Corée : un dégel sous la menace d’un revirement des États-Unis05/05/20182018Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2018/05/192.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Corée : un dégel sous la menace d’un revirement des États-Unis

Soixante-cinq ans après la fin de la guerre de Corée qui a partagé le pays, on a vu le 27 avril dernier les dirigeants des deux États coréens officiellement toujours en guerre se rencontrer au poste-frontière de Panmunjom, dans la zone dite démilitarisée, pour parler de paix et s’amuser devant les caméras à franchir la fameuse frontière, dans un sens et dans un autre. Donald Trump, le président américain, dirigeant de la puissance tutélaire du régime du Sud depuis sa création, s’est réjoui de cette rencontre en s’en attribuant le mérite, lui qui quelques mois auparavant menaçait de destruction la Corée du Nord. Tout cela illustre à quel point le danger de guerre nucléaire, évoqué autant par le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un que par Trump, était de la mise en scène de part et d’autre.

Quoi qu’en disent les médias occidentaux, la Corée du Nord n’a jamais été ni un régime communiste ni un « pays de fous ». Ce régime nationaliste fut mis en place au nord du pays, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, après que l’impérialisme américain, dont les troupes occupaient le Sud, y eut installé une dictature fantoche. En 1950, Washington usa de toutes ses ressources militaires pour s’opposer à une tentative de réunification du pays par les troupes nord-coréennes. Ce fut la guerre de Corée, qui se termina en 1953, après avoir fait trois millions de morts. Elle se termina par un armistice, sans que le Nord et le Sud aient jamais signé de traité de paix. Depuis cette date, la Corée du Nord n’a cessé de subir un embargo imposé par l’impérialisme américain, qui a étouffé son développement.

Tous les dictateurs nord-coréens qui se sont succédé de père en fils, Kim Il-sung (de 1948 à 1994), Kim Jong-il (de 1994 à 2011) et Kim Jong-un (depuis 2011), ont cherché à rompre cet isolement économique forcé. Dans un premier temps grâce à leurs liens avec les pays du bloc de l’Est, tant que celui-ci exista ; puis, essentiellement par des échanges frontaliers avec la Chine. La population de Corée du Nord a payé très cher ce blocus de plus d’un demi-siècle. Les médias occidentaux ont souvent mis sur le compte du régime les famines qui eurent lieu dans le pays dans les années 1990 à la suite des très mauvaises récoltes, mais c’est le sous-développement économique, résultat de l’embargo américain, qui en fut la cause.

À la fin de cette décennie noire, le leader nord-coréen Kim Jong-il tenta d’obtenir un assouplissement de l’embargo. Mais après le 11 septembre 2001, la politique américaine se durcit. En 2006, la Corée du Sud mit un terme aux relations économiques entre les deux pays. Ce fut à ce moment que le Nord commença ses essais balistiques et nucléaires, se dotant ainsi d’un atout pour une future négociation avec l’impérialisme, la « dénucléarisation » du pays.

C’est cette stratégie que Kim Jong-un aura menée à son terme, au travers de sa surenchère avec Trump. Ce dernier a pu ainsi se poser en leader du monde dit démocratique, tout en sachant fort bien que le seul but du dictateur nord-coréen était de négocier. L’administration américaine a d’ailleurs reconnu que, durant cette partie de poker menteur, les contacts diplomatiques avec la Corée du Nord n’avaient jamais été interrompus. Moyennant quoi, ­Trump peut aujourd’hui apparaître comme le vainqueur de cette partie truquée, tout en imposant l’impérialisme américain comme seul maître du jeu.

De son côté, le gouvernement sud-coréen joue la désescalade, au moins depuis des mois. Évidemment, il n’aurait jamais pris de telles initiatives pacifistes vis-à-vis du Nord sans en avoir au préalable référé aux dirigeants américains et obtenu leur aval. Mais la Corée du Sud est aux premières loges et le pays serait la première cible d’un conflit militaire avec le Nord, même avec le système de bouclier antimissile déployé sur son sol par les États-Unis. Et après neuf ans de pouvoir du parti de droite héritier politique de la dictature militaire, l’élection au printemps 2017 de Moon Jae-in, démocrate ex-oppositionnel à cette dictature, a opportunément offert à la bourgeoisie sud-coréenne la possibilité de mener une politique d’ouverture en direction de la Corée du Nord.

La bourgeoisie sud-coréenne a toujours été soumise à la politique des États-Unis, car elle leur doit tout. Ce sont les financements américains associés à la guerre froide qui ont permis au pays de s’industrialiser. Cela a été fait dans le cadre d’un étatisme et d’une dictature militaire féroce qui n’avaient rien à envier au régime du Nord mais qui avaient le soutien politique, militaire et financier des États-Unis. Et c’est en mettant la main sur des pans entiers de cette économie étatisée qu’une bourgeoisie rachitique liée à l’appareil de la dictature a pu se retrouver à la tête de véritables empires industriels, les chaebols, que sont Samsung, LG, Hyundai, Lotte ou Daewoo. Et même si la Corée du Sud est toujours l’alliée indéfectible des États-Unis, ces chaebols ont aussi leurs intérêts spécifiques.

Exemple significatif, en septembre dernier, quand Kim Jong-un et Trump s’envoyaient des insultes à la figure, le gouvernement sud-coréen plaidait, dans l’intérêt des capitalistes de son pays, pour la réouverture de la zone industrielle de Kaesong en Corée du Nord où, jusqu’en 2016, plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers nord-coréens travaillaient pour le compte d’entreprises sud-coréennes, pour des salaires dérisoires comparativement aux salaires de Corée du Sud.

Aujourd’hui, s’il paraît de plus en plus vraisemblable qu’une rencontre entre Trump et Kim Jong-un aura lieu, ce qui sera une première car jamais aucun dirigeant nord-coréen n’a rencontré un président américain, il est cependant impossible de dire jusqu’où iront les négociations.

En revanche, la politique de paix entre les deux Corées est soutenue par la population sud-coréenne et, si on en croit les sondages, à une écrasante majorité. Et il y a tout lieu de penser que les mêmes aspirations à la réconciliation existent au Nord. Comme bien des frontières dans le monde, celle qui déchire la péninsule coréenne est une absurdité sanglante. Elle a séparé des familles, créé une tension militaire permanente et, aujourd’hui, elle illustre toute l’aberration d’un pays coupé en deux avec d’un côté un manque de moyens et d’infrastructures, et de l’autre une industrialisation moderne et une économie puissante. Trump peut faire le choix temporairement d’atténuer les tensions avec la Corée du Nord, rien ne garantit qu’il ne changera pas d’avis aussi vite dans un sens qu’il l’a fait dans l’autre, pour les besoins de l’ordre impérialiste régional.

2 mai 2018

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