateur de la crise fut le différend qui a opposé Erdogan à Trump parce que la Turquie refusait de libérer le pasteur américain Andrew Brunson, emprisonné depuis presque deux ans car suspect d’être un proche de l’imam Fethullah Gülen, ennemi juré d’Erdogan et que ce dernier accuse d’avoir fomenté la tentative de coup d’État de juillet 2016. Trump a annoncé une augmentation des taxes à l’importation sur l’acier turc (de 25 % à 50 %) et sur l’aluminium (de 10 % à 20 %). En réalité, ces taxes sont peu de chose car dans ces matières les exportations de la Turquie sont faibles. Mais Erdogan et son gouvernement ont saisi l’occasion de faire une grande campagne nationaliste par le biais de la presse et des médias, qu’ils contrôlent à 95 %. Ils ont déclaré que, s’il y avait la crise, c’est que la Turquie est attaquée par « les lobbies des taux d’intérêt » et par les grandes puissances, notamment les États-Unis. Dans cette grande bataille, Erdogan a déclaré qu’heureusement, « s’ils ont le dollar, nous nous avons pour nous notre peuple, le droit et Allah » ! Mais, si quelques jours plus tard les marchés ont repris un peu confiance et la livre s’est portée un peu mieux, il est peu probable que ce soit grâce à Allah, mais plutôt au fait qu’Erdogan s’est réconcilié avec Trump et a libéré le pasteur américain qui était l’objet du litige.

Attaques contre les travailleurs, atteintes aux libertés et ripostes ouvrières

En attendant, bien des gens constatent qu’ils ont déjà perdu presque 30 % de leur pouvoir d’achat, et ce n’est certainement pas fini. Les prix des produits alimentaires, de l’essence, des médicaments augmentent sans cesse. Ceux qui se sont endettés en euros ou en dollars ne peuvent plus rembourser et ce n’est pas Allah qui peut les y aider. Cela touche en particulier les entreprises petites et moyennes. Dans les semaines et les mois qui viennent, des milliers de PME pourraient se déclarer en faillite et un certain nombre le sont déjà. En effet ces PME, qui représentent la colonne vertébrale de l’économie, s’endettent pour acheter les matières premières en devises, euros ou dollars, mais elles vendent leur production en livres turques dépréciées. Elles sont étranglées, amenées à licencier ou à baisser les salaires, voire à ne pas les payer du tout.

Tout cela explique pourquoi le crédit d’Erdogan est en train de s’effondrer dans l’opinion. Il n’a gagné les élections du 24 juin que de justesse et probablement grâce à des gros truquages. Maintenant il a de gros soucis à l’approche des élections municipales prévues pour mars 2019. Il y a environ un mois et demi il s’est brouillé avec son associé, le parti d’extrême droite MHP, au point de déclarer que son parti irait aux élections municipales tout seul. Mais il y a deux semaines, au vu de sondages indiquant qu’il risquait de perdre les grandes villes comme Istanbul ou Ankara et que son pouvoir était menacé, il a de nouveau conclu une alliance électorale avec le MHP. Mais cette fois-ci il n’est pas sûr que les tricheries électorales le sauveront.

Tout cela n’empêche pas le pouvoir d’être toujours plus répressif. Après les élections du 24 juin, Erdogan et son gouvernement ont levé l’état d’exception qui était en vigueur depuis le coup d’État manqué de 2016, mais les nouvelles lois qui ont été promulguées donnent au gouvernement et aux préfets autant de pouvoirs exceptionnels qu’avant. Les arrestations continuent de plus belle. Presque toutes les semaines des dizaines de personnes sont arrêtées. Les juges n’ont même pas besoin de mener une enquête et d’établir un dossier d’accusation. Il suffit de dire que ces personnes « sont des terroristes qui veulent détruire l’État turc ». Il y a maintenant plus de 260 000 personnes en prison.

Ces derniers temps, ces vagues d’arrestations deviennent presque quotidiennes. Les grandes chaînes de télévision ou la presse annoncent avec de grands titres que l’on a arrêté des dizaines de gülenistes (partisans de l’imam Gülen), de militants kurdes ou de militants proches de la gauche ou de l’extrême gauche, en précisant que ces opérations ont eu lieu à l’aube simultanément dans plusieurs dizaines de grandes villes. Ce qu’on leur reproche, personne ne le sait et la seule vraie raison est de continuer à faire peur à la population. N’importe qui peut être arrêté et mis en prison sans aucune preuve : il suffit qu’un juge ou un policier dise que « c’est un terroriste qui veut détruire l’État » et cela suffit.

Aujourd’hui encore, les procès d’avocats, d’universitaires, de journalistes se succèdent à un rythme fou à tous les étages du palais de justice d’Istanbul. Pour un tweet, pour un commentaire sur Internet ou la déposition d’un témoin anonyme, n’importe qui peut être envoyé en prison. Des purges massives ont eu lieu : plus de 160 000 fonctionnaires ont été mis à pied par décret.

Cette répression continuelle montre que le régime continue d’avoir peur. De fait, on ne peut que se demander maintenant combien de temps le gouvernement d’Erdogan pourra encore se maintenir. Les dirigeants qui étaient proches d’Erdogan à son arrivée au pouvoir en 2002, comme l’ex-président Gül et de nombreux autres, sont en dehors de l’AKP et certains s’opposent ouvertement à Erdogan. En revanche Erdogan a réintégré presque tous les généraux et les gradés de l’armée qui avaient été mis en prison avant 2016 par ses anciens associés gülenistes sous des accusations plus ou moins avérées, au point que selon certains ce sont maintenant ces sommets de l’armée qui tiennent Erdogan et qui pourraient le lâcher plus ou moins vite.

Maintenant Erdogan et ce nouvel entourage de militaires voudraient appliquer une politique de bascule entre l’alliance avec la Russie et l’alliance avec les États-Unis, pour gagner en indépendance et défendre les intérêts nationaux de la Turquie. Ils se voudraient « les nouveaux Ottomans », à la tête d’une puissance régionale veillant sur le Moyen-Orient. Ce sont des mots, car la crise montre qu’ils n’ont pas les moyens d’une telle politique. Il est vrai, j’oubliais, qu’Erdogan affirme que pour aider la Turquie il y a Allah !

Comme je l’ai dit, la classe ouvrière commence à subir les conséquences de la nouvelle crise financière, avec les fermetures d’entreprises et les vagues de licenciements. Et puis, bien sûr, depuis juillet 2016 la classe ouvrière subit, comme l’ensemble de la population, l’état d’exception imposé par le gouvernement. Mais malgré tout jusqu’à présent le gouvernement et le patronat se sont montrés très prudents et ont évité d’attaquer de front les travailleurs.

Par exemple, fin janvier 2018, les conventions collectives dans la métallurgie étaient dans une impasse. Le patronat ne voulait pas céder plus de 10 % d’augmentation et, vu l’inflation, les syndicats ne voulaient pas trop se déconsidérer et réclamaient 30 %. Le gouvernement aurait pu profiter de l’état d’urgence encore en vigueur pour imposer les 10 %, mais il ne l’a pas fait, et finalement le patronat a dû accorder une hausse des salaires de 24 % pour plus d’un million de métallos.

Un deuxième exemple est la question des indemnités de licenciement prévues par la loi. Cela concerne plus de 15 millions de travailleurs car, si les patrons peuvent licencier, du moins ils sont obligés de payer des indemnités parfois importantes. Sous pression du patronat, cela fait seize ans que le gouvernement voudrait les supprimer mais qu’il ne l’ose pas, de crainte des réactions. De même, jusqu’à présent, les vagues d’arrestations épargnent en général les syndicalistes. En fait jusqu’ici le gouvernement Erdogan essaye de ménager la classe ouvrière, qui constitue une partie de son électorat. Malheureusement, il est certain que la crise qui s’aggrave ne va pas la ménager et que le patronat fera tout pour la lui faire payer. Mais le motif d’espoir est que, malgré toute cette ambiance répressive et ces difficultés, la classe ouvrière a gardé jusqu’à présent toutes ses capacités de réaction. On l’a vu encore en septembre avec la grève des 30 000 ouvriers employés à la construction du troisième aéroport d’Istanbul.

L’Internazionale (Italie)

La coalition Ligue – Cinq étoiles

Les résultats des élections législatives du 4 mars en Italie ont été décrits comme un tremblement de terre politique. Dans un certain sens, si l’on parle des rapports de force entre les différentes forces politiques, c’est vrai. Et il est aussi vrai que la formule de gouvernement qui en est sortie est absolument inédite. Les partis de centre-droit ont globalement gagné. Mais les rapports de force entre eux ont changé. Ainsi la Ligue de Salvini a plus que triplé son nombre de voix, alors que Forza Italia, le parti de Berlusconi, a perdu plus de 7 %. À l’intérieur du centre-droit les rapports de force se sont donc inversés et c’est Salvini qui est devenu l’actionnaire majoritaire. Quant aux votes, en valeur absolue, le grand vainqueur a été le Mouvement cinq étoiles fondé par Beppe Grillo et actuellement dirigé par Luigi Di Maio. Dix millions et demi de voix sont allés à la liste du Mouvement cinq étoiles, qui est devenu le premier parti avec 32,6 % des suffrages exprimés. Le Parti démocrate de Renzi s’est véritablement écroulé.

Maintenant, si nous prenons les résultats électoraux comme une photographie de la situation sociale, même si cette photo est floue et déformée du fait des idéologies derrière lesquelles tous les partis se cachent, nous pouvons tirer des conclusions qui ont une utilité politique pour les militants révolutionnaires.

En premier lieu, il faut souligner une forte polarisation géographique des votes. Le centre-droit gagne surtout au nord et les Cinq étoiles au sud. Mais ce qui est plus intéressant est que la Ligue et Cinq étoiles ont gagné bien plus dans les quartiers les plus pauvres des grandes villes et dans les petites villes. Le Parti démocrate perd des voix, en particulier dans les zones socialement sinistrées. Grâce à une propagande habile et parfois en utilisant des petits groupes néofascistes, la Ligue de Salvini a attisé et renforcé les sentiments xénophobes qui se sont répandus dans de larges couches populaires en ces années de crise économique.

Promesses électorales et réalité

Sur le gouvernement : après des semaines de négociations et après que le Mouvement cinq étoiles a tenté de former une coalition avec le Parti démocrate, celui-ci a conclu un « contrat de gouvernement » avec la Ligue. La définition de contrat de gouvernement convient aux deux partis. Chacun a un électorat auquel il doit répondre et, si celui des Cinq étoiles est pour une grande part orienté à gauche, celui de la Ligue est de centre-droit et souvent d’extrême droite. Donc, Salvini et Di Maio cherchent à se faire comprendre de leurs électeurs en disant : « Nous ne sommes pas des alliés, nous avons seulement établi un contrat sur des choses précises à réaliser, pour lesquelles nous sommes d’accord. » De plus, pour Salvini, il y a le problème de ses relations avec Forza Italia et avec les petites listes de droite, autrement dit avec l’ensemble de la coalition avec laquelle il a partagé un programme et mené sa campagne électorale. Le fait paradoxal est que maintenant, au Parlement, ses alliés politiques sont dans l’opposition alors que, pour compliquer encore un peu plus les choses, ils gouvernent ensemble dans les régions du nord.

Quant aux promesses électorales et à la réalité, aussi bien la Ligue que le Mouvement cinq étoiles sont des partis populistes, comme les commentateurs politiques les appellent. Chacun d’eux a dû mettre l’accent sur certains objectifs pour gagner des voix. Pour Salvini, il s’est agi d’agiter la lutte contre l’immigration et en général des thèmes tels que le respect de la loi et de l’ordre. Mais il a aussi dû mettre en avant l’abrogation de la loi Fornero sur les retraites[3], pour que l’on revienne à un âge de la retraite moins élevé. Di Maio de son côté a brandi le drapeau de son « revenu de citoyenneté », c’est-à-dire une sorte d’indemnité de chômage généralisée. Et aussi bien Salvini que Di Maio ont insisté plusieurs fois sur la nécessité de réintroduire une protection contre les licenciements abusifs, protection qui a été définitivement supprimée par le gouvernement Renzi.

La réalité, après six mois de gouvernement, c’est que l’on ne parle plus de la protection contre les licenciements et qu’aussi bien le revenu de citoyenneté que l’abrogation de la loi Fornero, qui devraient être inclus dans la loi de finances de cette année, perdent de plus en plus leurs caractéristiques de départ.

La démagogie antieuropéenne et ses limites

Maintenant, les réformes dites sociales promises par Salvini et Di Maio contribuent à augmenter le déficit public et cela a déclenché une polémique avec l’Union européenne. Comme vous pouvez l’imaginer, par les temps qui courent, il suffit de faire quelques déclarations irrespectueuses contre les « bureaucrates de Bruxelles » pour recueillir des approbations chez soi.

Mais naturellement, la réalité des rapports de force est tout autre chose. Et d’autre part le petit industriel, qui au comptoir d’un café se dit content d’un gouvernement qui enfin fait « respecter l’Italie », est aussi un épargnant qui possède quelques bons du Trésor. En général le patriotisme de ces couches sociales ne va pas plus loin que la défense de leurs propres biens, et donc le soutien aux rodomontades antieuropéennes de Salvini et Di Maio ne va pas bien loin.

Cela est clair aussi bien pour le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, que pour les deux leaders populistes et les ministres de Di Maio et Salvini. Ces jours-ci ils tentent de s’en sortir d’une façon ou d’une autre, en cherchant une solution qui leur permette de sauver la face auprès de leurs électeurs sans créer trop de problèmes au gouvernement du côté de la Commission européenne ou des marchés financiers.

Mais il faut aussi parler des rapports avec la grande bourgeoisie italienne. Aussi bien la Confindustria (équivalent du Medef) que les grands moyens d’information et les quotidiens ont une attitude critique à l’égard du gouvernement. Mais ils font une différence : ils cherchent à s’appuyer sur les liens traditionnels entre la Ligue et la bourgeoisie des petits et moyens industriels du nord. Ils font pression pour une rupture avec le Mouvement cinq étoiles, ou au moins pour une redéfinition des rapports de force à l’intérieur du gouvernement.

Il y a quelques jours, la Confindustria a organisé une manifestation à Turin réunissant, d’après ce qu’elle dit, les représentants de 65 % du PIB italien. Autrement dit des industriels et des représentants d’associations patronales. L’objectif était de faire pression pour la réalisation de grands chantiers publics, à commencer par le TGV Lyon-Turin. C’est un thème qui crée des frictions avec le Mouvement cinq étoiles et ses électeurs. En effet Cinq étoiles s’est présenté comme le porte-parole politique de tous les mouvements locaux qui s’opposent à ces grands travaux industriels. Mais ils ont déjà dû céder sur la question du gazoduc qui devrait aboutir dans la région des Pouilles. Pour le TGV Lyon-Turin, qui est la grande bataille du mouvement « No Tav », céder serait symboliquement encore plus grave.

Tout semble donc aller dans le sens d’un affaiblissement progressif de Cinq étoiles par rapport à la Ligue. D’autant plus que maintenant les sondages donnent le parti de Salvini devant Cinq étoiles. Il est évident que le vrai sondage, de toute façon, ce sera les élections européennes.

Cependant, pour ce qui concerne les travailleurs, même avec des calculs dignes de l’école primaire, on peut voir que les fonds dédiés au revenu de citoyenneté sont absolument insuffisants pour assurer le niveau de 780 euros par mois qui serait censé protéger les couches les plus pauvres.

D’autre part, même l’abrogation de la loi Fornero qui a été promise se concrétisera par une mesure qui concernerait entre 350 000 et 450 000 personnes, qui pourront choisir une retraite anticipée à condition d’avoir au moins 62 ans et cotisé au moins 38 ans. Mais ils partiraient avec une retraite réduite puisque, justement, elle serait considérée comme anticipée.

En substance, alors que la crise ne semble pas du tout résolue et que le chômage continue d’être le problème numéro un pour les familles ouvrières, les mesures sociales de ce soi-disant gouvernement « du changement » se révèlent des mesures bidon.

 

[1]     En 2016, la législation électorale du Michigan offrait la possibilité de voter en bloc pour un parti, ce qui revient à voter pour l’ensemble de ses candidats, sans devoir les choisir individuellement dans les différents scrutins. (Note de la rédaction)

 

[2]     Surnom donné à la « loi organique de protection de la sécurité publique » de juillet 2015, largement dénoncée comme une menace pour la liberté d’expression (note de la rédaction).

 

[3]     La loi Fornero de 2012 a désindexé les pensions de la hausse des prix, porté l’âge légal de départ en retraite à 66 ans et 7 mois en 2018 pour les hommes comme pour les femmes, et préparé le passage à une retraite par capitalisation (note de la rédaction).

 

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