Trump : après une campagne démagogique, une politique dirigée contre les travailleurs

Après une année de campagne électorale et deux mois de transition pendant lesquels il a flatté les préjugés racistes pour se faire élire, Donald Trump a utilisé ses premières semaines de présidence effective pour signer une rafale de décrets destinés à contenter l’électorat réactionnaire qui l’a porté au pouvoir. On comprend aisément pourquoi Marine Le Pen se trouve des affinités avec Trump, car elle développe comme lui une démagogie à tous crins, visant les classes populaires auxquelles tous les deux destinent en fait leurs coups ; et cela bien que ce dernier l’ignore, comme l’a montré en janvier le ridicule voyage à New York de la chef de l’extrême droite française, débouchant sur un café pris à la cafétéria du sous-sol de la Trump Tower, des dizaines d’étages en dessous du milliardaire président.

À ceux qui pensent que l’État a trop de poids, le président républicain a offert son premier décret. Symboliquement destiné à torpiller une réforme phare de Barack Obama, il augmente les cas d’exemptions permettant d’échapper à l’obligation de contracter une assurance maladie. De même, ­Trump a gelé provisoirement toute embauche dans les administrations fédérales.

Flattant les préjugés anti-immigrés, et bien qu’en contradiction avec le gel des embauches, Trump a signé l’ordre de recruter 10 000 officiers fédéraux supplémentaires chargés de contrôler l’immigration et d’expulser tous les étrangers sans-papiers qui ont un casier judiciaire, même pour des infractions mineures. Après une présidence d’Obama qui s’est caractérisée comme la période où le plus de travailleurs immigrés ont été expulsés, Trump a donné un coup d’accélérateur à cette politique scélérate. Déjà, des centaines de travailleurs ont été arrêtés sous le prétexte qu’ils avaient emprunté une identité pour pouvoir travailler, ce qui est une pratique très courante. Certains expulsés étaient pourtant arrivés aux États-Unis enfants il y a des dizaines d’années, et y ont actuellement un travail et une famille. Cela a commencé à susciter des manifestations de solidarité. Le même ordre présidentiel menace aussi de priver de subventions fédérales les municipalités, telle Los Angeles, qui s’érigent en havre d’accueil pour les sans-papiers qui y vivent et y travaillent. Bien que les républicains passent leur temps à fustiger le poids de l’État fédéral, il s’agit là de l’utiliser pour contraindre les municipalités.

Dans la même veine, Trump a signé un décret préparatoire à la construction d’un mur à la frontière mexicaine, mur qui existe en partie et qu’il prétend faire payer au Mexique. Le décret anti-immigration qui a fait le plus de bruit est celui ordonnant de suspendre pour trois mois toute entrée sur le territoire des ressortissants de sept pays, dont l’Iran, désignés par Trump comme foyer de terrorisme. Même les personnes bénéficiant de la double nationalité, résidant habituellement aux États-Unis mais en voyage au moment de la signature du décret, ont été empêchées de revenir chez elles. Le caractère manifestement raciste du décret, qui ne visait que des musulmans, a soulevé une vague d’indignation qui s’est traduite par des manifestations dans les plus grands aéroports du pays. Le fait qu’aucun citoyen de ces sept pays n’ait jamais perpétré d’attentat aux États-Unis a été la base juridique de la plainte déposée par l’État de Washington, sur la côte pacifique, aboutissant à la suspension du décret par une cour d’appel fédérale.

Trump désigne l’étranger comme l’ennemi également sur le terrain économique. Alors qu’après des années de négociations il n’était toujours pas ratifié par le Congrès américain, Trump a retiré les États-Unis du traité instituant un partenariat transpacifique. Cette zone de libre-échange liant onze pays d’Asie et d’Amérique avec les États-Unis ne verra donc probablement pas le jour. Est-ce le début d’un véritable tournant protectionniste que prendrait la bourgeoisie américaine à l’occasion de l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche ? Il est encore trop tôt pour le dire car son agitation nationaliste agressive a indisposé de grandes compagnies américaines, lesquelles ont pris publiquement position contre le décret, qui a provoqué une crise diplomatique, notamment avec l’Iran, dont le marché promet de s’ouvrir suite à l’accord de 2015 menant vers la fin des sanctions économiques.

Ce festival de mesures provocantes contente une partie de l’électorat de Trump. Cette bruyante démagogie anti-immigrés sert aussi au président de rideau de fumée destiné à masquer une politique propatronale, moins médiatique mais tout aussi réelle. L’équipe gouvernementale dont ­Trump s’entoure à Washington, dont certains membres n’ont pas encore franchi le processus habituel de confirmation par le Congrès, compte évidemment une collection de réactionnaires patentés. Ainsi Betsy Devos, ministre de l’Éducation, dont le but est de favoriser les écoles privées, est en faveur du port d’armes dans les établissements scolaires. Lors de son audition par le Sénat, elle a prétendu que les écoles rurales du Wyoming pourraient ainsi faire face… aux attaques d’ours grizzlys ! Il faut dire que sa qualité de fille et d’épouse de milliardaire, dont le frère a fondé l’entreprise de mercenaires Blackstone, et le fait qu’elle ait été la plus grosse contributrice du Michigan à la campagne de Trump, n’ont pu que jouer en faveur de sa nomination.

Le noyau du gouvernement est avant tout constitué, à l’image du businessman ­Trump, d’hommes très liés au capital. Andrew Puzder était le PDG d’une chaîne de restaurants où il a fait la chasse aux pauses de ses employés et imposé des heures supplémentaires non payées. Il est hostile à l’augmentation du salaire minimum. Il aurait pu être ministre du Travail si le fait qu’il avait personnellement employé une femme de ménage sans papiers ne l’avait forcé à renoncer à sa nomination. Rex Tillerson, ministre des Affaires étrangères, était le PDG du pétrolier ExxonMobil, une des plus grosses entreprises américaines. Elaine Chao, ministre des Transports, a été banquière d’affaires chez Citicorp. Goldman Sachs, la plus puissante des banques d’affaires de Wall Street, a aussi ses hommes à la Maison-Blanche : Steve Bannon, le conseiller stratégique de ­Trump, y a été banquier ; Steven Mnuchin, le ministre de l’Économie, aussi ; et Gary Cohn, à la tête du Conseil économique national, en a été le numéro deux. On est loin des discours de campagne de Trump s’en prenant à la finance et se posant en défenseur des ouvriers.

Entouré de cette équipe gouvernementale, Trump a soigné l’industrie pétrolière en signant un mémorandum permettant la reprise des travaux d’un pipeline, suspendus il y a quelques mois à cause de l’opposition militante d’une tribu sioux du Nebraska. Ce sont surtout les banques qui peuvent se frotter les mains suite à la signature d’un décret en faveur de la dérégulation de ce secteur, central pour la grande bourgeoisie. Il vise à détricoter les règles laborieusement édictées par l’administration Obama au travers de la loi Dodd-Franck. Cette loi, pas encore totalement en vigueur, avait pour objet de prévenir un nouveau krach, après celui de 2008. Trump est aux ordres des banques d’affaires, qui se moquent des risques de catastrophe générale et ne veulent aucune contrainte.

Avant même qu’il ne signe son premier décret, Trump a reçu le lendemain de son intronisation une réponse appropriée à sa politique : des manifestations monstres, notamment pour défendre les droits des femmes. Celles et ceux qui se sont alors retrouvés dans rue, tout comme les manifestants opposés aux décrets anti-immigration, ont raison de ne pas attendre pour manifester leur opposition ; à condition qu’ils ne mettent pas leurs espoirs dans l’éventuelle obstruction parlementaire du Parti démocrate ou dans la perspective lointaine de sa victoire électorale. Leur mobilisation peut contribuer à susciter celle de la classe ouvrière, qui a son propre combat de classe à mener, contre le gouvernement mais aussi contre la bourgeoisie.

18 février 2017